Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

La Chapelle, Saint-Bernard, Pajol : des migrants subissent leur troisième expulsion

$
0
0

Le parvis de la halle Pajol, dans le XVIIIe arrondissement à Paris, sur lequel s’étaient installés entre cent et deux cents migrants depuis le week-end, a été vidé de ses occupants par les forces de l'ordre lundi 8 juin dans l’après-midi. Une trentaine d'entre eux, des Érythréens et des Soudanais, ont été placés en centre de rétention administrative (CRA), à Vincennes et au Mesnil-Amelot, en vue d'une expulsion du territoire, selon l'Assfam et la Cimade, les deux associations d'aide juridique aux étrangers présentes sur place. Le message des pouvoirs publics est passé. « Ils ne veulent pas qu’on reste ici », lance Aman, 26 ans, d’origine érythréenne, après l’opération policière. « C’est n’importe quoi, ils nous pourchassent, mais on n’a nulle part où aller. Ils ne veulent pas qu’on reste ensemble », constate-t-il.

Aman fait partie de ces personnes originaires de la Corne de l’Afrique et d’Afrique de l’Ouest qui se sont retrouvées sans solution de relogement après l’expulsion du campement situé sous le métro aérien, à proximité de la station La Chapelle, malgré les déclarations de la mairie de Paris et de la préfecture selon lesquelles tous les occupants d’« Under the bridge » seraient mis à l’abri. En France depuis peu de temps, il n’a pas été « recensé » par les associations qui s’étaient vu confier cette tâche.

Déjà expulsé manu militari vendredi du square proche de l'église Saint-Bernard, ce lundi, il s’est faufilé hors du groupe lorsqu’il a vu approcher les cars de police. Il a pris les rues adjacentes et circule dans les parages. Il raconte néanmoins ce qu’il s’est passé : « Des bus vides sont arrivés. Ils ont demandé aux personnes de monter dedans. Certains y sont allés. D’autres n’avaient pas confiance, ils ont préféré rester là. Des gens se sont mis autour pour les protéger. Mais les policiers sont allés les chercher un à un, c’était comme des attaques. »

Ce récit de charges policières violentes est confirmé par des élus, journalistes, militants et voisins présents sur les lieux au moment des faits. Du gaz lacrymogène a été utilisé. Des migrants ont pu courir et s'échapper. Des réfugiés se sont trouvés mal et ont été évacués par les pompiers. « L’évacuation de Pajol cet apm m’a rappelé l’évacuation violente de st bernard en 1996 contre laquelle le PS manifestait », a twitté Éric Coquerel, élu du Parti de gauche (PG), en fin d’après-midi, après s’être interposé. « Je demande la libération immédiate des migrants et militants embarqués de force à Pajol et de vraies solutions d’hébergement », ajoute-t-il. Les migrants montés dans le bus ont été conduits quelques centaines de mètres plus loin, dans un bâtiment appartenant à la préfecture, « pour identification », selon des policiers sur place.

« Il y a eu de fortes violences, malgré la présence d’élus », surenchérit Danielle Simonnet, conseillère de Paris, élue du XXe et secrétaire nationale du PG. Hugo Touzet, élu du XVIIIe en charge de l’accès aux droits et secrétaire de section du PCF, indique à Buzzfeed avoir reçu un coup de poing « en pleine mâchoire ». « Militants et migrants embarqués, élu-e-s violentés. Bravo la préf et @manuelvalls », a-t-il ironisé sur Twitter. Interrogé par Metronews, Pascal Julien, d'Europe Écologie-Les Verts (EELV), estime que « toute cette opération prouve que l’évacuation du campement de La Chapelle était de la poudre aux yeux. Quatre jours plus tard, tout le monde est dehors, il n’y a pas eu de relogement ou d’initiative durable. […] La maire de Paris ne prévoit rien pour l’accueil des migrants et demandeurs d’asile. Pourtant de nombreux immeubles pourraient être réquisitionnés. Je ne peux constater qu’une absence totale de volonté politique ».

Dès lors, l’expulsion prend une tournure politique à l’échelon national. Dans un communiqué, EELV dénonce « les violences » et « la répression ». L’opération de police « bafoue le droit au respect et à la dignité », selon le parti écologiste. « Quelques jours à peine après le démantèlement d’un camp à La Chapelle, cette nouvelle expulsion vient confirmer que les autorités s’obstinent dans une impasse en voulant répondre par la violence à l’extrême précarité et à la détresse de ces migrants », martèle-t-il, avant d’estimer que « ces personnes doivent désormais être orientées vers des solutions d’hébergement d’urgence, dès ce soir, qu’ils soient éligibles ou non au droit d’asile ». Le PCF, de son côté, regrette que l’État ait choisi « la manière forte », dénonçant une « attitude agressive et disproportionnée du ministère de l’intérieur ». « L’utilisation répétée de la force publique à l’encontre des réfugiés est sans issue », répète-t-il, soulignant que « la matraque n’a jamais été une solution constructive ».

