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Débordés, les syndicats tentent de rebondir

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L’irruption des "Bonnets rouges" sur la scène sociale, fronde hétéroclite anti-impôts, confondant patrons et salariés, brûlant des portiques écotaxes et des radars, les aura contraints à se rabibocher. Samedi 23 novembre, CGT et CFDT ont défilé bras dessus, bras dessous dans les quatre grandes villes de Bretagne (Lorient, Rennes, Morlaix et Saint-Brieuc). Entre 6 500 et 13 000 personnes ont marché pour appeler à « des propositions constructives pour l'avenir des salariés et de l'emploi en Bretagne ». C’est moins que la dernière manifestation des "Bonnets rouges" le 2 novembre à Quimper, qui avait réuni 20 000 personnes. Le mouvement breton appelle d’ailleurs à une nouvelle manifestation samedi 30 novembre, cette fois à Carhaix, la ville du tonitruant Christian Troadec, leader de la contestation

Aux côtés de la CFTC, de la CFE-CGC, de l’UNSA, de Solidaires et de la FSU, les secrétaires généraux des deux principales organisations de salariés, Laurent Berger (CFDT) et Thierry Le Paon (CGT), ont défilé ensemble à Lorient :

Des mois qu'on ne les avait plus vus coude à coude, depuis que l'accord national de « sécurisation sur l'emploi » (ANI) puis la réforme sur les retraites avaient scellé leurs profonds désaccords. En fin de semaine dernière, Le Paon et Berger ont même appelé de leurs vœux à la renaissance de l’intersyndicale, très active lors de la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy en 2010, en sommeil depuis.

Si CFDT et CGT s'allient de nouveau, alors qu'elles avaient même refusé de faire un 1er mai unitaire (le syndicat réformiste s'était estimé « insulté » lors du dernier congrès de la CGT à Toulouse), c'est qu'il y a le feu. Les jacqueries sociales et fiscales qui secouent la France, notamment la grande manifestation de Quimper qui a rassemblé plus de 20 000 personnes le 2 novembre, entremêlant salariés licenciés et patrons licencieurs, ont révélé combien les organisations syndicales étaient hors jeu, souvent incapables de canaliser ces colères atomisées, débordées par leurs bases parfois alliées aux patrons.

Cette panique au sommet des confédérations syndicales n’a pas échappé au gouvernement. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Jean-Marc Ayrault a réactivé la réforme fiscale promise par François Hollande pendant la campagne présidentielle. « Cette initiative politique (...) remet dans le jeu les partenaires sociaux », s’est félicité Ayrault dans le Journal du dimanche.

Le grand chantier débute lundi et mardi : toutes les organisations syndicales et patronales sont reçues à Matignon, même celles qui ne sont pas représentatives. « Il fallait réarmer le dialogue social, les partenaires sociaux ont besoin de débouchés », indique un interlocuteur fréquent de François Hollande. Y compris le patronat : ces organisations (Medef, CGPME, etc.), en concurrence perpétuelle, ont radicalisé leurs positions pour répondre à la colère d’une partie de leur base. Mais elles aussi cherchent à atterrir. Après avoir soufflé sur les braises de la contestation fiscale au long des dernières semaines, la CGPME appelle ainsi les chefs d’entreprise à se présenter aux élections municipales plutôt que de faire la grève des cotisations sociales, comme les y encouragent plusieurs mouvements patronaux lancés sur les réseaux sociaux. « Croire que du chaos peut naître la solution, c'est au mieux faire preuve d'une grande naïveté et, au pire, jouer à l'apprenti sorcier », explique-t-elle désormais.

« Réhabiliter les corps intermédiaires, et notamment les partenaires sociaux : c’est un des éléments clés du projet politique du quinquennat », rappelle Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée.

Sauf que ce projet, présenté pendant la campagne électorale, puis au début du quinquennat, comme un des marqueurs du hollandisme, avait été quelque peu oublié ces derniers mois.

D’abord parce que le gouvernement privilégie ostensiblement certains syndicats à d’autres. Si l’accord sur l’emploi (ANI) ou la réforme des retraites sont bien le fruit d’une concertation, ils sont en réalité très proches de ce que souhaitaient les plus réformistes, CFDT en tête.

Avec la CFDT, le gouvernement ne craint pas d’afficher une unité de vue quasi totale sur de nombreux dossiers. Au risque de marginaliser les autres organisations, au premier rang desquelles la CGT, qui peine à définir un cap après quatorze ans de gestion Bernard Thibault.

L’échec de la mobilisation contre la réforme des retraites, véritable camouflet pour les syndicats qui y étaient opposés (CGT, Solidaires, FSU, FO etc.), ne peut d’ailleurs qu’encourager le gouvernement à poursuivre dans cette voie. « Le gouvernement enferme les syndicats dans le syndicalisme institutionnel. Il prône la concertation, la négociation mais au fond, c'est bidon, s’inquiète Annick Coupé, de Solidaires. Nous allons de réunions en réunions qui ne servent à rien. Et cela contribue à faire croire aux salariés que nous sommes d'accord avec tout ce qu'il décide. »

Ensuite, parce que les cadeaux aux entreprises (recul face aux "pigeons", crédit impôt compétitivité emploi de 20 milliards, compensation des cotisations retraites patronales, etc.) ont donné le sentiment que François Hollande était finalement bien plus sensible aux arguments du patronat. Une pilule très difficile à faire avaler à la base, alors que certains syndicats comme la CGT avaient appelé à voter Hollande le 6 mai 2012, une grande première.

Enfin, la gestion erratique du pouvoir ces derniers mois a dérouté les syndicats. « Nos militants disent qu'ils ont fait les manifs contre l'accord emploi, contre la réforme des retraites, tout ça sans que le gouvernement cède. Par contre, 2 000 personnes qui s’en prennent à des portiques écotaxes, ça suffit à faire reculer l'exécutif ! Pas étonnant que certains se disent qu’ils n’ont qu’à casser pour faire entendre nos revendications… ou qu’ils choisissent de s’exprimer dans les urnes, y compris en votant pour le Front national », explique Stéphane Lardy de FO.

Manifestation des "Bonnets rouges" samedi 2 novembre, à QuimperManifestation des "Bonnets rouges" samedi 2 novembre, à Quimper © reuters

Évidemment, les grandes confédérations refusent d’admettre qu'elles ont été dépassées par ces frondes corporatistes, peut-être ponctuelles mais mobilisatrices. Toutes sont d’autant plus mal à l'aise qu'elles ont, comme la quasi-totalité de la classe politique, défendu l'écotaxe votée sous la majorité précédente, et que le « ras-le-bol fiscal » n’est pas franchement leur tasse de thé, alors que la majorité d’entre elles insiste depuis des années sur la nécessité d’une politique de relance au lieu de la réduction des déficits, ou demandent d’accroître la fiscalité pesant sur les plus hauts revenus. « J'entends des gens qui se plaignent, alors qu'ils ne payent pas d'impôts ! Mais le vrai problème, c'est le pouvoir d'achat », déclare Thierry Le Paon, le numéro un de la CGT pour qui « l'efficacité du syndicalisme se mesure d'abord dans l'entreprise ».

« Il y a une montée du populisme et du Front national dans le monde salarial et on ne nourrira pas cette situation en gueulant le plus fort », fait valoir Laurent Berger, le patron de la CFDT. « Le rôle des syndicats, c’est de relayer les problèmes de ce pays et d’apporter les solutions, pas de se mêler au populisme ambiant », a-t-il lancé, rappelant que l’impôt, « c’est le vivre ensemble, des services publics de qualité, des enfants qui peuvent aller à l’école, un système de santé encore performant, etc. ».

« Il faut remettre l'église au milieu du village : les "Bonnets rouges", c'est avant tout des problèmes de patrons, pas de salariés », explique Philippe Louis, le président de la CFTC.

« Nous ne pouvions pas cautionner la méthode comme la sociologie de ce mouvement, manipulé par des forces populistes et poujadistes, des groupuscules identitaires. On ne manifeste pas avec les patrons qui conduisent dans l'impasse les salariés », se défend à son tour Jean Grosset, le numéro 2 de l'UNSA. « Nous n'avons pas été débordés, poursuit-il. Nous l'aurions été si les salariés des transports, de la métallurgie, les fonctionnaires de l'Éducation nationale débrayaient sans nous. » Il rappelle que dans l'histoire sociale, « les syndicats n'ont jamais sifflé le début d'une fronde populaire » et cite les exemples de « 1936, 1968, 1995 ».

« Depuis la "Manif pour tous", la droite et l'extrême droite deviennent plus mobilisatrices que les syndicats », s'inquiète tout de même Annick Coupé, porte-parole de Solidaires.

« L'absence d'unité et de stratégie syndicale n'arrange rien », ajoute-t-elle. Ce lundi 25 novembre, la plupart des organisations de salariés se retrouvent donc à la CFDT pour tenter de relancer l’intersyndicale. « La situation politique, économique et sociale que connaît notre pays provoque des difficultés et une inquiétude grandissante chez les salariés (...). La société en proie au désarroi peut se laisser entraîner par l'expression des pires populismes », expliquent Le Paon et Berger dans la lettre adressée en fin de semaine dernière à leurs homologues FO, CFTC, CFE-CGC, UNSA, Solidaires et FSU.

« Compte tenu de la dégradation du marché du travail, de la montée effrayante du populisme, il faut que les syndicats retravaillent ensemble notamment sur la question de la défense de l'emploi », insiste Jean Grosset. Lundi, FO, qui a manifesté seule à Rennes samedi 23 novembre, boudera la réunion, préférant organiser (en solo) un meeting le 29 janvier prochain. « Nous ne sommes pas là pour aider la CFDT, courroie de transmission du gouvernement socialiste, à se refaire une virginité auprès des salariés. Et contrairement à la CGT, nous avons une cohérence dans notre positionnement », justifie Stéphane Lardy. Mais la centrale de Jean-Claude Mailly est elle aussi très tiraillée : certains de ses militants d’usines bretonnes en difficulté ont coiffé le fameux bonnet rouge et elle n’a désavoué le mouvement que très tardivement.

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