Dans toutes les usines de France, leur journée de travail terminée, des contremaîtres et des chefs d’équipe regagnent leurs pénates en chaussures de sécurité, gants et bleu de travail. Ils le font par confort, commodité, pour gagner cinq minutes en n’ayant pas à repasser par la case “vestiaires”. À l’usine PSA-Peugeot-Citroën de Poissy, en région parisienne, où l’on fabrique la C3, « c’est le cas depuis toujours », dit un syndicaliste. Et la direction ne s’est jamais offusquée de cet usage qui n’a jamais choqué personne. Jamais elle n’a crié au voleur. Mais le traitement réservé aux uns n’est pas celui qu’elle réserve aux autres : les ouvriers, les opérateurs, sur les chaînes de montage.
Alex en témoigne. Il a 33 ans, trois enfants et bientôt plus de travail. Ce mardi 9 juin à midi, il sera fixé sur son sort à l’issue d’un entretien préalable en vue d’un licenciement. La lettre recommandée est tombée la semaine dernière et « c’est comme si on m’avait coupé la respiration », raconte ce salarié sans histoires, non syndiqué, entré il y a dix ans chez PSA.
La direction lui reproche d’avoir fait main basse sur une paire de gants usagés, trouvée dans son sac lors d’un contrôle inopiné à la sortie de l’usine, comme la direction en met en place régulièrement. Des gants de paluchage, très précisément, qui ressemblent à des gants de base-ball, destinés à palucher la tôle (la caresser jusqu’à ce qu’elle soit bien lisse). « Des gants tellement énormes et usés que vous ne pouvez rien faire avec, ni du bricolage, ni du jardinage », remarque le délégué central syndical Jean-Pierre Mercier, l’ancien leader CGT des PSA-Aulnay qui a rejoint le site de Poissy.
Alex se souvient très bien de ce jour de mai où il a mis cette paire de gants dans son sac. Dans son atelier, l’emboutissage (où l’on fabrique la tôle des voitures), vingt hectares de surface, les pénuries de gants sont légion. Et Alex craignait de ne pas avoir sa paire, comme souvent. Il plaide l’oubli : « Je n’ai jamais eu l’intention de voler ces gants. D’ailleurs, au moment du contrôle, j’avais ouvert mon sac machinalement avant même que le gardien me demande de l’ouvrir. » Il n’ose imaginer qu’il va se retrouver à la porte « pour une histoire de gants », perdre son emploi qui lui rapporte 1 300 euros net par mois primes comprises, le seul salaire du foyer, sa femme ne travaillant pas.
« C’est la peine de mort. On lui coupe la tête. » Pour la CGT PSA-Poissy, le cas d’Alex est « une nouvelle illustration de la politique ignoble et arbitraire » conduite par la direction sur ce site des Yvelines passé début 2015 à une seule ligne de montage contre deux auparavant. Le syndicat appelle ce mardi à un débrayage et un rassemblement de soutien devant l’usine en fin de matinée, quand les équipes du matin croiseront celles du soir. Une pétition réclamant le refus du licenciement d’Alex a déjà recueilli plus de 250 signatures. « Nous sommes tous sous le choc. C’est du jamais vu, un salarié qui se fait virer pour une paire de gants usés ! On attendait un avertissement, une mise à pied », s’emporte Jean-Pierre Mercier, longtemps employé sur le site d’Aulnay en Seine-Saint-Denis, qui a pourtant connu les pires méthodes du groupe tout au long de sa carrière de syndicaliste.
Selon lui, il ne s’agit pas là d’un acte isolé. La convocation d’Alex intervient quelques semaines après le licenciement brutal de deux ouvrières : Yamina, 49 ans, en poste adapté du fait d’une invalidité, et Najat, la trentaine. Ces opératrices qui montent la câblerie sur les tableaux de bord des véhicules ont été licenciées pour faute grave, même pas le premier degré du licenciement (sans cause réelle ou sérieuse), pour s’être disputées sur la ligne de montage, verbalement, jamais physiquement ! Soit zéro indemnité de licenciement, seul un solde de tout compte et un aller simple pour Pôle emploi.
C’était un jour de grande fatigue, d’une grande banalité. « Dans toutes les entreprises, des salariés s’engueulent. Mais à PSA, c’est un motif de licenciement chez les ouvriers », note la CGT. Les deux salariées ont entamé une action en justice devant les prud’hommes et ont pris le même avocat pour les défendre. « Elles bossent ensemble sur la même chaîne depuis des années, explique Jean-Paul Mercier. Deux semaines après leur dispute, tout était oublié, elles rigolaient ensemble mais un recommandé de la direction les attendait pour les licencier. » S’il a l’espoir que la mobilisation des collègues sauve Alex, il ne se fait pas d’illusion pour la réintégration de Yamina et Najat: « Il faudrait une grande grève, paralyser la production du site. »
Jean-Pierre Mercier dénonce des sanctions « disproportionnées », un « deux poids, deux mesures ». Il cite en exemple le cas de deux chefs de service qui se sont récemment battus dans les ateliers de Poissy avec force coups de poing. « Il n’y a pas eu de licenciement et tant mieux pour eux. Tout le monde le sait dans l’usine. Ils ont été convoqués par la direction mais on ignore les sanctions retenues à leur encontre. » Pour lui, ces mesures disciplinaires « injustes et injustifiées » sont « l’outil de la direction pour dégraisser Poissy en sur-effectif sans faire de plan social sec ». PSA-Poissy est l’un des sites les plus fragilisés du groupe, avec une production qui va passer de 255 000 véhicules en 2014 à 140 000 en 2017. L'usine recourt déjà régulièrement au chômage partiel.
Contactée, la direction du site de Poissy n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
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