Des propositions doivent être faites pour mieux « orienter les réfugiés vers les hébergements déjà existants » et créer « un site dédié et pérenne » pour « accueillir les personnes réfugiées évitant leur éparpillement dans la nature, la rupture des solidarités et permettant la construction de solutions pérennes ». Même tonalité du côté du PG qui regrette que depuis l’expulsion de La Chapelle, les migrants « en sont réduits à errer de lieu en lieu » dans Paris. « La prétendue opération humanitaire semble ainsi masquer une réponse policière », indique ce parti, exigeant l’ouverture d’un « lieu neutre » afin que les migrants puissent « se poser » et que les demandes d’asile puissent être examinées.

Difficile de savoir combien de personnes ont été embarquées dans les locaux de la préfecture de police : une petite centaine selon différentes sources. Et pour y faire quoi ? Le ministère de l’intérieur assure d'abord qu’il s’agit de leur proposer l’asile ou d’être hébergées dans un centre d’hébergement d’urgence réservé aux personnes sans domicile fixe, boulevard Ney dans le XVIIIe arrondissement – qui fait fuir y compris les nouveaux arrivants sans logement. « Ils vont être envoyés en CRA », s’inquiètent des militants associatifs. CRA pour centres de rétention administrative, où sont regroupées les personnes en situation irrégulière en instance de reconduite à la frontière. Tard dans la soirée, le ministère de l'intérieur ne dément pas. Une semaine auparavant, le préfet de Paris Bernard Boucault avait affirmé : « Il n'a été procédé à aucune OQTF [obligation de quitter le territoire – ndlr]. » « Aujourd'hui », avait-il précisé. Aux aurores mardi, l'Assfam et la Cimade ont confirmé que les militants étaient bien renseignés. Les recours pour empêcher leur renvoi devraient être rédigés dans la journée, les passages devant le tribunal administratif et le juge des libertés et de la détention sont prévus cette semaine. Les retours forcés vers l'Érythrée sont toutefois improbables : non seulement ce pays est en guerre, mais aussi son consulat en France ne délivre pas les laissez-passer nécessaires. Ceux vers le Soudan sont peu fréquents : ils sont susceptibles d'être contestés devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

La plupart des personnes expulsées ce lundi s’étaient rassemblées à proximité de l’église Saint-Bernard, quelques heures après l’expulsion de La Chapelle. Elles avaient trouvé refuge pour une nuit rue Saint-Bruno, dans une salle accueillant des associations, avant de passer la nuit suivante dans le square, non loin de là. Mais les forces de l’ordre avaient fini par les encercler, vendredi, et les avaient sommées de quitter les lieux. S’en était suivie une opération ubuesque au cours de laquelle les gendarmes avaient tenté de les disperser en les contraignant à prendre le métro à La Chapelle. Mais le signal d’alarme ayant été tiré, la rame a été évacuée. Les migrants s’étaient retrouvés autour de la halle Pajol.

La mairie de Paris n'a pas réagi aux événements de la journée. La préfecture seule a justifié son opération auprès de quelques journalistes. Les pouvoirs publics parent au plus pressé. Leur intention est d'empêcher qu'un campement ne se reforme quelque part dans la capitale, alors que les arrivées via la Méditerranée au départ de la Libye se multiplient ces derniers jours : près de 6 000 personnes ont été secourues le week-end dernier et sont arrivées en Italie. Directeur général de France terre d'asile, association qui a participé au « recensement » pour le compte de la mairie, Pierre Henry maintient son soutien. « Au-delà des postures et agitations diverses, l’évacuation du “sous-camp” de la Chapelle, malgré les critiques qui lui sont adressées, a tout de même permis à 160 demandeurs d’asile d’être protégés de manière durable, dont 62 ont d’ores et déjà été reconnus réfugiés statutaires, et à 70 personnes vulnérables d’être prises en charge par la mairie de Paris », indique-t-il dans un communiqué, tout en fustigeant les « démonstrations de force ».

La stratégie de l'invisibilité est rodée, mais inefficace à moyen et long terme. Aucune réponse durable n’a été élaborée pour accueillir ou orienter ces milliers de migrants et réfugiés qui fuient la guerre ou la misère. L'évacuation « sanitaire et humanitaire » promise par les autorités n'est plus de mise. D'autant que les dizaines de personnes qui ont accepté les nuits d'hôtel social en Île-de-France, après l'expulsion de La Chapelle, se retrouvent à la rue ce mardi 9 juin.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Hotplug SATA sous linux


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles