Ce devait être le premier grand sujet de débat des “Républicains”. C’est finalement devenu une réunion à huis clos dont on ne saura rien. Jeudi 4 juin, quelques jours seulement après son congrès refondateur, le parti d’opposition a accueilli en son siège de la rue de Vaugirard une poignée de personnes venues discuter d’une problématique sur laquelle Nicolas Sarkozy s’est jeté dès son retour en politique. Le chômage ? L’éducation ? La crise ? Non. L’islam.
Depuis qu’il a eu la brillante idée de mettre à l’agenda une réflexion sur « ce que l’islam peut faire pour devenir l’islam de France », le patron de l’ex-UMP s'est attiré de nombreuses critiques. Et comme toujours dans ce parti si rassemblé, les attaques les plus virulentes sont venues de l’intérieur. Mi-mai, Nathalie Kosciusko-Morizet, pourtant associée dans un premier temps au projet, dénonçait « une mauvaise idée ». C’est ensuite Alain Juppé, défenseur d’une « identité heureuse », qui embrayait dans Le Figaro : « Arrêtons de nous focaliser sur le foulard ! »
Quant à Bruno Le Maire, il confiait encore récemment à Mediapart que le sujet de l’identité, tel qu’il était traité depuis des années par la droite, ne l’intéressait guère. « En parler alors qu’il y a 3 millions de chômeurs ne me semble pas une priorité. Je suis entré en politique, pas dans un séminaire. » Nombreux pensaient en avoir fini avec les stigmatisations, les dérapages racistes et les dérives frontistes qui ont jalonné le quinquennat Sarkozy. Certains se prenaient même à s'imaginer en vrais “Républicains”. Mais le roi des clivages est revenu. Avec la même ambition. Et les mêmes obsessions.
Nicolas Sarkozy peut continuer de jouer la carte de l'apaisement, de la sérénité et du calme jusqu'à plus soif. Il peut aussi expliquer qu'il aborde tous les sujets, y compris ceux qui fâchent, car « c’est jamais un problème » de « parler », de « travailler », de « réfléchir ». Il peut prendre un air pénétré lorsque ses adversaires en interne s'expriment. Il peut leur faire croire qu'il les écoute, que leur parole compte. Rien n'y fait. L'ex-chef de l'État est dans le paysage politique depuis bien trop longtemps pour continuer à tromper son monde.
Ainsi, ils sont de moins en moins nombreux à vouloir le suivre quand il s'emballe sur une idée. Le nom des “Républicains” n'a suscité aucun enthousiasme. Le congrès a été placé sous le signe de l'ennui. Le débat sur l'islam n'a passionné personne. Et à part Christian Estrosi et ses « cinquièmes colonnes » de « l'islamo-fascisme », on voit mal qui pourrait piocher des idées dans le rapport que remettront prochainement les députés Henri Guaino et Gérald Darmanin sur le sujet.
Le patron de l'opposition n’est donc même pas capable de réunir ses troupes autour d'une thématique qui lui tient à cœur. Pire encore, il se voit contraint de faire « pression » sur le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) – instance qu’il a pourtant créée en 2003 quand il était à Beauvau – afin que ce dernier accepte de participer à la réunion de jeudi. Pour quelqu’un qui se veut rassembleur, c’est raté. Pour quelqu'un qui souhaite incarner l'autorité, c'est raté aussi.
Que reste-t-il de cette journée dont Guaino et Darmanin avaient prévenu qu'elle ne ferait « l'objet d'aucune communication sur le contenu des échanges, ni sur les enseignements auxquels ils pourraient conduire » ? Une polémique. Des divisions. Quelques petites phrases. Bref, pas grand-chose. En revanche, la façon dont les choses se sont passées nous permettent de tirer un certain nombre d'enseignements sur les luttes de pouvoir menées rue de Vaugirard, ces batailles que le rideau de communication tendu par les sarkozystes cache la plupart du temps.
Aussi comprend-on que le « rassemblement », dont le patron de l'opposition se veut le grand ordonnateur, n’est rien d’autre qu’un village Potemkine duquel ses adversaires essaient tant bien que mal de s'échapper. Quant à l’antienne “j’ai changé”, c'est elle aussi un gros mensonge. En 2015, comme en 2012, l'ex-chef de l'État plonge dans la question identitaire pour essayer de repêcher les électeurs du FN. Le contenant « identité nationale » est devenu « la République », mais le contenu reste le même. La laïcité n'est plus « positive », elle est rigoriste. Surtout quand il s'agit de parler de l'islam.
Car si les crèches dans les mairies ne posent apparemment pas de problème, le port du foulard à l'université, les menus de substitution et, plus largement, la question de l’« assimilation » dont Sarkozy aimerait qu'elle remplace l'« intégration », sont devenus, dans sa bouche, des enjeux cruciaux pour notre société. En se crispant sur ce type de sujets, le patron de l'opposition prouve qu'il est complètement déconnecté de la réalité.
Quand il part à la rencontre des Français, c’est face à des salles pleines de militants acquis à sa cause, qui jamais ne le contrediront. Ce fut le cas samedi 30 mai, au congrès refondateur des “Républicains”. Quelque 10 000 personnes qui applaudissent un homme politique comme des fans applaudiraient Johnny Hallyday, cela fait toujours son petit effet sur le moment. On se dit forcément que l'on est dans le juste. On continue dans cette voie. On s'entête.
Alors oui, le noyau dur du parti pense certainement, comme Nicolas Sarkozy, que l’islam est une telle problématique en France qu’elle mérite de passer devant toutes les autres dans la file d'attente des priorités politiques. Que l’on trouvera bien un moment, plus tard, pour parler d’emploi, d’éducation ou d’économie. Des sujets certes moins vendeurs que l'immigration et la sécurité, mais susceptibles d'intéresser bien plus que 10 000 “Républicains”. À commencer par les millions de sympathisants de droite et du centre qui pourraient se déplacer à la primaire pour choisir leur candidat de 2017.
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