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IBK, un symbole de la politique africaine de Hollande sous le regard des juges anti-corruption

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 « IBK » n’est pas qu’un président. C’est un symbole. Celui de la politique africaine de François Hollande, de la guerre qu’il a menée au Mali, de la lutte contre le terrorisme et des relations renouvelées que le président français jurait vouloir construire avec l’Afrique. Les dernières révélations de Mediapart sur les liens intimes entre le chef d’État malien, Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK, et le « parrain des parrains », le Corse Michel Tomi, sont dévastatrices pour le récit qu’a cherché à construire l’Élysée. 

Les écoutes téléphoniques menées dans le cadre d’une enquête en France sur l’empire Tomi révèlent en effet un vaste système de largesses en tout genre mis en place par Michel Tomi au profit d’IBK et, dans une moindre mesure, d’Ali Bongo : croisières sur un yacht, voyages en jets privés, séjours dans les plus grands palaces parisiens, transport en limousines, achats de costumes de luxe, de voitures, de lunettes, soins médicaux réglés rubis sur l’ongle.

Vendredi 22 mai, au sortir d'une réunion publique, IBK a évoqué au Mali les révélations de Mediapart, selon RFI : « Je l'ai toujours dit, on peut essayer de déstabiliser un homme, mais si cet homme a la foi, si cet homme a le soutien de ceux qui le connaissent et qui croient en lui, c’est peine perdue. Tel je suis, aux mains de Dieu et aux mains des miens. Nous ne sommes pas des naïfs et je suis un homme heureux aujourd’hui. »

Ibrahim Boubakar Keita, c’est le chef d’État africain que François Hollande a si souvent reçu à l’Élysée, dont il a salué la victoire en 2013 en se rendant à sa cérémonie d’investiture, et qui était au premier rang de la manifestation du 11 janvier à Paris, après les attentats contre Charlie Hebdo et l’hyper casher de la Porte de Vincennes. 

Quand il est élu, en août 2013, quelques mois après la guerre lancée par la France au Mali, les autorités françaises ne tarissent pas d’éloges. Dans un communiqué, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, parle de « renaissance » pour le Mali. « Il est très rare qu’un pays naisse deux fois. C’est le cas du Mali qui, menacé dans son existence même par la barbarie terroriste il y a sept mois, a su trouver les forces pour élire dimanche dans le calme et la sécurité retrouvés son nouveau président de la République », écrit-il. 

Quelques semaines plus tard, François Hollande est le seul chef d’État occidental à se rendre à la « cérémonie d’investiture internationale » d’IBK. Il est venu avec quatre ministres (affaires étrangères, défense, développement et francophonie), une délégation de parlementaires et même Harlem Désir, le premier secrétaire du PS de l’époque. Le président français y prononce un discours, avant l’Ivoirien Alassane Ouattara, le Tchadien Idriss Déby et bien sûr Keita. Les quatre chefs d’État participeront ensuite à une conférence de presse commune. Hollande s’enflamme : « Aujourd’hui, le Mali a pris son destin en main. Il a choisi son Président, un bon, un grand Président. » Dans l’assistance, un certain Michel Tomi, « dans un coin, pour ne pas se faire remarquer », comme l’a raconté Le Monde.

Lors de l’Assemblée générale de l’ONU le 24 septembre 2013, François Hollande insiste encore sur le « symbole » IBK : « Je veux saluer ici le nouveau président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, qui témoigne d’une grande victoire de l’Afrique de l’Ouest contre le terrorisme. » Même chose un an plus tard, pour l’ouverture du Sommet de la francophonie : « Au Mali, le Président Keita l’a rappelé. Nous avons montré que nous pouvions vaincre, vaincre le terrorisme, vaincre le fondamentalisme, vaincre la barbarie qui s’en prend d’abord toujours aux femmes, puis ensuite fait régner son ordre qui est en fait le plus grand des désordres. Nous avons montré que nous pouvions lutter pour que la réconciliation vienne après la guerre. Nous avons aussi montré que la France pouvait être au service de la sécurité de l’Afrique. »

Et en janvier dernier, c’est Manuel Valls qui rend hommage à IBK, lors de son discours à l’Assemblée nationale post-attentats : « Et quelle belle image de voir dimanche dernier, coude-à-coude le chef de l’État, des chefs de gouvernement, le président de la République et le président malien, Ibrahim Boubacar Keita. Là aussi c’était la meilleure des réponses pour dire que nous ne menons pas une guerre de religion, mais que nous menons, oui, un combat pour la tolérance, la laïcité, la démocratie, la liberté et les États souverains, ce que les peuples doivent se choisir. » 

Cela fait pourtant plus d’un an que « IBK » est incidemment écouté par la justice française, et que Le Monde a révélé l'enquête judiciaire visant le Corse Michel Tomi. Dans un entretien à Jeune Afrique de mai 2014, IBK dément les liens financiers, pas son amitié pour le « parrain des parrains » : « Oui. Je le considère comme un frère. [...] Michel Tomi est resté mon ami. Mais jamais, au grand jamais, il n'a été question d'argent entre nous. » 

MM. Hollande et Keita, à l'Elysée.MM. Hollande et Keita, à l'Elysée. © Reuters

Son goût pour les grosses voitures et le luxe ne sont pas non plus une nouveauté. Un homme politique malien nous déclarait, à l’automne 2014 : « IBK a bénéficié de la bienveillance internationale et française car il était perçu comme ayant le soutien des militaires [putschistes] et qu’il représentait le meilleur moyen de tenir l’armée, au moment où la France était occupée avec l’opération Serval. » Mais, pour cet homme politique, « IBK a toujours été porté sur l’argent, le dérisoire et le clinquant. Les Maliens l’ont toujours connu ainsi. Il avait laissé d’énormes ardoises à la primature quand il l’avait quittée en 2000 ». L’analyste politique Moumouni Soumano rajoutait, à la même époque : « Ce n’est pas digne d’un Président de la République d’être ami avec un type comme Michel Tomi. »

Pour le rédacteur en chef d’un journal malien, « c’est la présidence qui a piloté les deux affaires qui ont donné lieu aux scandales de corruption : celle des marchés de défense et celle du Boeing. Le ministre de la défense a endossé la responsabilité, mais c’est IBK qui était en première ligne. Keita s’est dit que tout lui réussissait donc il pouvait tout se permettre. Il a eu le vertige quand il a été élu : tout ce qui comptait en Afrique, en France et en Europe s’est mis à défiler à Bamako ».

En plus de ses liens avec les « corso-gabonais », ainsi qu’on surnomme le clan Tomi à Bamako, et de son passé tout sauf irréprochable, le gros handicap du président malien est sa (mauvaise) gouvernance depuis qu’il a accédé à la magistrature suprême. Il est considéré, au Mali comme à l’étranger, comme une déception, un homme immobile et incompétent dans un pays en pleine crise. Il a épuisé trois premiers ministres en 18 mois.

L’avant-dernier, Moussa Mara, était connu pour son combat contre la corruption et les  « vieilles pratiques ». Selon un de ses proches, qui refuse de s’étendre sur le président : « Moussa Mara avait été nommé en dépit de sa jeunesse grâce à son image intègre et son combat contre la corruption. Mais, en tant que premier ministre, il a été obligé d’avaler beaucoup de couleuvres et de se taire sur ce qu’il voyait à la Koulouba [le palais présidentiel] dans l’entourage d’IBK. Son départ est en partie lié à des pratiques clientélistes et opaques qu’il ne cautionnait pas. »

Qu’importe. Depuis l’élection d’IBK, Hollande continue de s’afficher avec son vieil ami et de le soutenir. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Le président français l’avait raconté lors de sa visite à Bamako le 19 septembre 2013 : « J’ai connu Ibrahim Boubacar Keita le jour où je suis devenu premier secrétaire du parti socialiste. C’était à Brest en 1997. Il était premier ministre du Mali. C’est à ce moment-là que nous avons appris à nous connaître. Il était socialiste à sa façon comme nous d’ailleurs, nous le sommes à la nôtre. » 

IBK a toujours cultivé des liens avec le PS français et l’Internationale socialiste dont son parti est membre. Il a su en profiter lors de la campagne présidentielle de 2013. « IBK était l’homme de la France, il n’y a aucun doute là-dessus. D’ailleurs, des diplomates français ne manquaient pas de rappeler qu’ils avaient des dossiers sur son adversaire Soumaïla Cissé et qu’ils pouvaient les sortir… », racontait à l’époque à Mediapart un des conseillers d’IBK

« Lorsqu’il était vice-président de l’internationale socialiste, IBK a très bien connu François Hollande et Manuel Valls »rappelle Ibrahim Daga, l’un de ses amis les plus proches. Selon Tiébilé Dramé, opposant d’IBK et candidat à la présidentielle en 2013 avant de se retirer, « IBK était le candidat préféré de la France. Il était venu à la Fondation Jean-Jaurès deux mois avant le scrutin pour activer ses réseaux socialistes. À Paris, on a préféré oublier ses casseroles et que c’était un dirigeant plus porté sur le luxe que la bonne gouvernance ». 

De fait, IBK a régulièrement été invité par la fondation Jean-Jaurès. Début juillet 2013, quelques semaines avant le premier tour, il participe même à « une rencontre à huis clos » – il en reste un entretien réalisé par la Fondation. Le premier secrétaire du PS Harlem Désir l’avait aussi rencontré le 10 juin 2013 à Paris et avait dîné avec lui à Bamako le 15 mars de la même année. Quelques mois plus tard, il saluera l’élection du Malien en parlant de « IBK, camarade de longue date des socialistes français, et dont le parti, le Rassemblement pour le Mali, est membre de l'Internationale socialiste »

Autant dire que personne n’a vraiment cru les démentis apportés par François Hollande sur son soutien en sous-main à IBK : « Pour l’organisation des élections au Mali, la France qui a donc eu le rôle que chacun connaît n’a pas cherché à imposer un candidat. Pas plus d’ailleurs qu’un candidat ne s’est réclamé de la France parce qu’il y a ce principe d’indépendance », avait-il déclaré le 19 septembre 2013 depuis Bamako. 

Aujourd’hui que le contenu d’écoutes entre IBK et Michel Tomi a été rendu public – écoutes dont l’exécutif français devait certainement être au courant – combien de temps Hollande et son gouvernement vont-ils continuer à chanter les louanges d’IBK ? Interrogés vendredi par Mediapart, ni l’Élysée ni le quai d’Orsay n’ont répondu à nos questions. 

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