C’est un étrange imbroglio en marge de l’affaire Adidas-Crédit lyonnais : le procureur général de la cour d’appel de Paris, François Falletti, et le bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, Pierre-Olivier Sur, entretiennent depuis plusieurs semaines une inhabituelle correspondance pour savoir s’il est opportun d’engager des poursuites disciplinaires contre Me Maurice Lantourne, l’avocat historique de Bernard Tapie. Mais pour l’instant, le premier des deux a clairement fait comprendre qu’il ne prendrait pas une telle initiative ; et le second hésite encore à le faire.
En droit, les procédures disciplinaires visant des avocats sont de la compétence partagée du bâtonnier et du procureur général. Le premier a en effet la liberté d’ouvrir une telle procédure, s’il estime que l’un de ses confrères a commis des manquements graves aux règles qui encadrent la profession. Mais pour éviter que de possibles conflits d’intérêts ou des réflexes corporatistes ne freinent de telles initiatives, le procureur général près la cour d’appel a aussi ce pouvoir.
Au lendemain de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, en date du 17 février dernier, qui a annulé le célèbre arbitrage en faveur de Bernard Tapie, les mises en cause visant Me Maurice Lantourne ont commencé en effet à faire débat. Déjà mis en examen en même temps que Bernard Tapie pour « escroquerie en bande organisée » dans le volet pénal de l’affaire, l’avocat était également visé par les attendus très sévères de cet arrêt du 17 février, rendu dans son volet civil.
Pour mémoire, voici cet arrêt :
Pour justifier l’annulation de l’arbitrage, l’arrêt impute en effet à Me Maurice Lantourne des faits qui ont été mis au jour à la faveur des perquisitions pénales, et qui pourraient être constitutifs des manquements ouvrant la possibilité d’une procédure disciplinaire. Celle-ci conduirait à des sanctions pouvant aller jusqu’à la radiation.
Sans préjuger du sort judiciaire que va connaître Me Lantourne à l’issue de la procédure pénale, l’arrêt retient qu’il est l’un des auteurs de la fraude à l’arbitrage qui a donc conduit à l’annulation de la sentence arbitrale. Le rôle de Maurice Lantourne est longuement détaillé dans l’arrêt, et notamment ses relations avec l’arbitre Pierre Estoup à la base de l’annulation de la sentence. L’arrêt relève aussi par exemple (à la page 23) que l’avocat a produit un document lors de l’arbitrage Tapie dans un « but dolosif », c’est-à-dire mensonger, pour faire croire qu’une note établissant un lien entre lui-même et l’un des arbitres, Pierre Estoup, ne concernait pas l’arbitrage Tapie mais un autre arbitrage, alors qu’elle démontrait au contraire leur proximité, sinon leur complicité.
Cette fraude constatée par la cour d’appel pourrait donc ouvrir la possibilité d’une procédure disciplinaire contre l’un des auteurs de la fraude qui, étant avocat, a en plus des devoirs particuliers.
Avec d’autres, ce fait pourrait donc ouvrir la possibilité d’une procédure disciplinaire. C’est du moins, selon nos informations, ce qu’aurait estimé le bâtonnier – qui n’a pas retourné nos appels. Une telle procédure est en effet possible dès à présent, pour deux raisons. D’abord parce qu’il y a une autonomie de la procédure disciplinaire : autrement dit, elle peut fréquemment se dérouler, sans avoir à attendre une éventuelle condamnation pénale. Ensuite, parce que cette avancée de la procédure disciplinaire pourrait être, dans le cas présent, justifiée par un fait détachable de la procédure pénale elle-même – ce qui est le cas de ce document établi dans un « but dolosif ».
L’ennui, c’est que Pierre Olivier Sur sait lui-même qu’il doit agir avec beaucoup de circonspection. D’abord, il a été l’avocat du Consortium de réalisation (CDR), la structure publique de défaisance de l’ex-Crédit lyonnais qui a obtenu l’annulation de l’arbitrage. Même si l’avocat s’est déporté depuis qu’il est devenu bâtonnier, son confrère pourrait lui faire grief d’être en conflit d’intérêts. De surcroît, un conflit privé a opposé les deux avocats.
On devine donc sans peine que, pour une fois, le bâtonnier de Paris serait bien soulagé que l’initiative d’une procédure disciplinaire vienne non pas de lui-même mais du procureur général. D’autant – pour compliquer le tout –, que Me Maurice Lantourne a pris pour avocat Paul-Albert Iweins qui est, comme on dit dans la profession, le bâtonnier doyen, c'est-à-dire une personnalité ayant une forte influence.
L'autre solution viendrait donc du procureur général, François Falletti. Mais celui-ci n’a pas pris l’initiative de lancer par lui-même cette procédure disciplinaire contre Me Maurice Lantourne. Fait très inhabituel, il a même pris la plume par deux fois pour inviter le bâtonnier à agir de son côté avec beaucoup de circonspection. Certes, il ne l’a pas dissuadé de le faire. Dans le premier courrier, il lui dit même qu’il lui « laisse le soin d’apprécier l’opportunité » d’engager une procédure « immédiatement ». Et dans le second courrier, il poursuit : « Je comprends que l’ouverture immédiate d’une procédure disciplinaire puisse vous paraître opportune. »
Mais dans les deux cas, le procureur général rappelle avec insistance que l’arrêt du 17 février est frappé d’un pourvoi, que la procédure pénale est toujours en cours et qu’il faut donc bien veiller au respect de la présomption d’innocence. Mediapart a interrogé de nombreux avocats et, parmi les plus anciens, aucun ne se souvient d’une telle intervention d’un procureur général.
Avec un procureur général qui ne veut pas agir et un bâtonnier qui est gêné aux entournures, on est donc dans une situation de blocage. Dans l’entourage du bâtonnier, on admet que diverses solutions sont pourtant en réflexion, dont un possible dépaysement de la procédure…
BOITE NOIREDeux heures après la mise en ligne de cet article, j'ai apporté quelques précisions sur les faits qui sont imputables à Me Lantourne et qui sont à l'origine de ce débat sur une éventuelle procédure disciplinaire.
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