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Un avis d'expert contredit l'Institut Curie

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L’Institut Curie a bel et bien utilisé de manière irrégulière une machine d’imagerie médicale dite hybride, comme l’a exposé Mediapart dans un article précédent. Le président de l’Institut Curie, le professeur Thierry Philip, nous a adressé un droit de réponse dans lequel il affirme que cette pratique, qu’un cabinet d’avocats a signalée au procureur de Paris comme « pouvant recevoir la qualification d’escroquerie », vise uniquement au bien-être des patients (voir onglet Prolonger). Elle permettrait d’exploiter « une machine hybride innovante ne répondant pas aux codifications classiques, et qui permet de réaliser simultanément un double examen » ; et cela « afin d’éviter à la personne malade la fatigue d’un double déplacement, d’améliorer la précision diagnostique et de réduire l’exposition aux rayons ».

Site de l'Institut Curie à ParisSite de l'Institut Curie à Paris © DR

Mais un courrier du professeur Jean-Philippe Vuillez, président de la SFMN, la Société française de médecine nucléaire, instance compétente dans ce domaine, contredit totalement la réponse de Thierry Philip. D’après ce courrier, que Mediapart a pu se procurer, la pratique des examens dédoublés est soit « illégale », soit « discutable voire condamnable sur le plan réglementaire ». Et elle altère « la qualité du raisonnement clinique et la bonne stratégie d’utilisation des outils diagnostiques d’imagerie ».

La lettre du professeur Vuillez a été adressée en 2013 à un professionnel qui s’inquiétait de la manière dont était utilisée la machine hybride à l’Institut Curie. D'après son auteur, elle exprime la « position officielle de la SFMN ». Jean-Philippe Vuillez indique même que son courrier est « non confidentiel et peut être communiqué à tout demandeur ».

Une explication technique est nécessaire. La machine hybride dont il est question associe en un seul dispositif deux appareils. Le premier est une caméra à positons (ou TEP, pour tomographie à émission de positons, ou scintigraphie), qui permet de mesurer l’activité métabolique des cellules. Cette mesure est très utile pour surveiller l’évolution d’une tumeur cancéreuse ou la manière dont cette tumeur réagit à un traitement.

Le principe de la caméra TEP consiste à injecter aux patients une molécule, par exemple un sucre analogue au glucose marqué par du fluor radioactif (FDG). Ce sucre se fixe sur les cellules du patient en fonction de leur activité métabolique, et le fluor radioactif émet des positons, qui s’annihilent avec des électrons en produisant des photons gamma. Les photons sont détectés par la machine et permettent de mesurer par déduction la quantité de sucre fixée par les cellules, donc leur activité métabolique.

Cette technique TEP fournit une image de l’activité des cellules, mais elle ne donne pas une idée très précise de leur localisation anatomique. Pour cela, la technique du scanner conventionnel à rayons X (ou TDM, pour tomodensitométrie) donne des images par coupes anatomiques beaucoup plus précises. D’où l’idée d’associer les deux procédés en superposant les deux images. C’est précisément ce que fait la machine hybride TEP/TDM, qui combine une caméra à positons et un scanner conventionnel dans un dispositif unique.

Il s’agit donc d’un progrès, à condition d’utiliser la machine en respectant le principe selon lequel elle est conçue : le scanner conventionnel n’est censé jouer qu’un rôle auxiliaire de la caméra TEP, pour mieux localiser la tumeur. Au contraire, en radiologie classique, on utilise le scanner en tant que tel, uniquement pour avoir une image anatomique très précise, mais sans les informations que donne la TEP. La machine hybride TEP/TDM cherche à tirer parti des avantages des deux techniques en les combinant.

La prétendue innovation de l’Institut Curie consiste à faire un double usage de la machine hybride : d’une part l’usage « conforme au mode d’emploi » pour obtenir un examen TEP/TDM ; d’autre part, un usage dans lequel le scanner TDM est utilisé comme si c’était une machine autonome, séparée de la caméra TEP.

Interrogé sur cette pratique, Jean-Philippe Vuillez, le président de la SFMN, commence par distinguer « deux problèmes distincts bien que liés ». Il y a en effet deux cas de figure. Premier cas, lorsqu’un patient est examiné avec la machine TEP/TDM, on récupère l’image TDM et on la considère en elle-même comme le résultat d’un examen à part entière. Vuillez formule la question ainsi : « Lors de la réalisation d’une scintigraphie TEP au FDG (glucose marqué au fluor radioactif), les images TDM peuvent-elles être interprétées en tant que telles, et peuvent-elles faire l’objet d’une cotation ? » La cotation consiste à considérer que les images représentent un véritable acte médical et à les facturer à la Sécurité sociale.

Réponse du professeur Vuillez : « Les tomodensitomètres couplés aux machines TEP (et aux caméras d’une façon générale) ne sont pas répertoriés en tant que tels et n’ont pas de numéro d’agrément. Ceci est lié au fait que les images TDM n’ont qu’une valeur de support anatomique, sans avoir toutes les qualités requises d’un examen TDM de qualité radiologique. En conséquence de quoi, s’il est parfaitement légitime d’en faire une description anatomique, il n’est pas souhaitable ni autorisé d’en faire une interprétation au sens radiologique du terme, et la cotation de cet examen TDM qui n’en est pas un est illégale. » 

Il est donc clair que les images TDM ne doivent pas être utilisées séparément. Il existe un deuxième cas de figure, plus délicat selon le professeur Vuillez. C’est celui où le patient subit l’examen TEP/TDM « normal », puis repasse dans le scanner, cette deuxième acquisition permettant d’obtenir une image scanographique (TDM) que l’on exploite comme un deuxième examen.

Analyse de Jean-Philippe Vuillez : « Effectivement sur les machines actuelles, les (scanners) TDM sont des appareils équivalents à ceux dont disposent les services d’imagerie médicale, avec des performances permettant de réaliser des examens diagnostiques de très grande qualité. » Pour autant, souligne le spécialiste, « il faut répéter que ces appareils ne sont pas comptabilisés dans la carte sanitaire des scanners et ne se justifient en termes d’autorisation qu’en tant qu’outil d’aide à l’interprétation des images scintigraphiques (TEP) ».

Le scanner classique doit donc être utilisé uniquement comme auxiliaire du TDM. Jean-Philippe Vuillez insiste : « De plus, leur utilisation per se ne peut se faire qu’au détriment, quelle que soit la façon d’envisager le problème, de l’activité TEP elle-même. C’est pourquoi, la réalisation régulière et a fortiori systématique de scanners diagnostiques sur ces machines est un non-sens, et de plus discutable voire condamnable sur le plan réglementaire. Cela soulève en outre des problèmes de responsabilité d’interprétation des examens, dès lors que les scanners à visée diagnostique nécessitent non plus seulement une formation à l’imagerie en coupes, mais de réelles compétences en radiologie. Il est certes possible d’en confier l’interprétation à des radiologues via un PACS (système d’archivage des images), mais cela reviendrait ipso facto à détourner l’utilisation de caméras TEP pour effectuer des actes qui ne relèvent plus de la médecine nucléaire. »

Dans son droit de réponse, Thierry Philip indique que la pratique des doubles examens « a été mise en œuvre depuis 2007 à titre précurseur à l’Institut Curie afin d’éviter à la personne malade la fatigue d’un double déplacement, d’améliorer la précision diagnostique et de réduire l’exposition aux rayons ».

Comme le montrent les explications de Jean-Philippe Vuillez, cette pratique n’améliore nullement la qualité du diagnostic. Elle ne diminue pas non plus l’exposition aux rayons dans le cas où le patient repasse dans le scanner. Dans le cas où il ne passe qu’une fois et où les images TDM sont traitées séparément, le patient n’est certes pas exposé à la dose radiologique correspondant à un scanner normal, mais il ne bénéficie pas non plus d’un véritable examen. Même si cet examen fictif est quand même facturé à l’assurance maladie.   

Il convient de souligner que la lettre de Jean-Philippe Vuillez, datée d’octobre 2013, est antérieure au conflit social à l’Institut Curie lié au plan de licenciements mis en œuvre par le professeur Thierry Philip, président de l’Institut depuis la fin 2013. Et bien sûr, le président de la SFMN, professeur au CHU de Grenoble, n’est en rien concerné par ce conflit. Qui plus est, son courrier est en accord avec un rapport de la Haute Autorité de santé de juin 2005, où l’on lit en toutes lettres : « Le TDM ne doit pas être utilisé autrement que couplé au TEP. » Difficile d’être plus clair.

Le cabinet d’avocats Avi Bitton, qui défend des salariés de Curie visés par les licenciements, a adressé très récemment un signalement auprès du procureur de la République de Paris pour dénoncer des faits « pouvant recevoir la qualification d’escroquerie » au préjudice de la Caisse primaire d’assurance maladie. Thierry Philip discrédite des « accusations infondées » formulées selon lui « dans un contexte de contentieux prud’homaux actuellement en cours ».

Indépendamment de tout contentieux, la pratique des examens dédoublés mise en œuvre à l’Institut Curie est contraire aux réglementations, aux bonnes pratiques et aux recommandations des experts.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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