Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Argent des partis : le gouvernement veut réparer la bourde qui profite au FN

$
0
0

Avis aux trésoriers : la justice vient de s’apercevoir qu’elle ne pouvait plus engager la moindre poursuite à l’encontre d’un parti politique qui serait illégalement financé par une entreprise privée. Alors que les dons des personnes morales (sociétés, associations, etc.) sont interdits depuis 1995, la sanction prévue a été supprimée par inadvertance du code pénal à l’été 2013, lors des débats parlementaires sur les lois « transparence ». Un amendement rédigé par un sénateur étourdi a fait sauter le bout de phrase qui définissait la peine – jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende.

Alors que cette situation pousse-au-crime dure déjà depuis un an et demi, elle avait échappé à la quasi-totalité des observateurs jusqu’à mercredi dernier, date à laquelle le trésorier du FN a exploité cette faille juridique en plein milieu de son audition par les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi. Justement convoqué en vue de sa mise en examen pour « acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale », Wallerand de Saint-Just est ressorti avec le statut de simple « témoin assisté », fier de sa trouvaille. « Il suffisait de regarder sur internet, se félicite l’ancien avocat. Les juges citaient un texte abrogé ! »

Le ministre de l'Intérieur, B. Cazeneuve. Ses services réfléchissent au meilleur moyen de réparer la bourde de 2013Le ministre de l'Intérieur, B. Cazeneuve. Ses services réfléchissent au meilleur moyen de réparer la bourde de 2013 © Reuters

Aujourd’hui, c’est tout un pan de l’instruction qui s’en trouve fragilisé – celui qui menaçait le plus directement le parti de Marine Le Pen, notamment soupçonné d’avoir bénéficié du soutien financier de la société de communication Riwal (sous forme d’embauches ou de délais de paiement). « Le dossier se poursuit », relativise toutefois une source judiciaire, soulignant que l’enquête vise d’autres délits, en particulier des soupçons de « faux et usages de faux », d’« escroquerie » et d’« abus de biens sociaux » (voir le détail dans cet article). Le parquet de Paris s’efforce de trouver quelque parade mais le mal est fait.

Pour prévenir d’autres déconvenues, le législateur doit surtout combler le vide juridique au plus vite. « Le problème est pris en compte, assure-t-on au cabinet du ministre de l’intérieur, en première ligne. On sait qu’il faut trouver un véhicule législatif [pour réintroduire la sanction dans le code pénal]. Ça devrait être calé d’ici le 15 juin, mais ça va prendre quelques jours. » Alors que des réunions interministérielles sont nécessaires avec la Justice, un contre-la-montre est lancé.

« On peut rédiger une proposition de loi spécifique, réfléchit d’ores et déjà le sénateur « fautif », le socialiste Jean-Pierre Sueur, bien ennuyé. Mais ça ne peut pas se faire en un mois. Cette solution suppose de trouver une place pour l’inscrire à l’ordre du jour », déjà très encombré. « On peut aussi glisser un amendement dans un projet de loi déjà programmé, poursuit le parlementaire. Mais alors il faut un texte qui porte vaguement sur le sujet, sinon c’est un "cavalier" », c’est-à-dire un « hors-sujet » que le conseil constitutionnel se chargerait de retoquer.

« Cette histoire apporte de l’eau à mon moulin », réagit de son côté le député Romain Colas (PS), récemment chargé par la commission des finances d’un rapport sur le financement de la vie politique. Depuis quelques semaines déjà, l’élu songeait à déposer une proposition de loi beaucoup plus globale pour « moderniser » la législation et injecter une dose supplémentaire de contrôle et de transparence, sans savoir s’il mobiliserait les foules – le sujet encombre à droite comme à gauche... « Là je vais accélérer », rebondit Romain Colas, motivé par les scandales à répétition à l'UMP (Bygmalion) autant qu'au FN (prêts russes, etc.), et qui compte profiter de cet épisode pour « vendre » son idée mardi matin à la réunion du groupe socialiste de l’Assemblée. « Je vais essayer d’obtenir l’accord du gouvernement. »

Alors qu’il mène des auditions de spécialistes depuis des semaines, personne n’avait mentionné devant lui la bévue de 2013, ni l’urgence de la réparer, assure le député. Il semble pourtant que certains aient identifié le problème il y a déjà quelque temps, notamment à la Commission nationale des financements politiques (la CNCCFP, chargée de contrôler les comptes de campagnes). Sollicitée lundi, cette autorité indépendante s’est refusée à tout commentaire. Bizarrement, son rapport d’activité de mai dernier, qui listait des mesures indispensables pour renforcer la législation, ne pipait mot sur le sujet.

L’histoire de la « bourde » de 2013 en dit long, en tout cas, sur les conditions dans lesquelles travaille le parlement français. Initialement concocté par le gouvernement en réponse à l’affaire Cahuzac, le projet de loi sur la « transparence » a été amendé une première fois par les députés, pour y glisser une mesure visant à contenir le phénomène des micro-partis (en plafonnant à 7 500 euros le montant qu’une personne peut donner chaque année, non plus par formation politique mais tous partis confondus). Une initiative bienvenue.

L’Assemblée n’ayant pas anticipé 100 % des conséquences, le Sénat a dû introduire un nouvel amendement précisant les responsabilités exactes des trésoriers – pas question qu’ils risquent des poursuites judiciaires dans les cas où ils ne disposent d’aucun moyen de vérifier le respect du plafond légal par leurs donateurs. Le socialiste Jean-Pierre Sueur s’en est chargé.

Concentré sur les dons accordés par les personnes physiques, il a omis de reprendre dans son amendement la peine prévue en cas de dons provenant d’une personne morale. « Personne n’a vu le truc », souligne aujourd’hui l’élu. Ni ses collègues ni les députés. Ni les administrateurs du Sénat (des fonctionnaires spécialisés) ni ceux de l’Assemblée. Ni les services des ministères concernés ni les cabinets. Ni d’ailleurs les professeurs de droit ni les journalistes spécialisés. Sur ce texte, le gouvernement avait imposé la procédure dite « accélérée », qui prévoit un seul examen par chambre, au lieu de deux ordinairement. « Deux lectures, c’est une garantie juridique… », rappelle Jean-Pierre Sueur.

Faute de temps, le parlement français travaille mal. En 2009 par exemple, une polémique avait déjà éclaté après l’élimination malencontreuse d’une disposition qui prévoyait la dissolution de toute personne morale condamnée pour escroquerie. Directement menacée, c’est l’Église de scientologie, à l'époque, qui s’était frotté les mains.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Hotplug SATA sous linux


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles