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Le «parrain des parrains» Michel Tomi a ses entrées au cœur des services français

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Il y a les liens du sang et ceux de l’argent. Parfois, il y a les deux ensemble. Un lieutenant de l'homme d'affaires corse Michel Tomi, surnommé le “parrain des parrains”, a affirmé sur procès-verbal à la police judiciaire remettre régulièrement de fortes sommes d'argent en espèces à Paul-Antoine Tomi, frère de Michel et... commissaire à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Cette déposition, datée de juin 2014 et qui n’avait jamais été éventée jusqu’ici, interroge la nature exacte des relations entre les deux frères : l’un policier, en poste à la direction technique de l'un des plus importants services secrets français, et l’autre cible régulière des policiers. Elle apparaît aussi comme un nouveau révélateur, au-delà de ce seul cadre familial, des admirables connexions policières (que ce soit au sein de services de renseignement ou de la police judiciaire) de Michel Tomi, pourtant déjà condamné dans plusieurs affaires financières en lien avec la mafia corse.

Michel Tomi, au second plan, derrière son associé assassiné Robert Feliciaggi.Michel Tomi, au second plan, derrière son associé assassiné Robert Feliciaggi. © Reuters

C’est dans le cadre d’une enquête judiciaire dirigée depuis 2013 par le juge financier Serge Tournaire, qui vaut actuellement au “parrain des parrains” une nouvelle mise en examen pour corruption (parmi dix-sept chefs d’inculpation…), que l’un de ses principaux hommes de main en France s’est mis à table devant les policiers de l’Office anti-corruption.

Interpellé le 18 juin 2014 au petit matin, à son domicile parisien, Valentin R., à la fois chauffeur de luxe et convoyeur d’espèces au service du clan Tomi, s’est montré particulièrement bavard face aux enquêteurs. Beaucoup plus, de fait, que dans deux écoutes téléphoniques de l’automne 2013 qui ont longtemps intrigué les policiers. Valentin R. y multipliait les sous-entendus avec une bonne connaissance : le frère de son patron, Paul-Antoine.

Dans la première écoute, du 3 septembre 2013, on entend par exemple un Paul-Antoine Tomi insistant auprès du lieutenant de son frère : « Dis-moi quand est-ce qu’on peut se voir ? » Valentin, surnommé affectueusement « Valentino » par son interlocuteur, temporise : « Heu… pour l’instant, heu… Je t’appelle. Je te dirai […] Pour l’instant, j’attends aussi, j’attends confirmation, d’accord ? »

Dans la deuxième écoute, datant cette fois du 25 novembre 2013, les échanges sont à peine plus clairs :

  • Paul-Antoine Tomi : « C’est pour savoir quand on peut se voir parce que je vais partir demain matin en Corse pour toute la semaine ».
  • Valentin R. : « J’ai eu un appel hier soir et on m’a dit que ça allait sûrement arriver. »

Qu’est-ce qui devait « arriver » ? Après 24 heures de garde à vue, Valentin R. n’en fera pas mystère : « Paul-Antoine demande à me rencontrer pour savoir si son frère a de l’argent à lui donner. » Il précise : « Il lui donne environ 20 000 à 25 000 euros par an en espèces répartis tous les trois mois environ. » Les policiers lui demandent ensuite si le commissaire à la DGSI lui communique des informations récoltées par la police sur son frère. Valentin R. est catégorique : « Pas du tout. »

Les policiers sont également parvenus à intercepter une conversation entre Michel Tomi et un interlocuteur identifié comme étant son commissaire de frère. Datée du 9 octobre 2013, cette écoute est révélatrice des précautions prises par les deux hommes pour échanger à l’abri des oreilles extérieures :

  • Michel Tomi : « Allo ? »
  • Paul-Antoine Tomi : « Allo »
  • Michel : « Ouais… Ça va ? »
  • Paul-Antoine : « Je peux te donner un numéro de téléphone ? »
  • Michel : « Ouais, attends. Ne bouge pas, comme ça je t’appelle d’un coin tranquille… Moi-même j’en ai un là. Je ne suis pas tranquille. Vas-y ! »
  • Paul-Antoine : « 07.XX.XX.XX.XX ».

De toute évidence, le “parrain des parrains” se sait écouté ; son frère, lui, ne voudrait pas l’être. D’après le journaliste Pierre Péan, auteur d’un récent ouvrage sur la mafia corse, Compromissions (Éd. Fayard), Paul-Antoine Tomi n’aurait jamais dû obtenir son habilitation secret défense en raison de sa vulnérabilité, liée à son environnement familial. Son dossier d’habilitation ne comporterait d’ailleurs pas la mention de son lien avec Michel Tomi, selon Péan.

Quoi qu’il en soit, Paul-Antoine Tomi est bel et bien en poste. Il fut ainsi en janvier dernier l’un des responsables techniques de la DGSI présents Porte de Vincennes, au moment de l’assaut contre la prise d’otages de l’HyperCasher, selon nos informations. Sollicité à plusieurs reprises, il n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Cela fait des années que son nom apparaît dans des procédures policières visant son frère richissime, installé depuis plusieurs décennies en Afrique – au Gabon, au Cameroun et au Mali – où il a bâti un empire sur les jeux, les paris sportifs, le PMU, l’aviation et l’immobilier.

Dans un rapport de synthèse de mai 2007 de la Brigade nationale de répression du banditisme et des trafics (BNRBT), consacré à Michel Tomi dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat en 2006 à Ajaccio de son associé historique, Robert Feliciaggi, on pouvait notamment lire ceci : « À Paris, où il vient une à deux fois par mois, il [Michel Tomi – ndlr] rencontre son frère Paul-Antoine Tomi, commissaire de police à la Défense. » L’auteur du rapport précisait immédiatement : « Ses relations dans la capitale sont principalement liées au monde affairiste. »

Michel Tomi, entendu en mai 2010 comme témoin dans cette même enquête criminelle, avait quant à lui présenté avec pudeur son entourage familial : « J’ai deux frères et trois sœurs […] Paul-Antoine, qui a 41 ans, qui est commissaire de police. » Il évoquait également l’existence d’une sœur « magistrat au parquet parisien ». Celle-ci a été, jusqu’en 2011, substitut du procureur au tribunal des armées. Pour un haut responsable policier rencontré par Mediapart, la facilité de Michel Tomi à être en prise directe avec les institutions qui le traquent à intervalles réguliers depuis plus de trente ans est « un vrai problème ».

Hors procédures judiciaires, les anecdotes, dont il est toujours difficile de vérifier le caractère exagéré ou non, pullulent. Que ce soit sur son frère Paul-Antoine, encore lui, qui se serait fait offrir par Michel un 4×4 BMW et qu’il a dû rendre après que la rumeur de l’embarrassant cadeau est devenue trop insistante parmi ses collègues. Ou que ce soit au sujet d’un commandant de la PJ, chargé par sa hiérarchie d’aller au contact de Michel Tomi et qui est apparu au fil de ses rencontres sous l’emprise de sa “cible”. À tel point que les Renseignements généraux de la préfecture de police de Paris ont dû enquêter discrètement sur le commandant, soupçonné de passer un peu trop de temps avec le “parrain des parrains”.

Les liens entre Michel Tomi et le monde policier français ne datent pas d’aujourd’hui. Ils remontent aux années 1990, lorsque Charles Pasqua, l’un de ses proches, était ministre de l’intérieur. Et ils ne se sont jamais taris depuis. L’homme qui incarne le mieux ces entrelacs d’affaires et de services, qui se nouent entre Paris, la Corse et l’Afrique, est sans conteste Bernard Squarcini.

L’ancien patron de la DCRI (ancêtre de la DGSI) sous Sarkozy, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations, n’est jamais très disert lorsqu’il s’agit de parler du “parrain des parrains”. À peine se contente-t-il de louer son entregent : « Michel Tomi, c’est quelqu’un qui connaît mieux que quiconque les dessous de l’Afrique et qui a un relationnel particulier aux chefs d’État avec laquelle la France doit opérer… Il travaille pour le drapeau », affirmait-il le 4 juin 2014 dans les colonnes de L’Express.

L'ex-patron de la DCRI, Bernard Squarcini, et l'ancien ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux, en juin 2010.L'ex-patron de la DCRI, Bernard Squarcini, et l'ancien ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux, en juin 2010. © Reuters

Quinze jours après ces déclarations, l’homme qui « travaille pour le drapeau » est mis en examen pour « corruption d’agents publics étrangers », concernant ses rapports avec les présidents du Gabon et du Mali. Au milieu de l’instruction menée depuis un an sur l’empire Tomi, surgit un nom que les enquêteurs connaissent bien : celui de Bernard Squarcini. C’est en s’intéressant aux nombreux marchés pour lesquels le “parrain des parrains” joue les “intermédiaires”, et plus précisément à ceux décrochés par une société française de sécurité baptisée Gallice Sécurité, que la police fait cette étonnante trouvaille.

Dirigée par Frédéric Gallois, un ancien du GIGN, Gallice Sécurité a, comme bien d’autres entreprises, bénéficié d’un « coup de main » du Corse pour signer un contrat portant sur la protection rapprochée du président malien, Ibrahim Boubakar Keïta. Comme souvent dans le système Tomi, ledit contrat souffre, selon la police, d’irrégularités (prestations « artificiellement gonflées », transferts d’argent sur une obscure SCI…). Malgré la réputation de l'homme d'affaires corse, Gallois, qui réfute toute malversation, s'est senti en confiance. Et pour cause : la personne qui l’a présenté au “parrain des parrains” n’est pas n’importe qui.

« J’ai été mis en relation avec M. Michel Tomi en septembre 2013 suite à un conseil de l’ancien chef de la DCRI, M. Bernard Squarcini, qui a prétendu me présenter une personne de confiance », raconte-t-il au juge Tournaire, le 20 juin 2014. À l’époque, celui que l’on surnomme le “Squale” s’est reconverti dans le privé. Avec sa société Kyrnos Conseil – le premier nom donné à la Corse par les Grecs –, il travaille depuis quelques mois pour le compte de Gallice Sécurité qu’il aide à « décrypter le fonctionnement de l'appareil d'État gabonais ». Lors d’une perquisition, deux factures, « liées à du “lobbying” au Mali et au Gabon », ainsi qu’un contrat de consultant avec Kyrnos Conseil, sont d’ailleurs retrouvés au siège de l’entreprise.

Aux dires de l'ancien gendarme du GIGN, Squarcini connaît parfaitement les arcanes du Gabon. C’est d'ailleurs dans ce pays qu’il a décidé de créer, en 2011, une antenne de la DCRI à la tête de laquelle il avait projeté un temps d’installer Paul-Antoine Tomi, rapporte Pierre Péan. Cette antenne, dont l’utilité reste à ce jour un grand mystère, a été supprimée par Manuel Valls dès son entrée au ministère de l’intérieur en mai 2012.

C’est aussi au Gabon que le fils du “Squale”, Jean-Baptiste, s’est exilé après des mésaventures marseillaises en marge de l’affaire Guérini. Il y occupe aujourd’hui encore le poste de chef de service à l'Agence nationale des parcs nationaux. Mais promis juré, cela n’a rien avoir avec Tomi. « Je ne fais pas d'affaires avec Tomi ! Ce n'est pas un ami », martelait le “Squale” au Monde en mars 2014. C’est pourtant bien par son intermédiaire et en sa présence que Frédéric Gallois a rencontré le “parrain des parrains” dans un hôtel parisien à l’automne 2013.

Quand il s’agit de renseignements policiers, la liaison entre le Gabon, Paris et la Corse est quasi directe. C’est ce que comprend l’ancien nationaliste Alain Orsoni dans la soirée du 3 juin 2009, en recevant un SMS émanant d’un téléphone gabonais, sur lequel est simplement écrit « APP URGENT ». Depuis son village de Corse-du-Sud, Vero, l’ex-leader du mouvement pour l'autodétermination (MPA), s’exécute sur-le-champ.

L'ancien leader nationaliste Alain Orsoni.L'ancien leader nationaliste Alain Orsoni. © Reuters

Au bout du fil, un homme qui dit le connaître du « poker » et fait référence au « pays d’en bas », lui explique en langue corse qu’une « fête » doit se dérouler le lendemain matin chez lui et que son fils, Guy, est « dedans » parmi les « 15 qui sont avec ». Le mystérieux interlocuteur précise même : « Ils m'ont appelé maintenant pour me dire cette affaire. » Codé, le message n’en est pas moins clair.

Une opération policière est en effet prévue pour le 4 juin dans le but d’arrêter Guy Orsoni et certains de ses proches dans le cadre d’une enquête ouverte des chefs de meurtre en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un meurtre en bande organisée. Le fils d’Alain Orsoni est censé être interpellé à 6 heures à son domicile. Mais à l'arrivée de la police, il n'y a personne. Guy s'est enfui.

Rapidement, les enquêteurs découvrent que l'homme qui a prévenu Alain Orsoni n’est autre que Jean-Baptiste Tomi, le fils de Michel, qui a été de toutes les affaires africaines de son père, avant d’émigrer aux Émirats arabes unis courant 2013. Mieux, les policiers apprennent qu’une demi-heure avant cette conversation, « Bati » Tomi, comme on le surnomme, avait reçu un appel de Frédéric Bongo, redoutable directeur des renseignements gabonais et frère du président Ali Bongo.

Frédéric Bongo se trouvait alors en France où il effectuait un stage à l'école des officiers de la gendarmerie nationale. Protégé par son immunité diplomatique, il n’a jamais été entendu par les enquêteurs. Impossible, dans de telles conditions, de savoir d’où il tenait l’information qui a permis la cavale de Guy Orsoni. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que le frère du président gabonais avait fréquenté au même moment des agents de la DCRI.

Jean-Baptiste Tomi, lui, a dédouané son oncle Paul-Antoine, tout en continuant de nier que Frédéric Bongo l'ait informé. Condamné en 2012 à 100 000 euros d’amende pour « recel de violation de secret d’instruction », il n’a jamais révélé sa source. Cité comme témoin fin mai au procès Orsoni, il ne s'est pas présenté à la barre. Les secrets sont bien gardés.

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