« Merci pour cette petite ovation, je sais vers qui elle est dirigée, [...] et oublions les autres fêtes un peu ratées. » Le 10 mai, en plein conflit familial au Front national, Jany Le Pen a honoré le désormais célèbre appel de son mari – « Jeanne, au secours! » – en le représentant au défilé d'hommage à Jeanne d'Arc, rendez-vous de groupuscules d'extrême droite radicaux. Entourée des derniers soutiens du fondateur du FN, elle s'est permis d'éreinter à la tribune le 1er Mai de Marine Le Pen.
Six mois plus tôt, elle avait poussé la candidature de Jean-Marie Le Pen aux régionales, en vantant, sur la web-télé d'extrême droite TV-Libertés, l'« énergie » qu'il allait « développer dans cette campagne ». Aujourd'hui mise en cause dans les investigations sur la fortune cachée du fondateur du FN, Jany Paschos-Le Pen, 82 ans, a souvent joué les émissaires pour Jean-Marie Le Pen, avec qui elle est mariée depuis 24 ans.
Le couple se rencontre en 1984, lors d’un barbecue, par l’intermédiaire de Marie-Caroline Le Pen, la fille aînée, et d'un journaliste du Figaro-Magazine. Jany Paschos vient de divorcer de son premier mari, et Jean-Marie Le Pen doit faire face au départ de la mère de ses trois filles, Pierrette Lalanne. En 1991, quatre ans après son divorce houleux, le président du FN épouse Jany Paschos, et s'installe dans sa villa de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). La propriété de Montretout lui sert depuis lors de bureau.
Née à Nice, fille d’un marchand de tableaux grec et d’une Franco-Hollandaise, Jeanine (son vrai prénom) Paschos n’a, comme elle l’a souvent répété, « jamais travaillé ». Lors de son premier mariage, avec l'homme d'affaires belge Jean Garnier, elle est « gâtée, pourrie », raconte-t-elle au Monde. « J'avais un mari qui adorait voyager, un mois et demi l'hiver, un mois et demi l'été. C'était très jet set... ».
C'est d'ailleurs son carnet d’adresses mondain qu'elle mettra ensuite à disposition de Jean-Marie Le Pen. « Elle lui a présenté beaucoup de gens, de tous les milieux, notamment du show-biz, des milieux artistiques qu’elle fréquentait beaucoup avant, raconte à Mediapart l'ancien imprimeur et ami de Le Pen, Fernand Le Rachinel. Elle était un élément modérateur, elle lui donnait un équilibre, des relations sociales. »
Dans leur villa de Rueil, hommes d’affaires, banquiers, écrivains et artistes défilent. Mais le « premier cercle de Rueil » était constitué de Jean-Michel Dubois – qui sera le trésorier des campagnes présidentielles de Le Pen en 2002 et 2007 –, Farid Smahi, un cadre du parti, et Georges Paschos, le frère aîné de Jany Le Pen.
Très appréciée des cadres historiques du parti, qui louent, aujourd'hui encore, son « cœur sur la main », la femme du fondateur du FN a en revanche eu des relations orageuses avec ses belles-filles, et notamment la benjamine. « Marine Le Pen ne s'est pas bien comportée avec elle », résume Fernard Le Rachinel. Jany Le Pen a en revanche toujours pu compter sur un pilier du premier cercle lepéniste : le majordome, Gérald Gérin. « C'est vraiment un fidèle, il se serait tué pour eux. »
Aux côtés du président du FN, elle est « restée assez discrète » et « en retrait politiquement », raconte l'ancien secrétaire général du FN, Carl Lang. « Elle n’a pas du tout d’influence politique sur Jean-Marie Le Pen, elle n’est pas impliquée dans la vie du parti, pas présente aux réunions du Front, seulement aux congrès et aux Bleu-Blanc-Rouge. Elle est la femme de Jean-Marie Le Pen, elle a un rôle de présence, mais elle fait toutes ces activités pour lui faire plaisir. Elle n’est moteur de rien. Elle ne fait rien d’autre que ce que Le Pen lui dit de faire. » Ce que confirme Fernand Le Rachinel : « C’est une femme obéissante qui fait ce que demande Jean-Marie Le Pen. »
Elle-même s'est toujours défendue de jouer un quelconque rôle auprès du fondateur du FN, se définissant récemment encore comme « quelqu'un de très simple, qui vi[t] très naturellement, avec [ses] animaux, [son] jardin, [ses] fleurs », « bêtement une femme au foyer » qui « aime les jolies choses, les gentils amis, lire des bons bouquins » et qui « ne veu[t] pas de pouvoir ».
Jany Le Pen a tout de même été propulsée sous les projecteurs par son mari à deux reprises. En 1995, elle crée SOS-Enfants d'Irak, une association satellite du FN lancée avec l'appui de Tarek Aziz, le vice-premier ministre irakien. Le régime déroule le tapis rouge pour l'épouse du fondateur du FN, qui s'oppose à deux reprises à l'engagement occidental contre l'Irak.
L'association est fondée avec Jean-Michel Dubois et Bernard Antony – alors chef de file des catholiques traditionalistes au FN. C'est Georges Paschos – ancien dirigeant de la filiale française de la Citybank, décédé en 2008 – qui en sera le trésorier. « Georges était complètement en dehors de la structure Front, rapporte Carl Lang. Il était présent aux Bleu-Blanc-Rouge [la fête que tenait chaque année le FN - ndlr], au stand de l’association SOS-Enfants d'Irak. Il était très souvent chez les Le Pen, notamment le dimanche après-midi. »
Le but officiel de l'association ? Dénoncer les méfaits de l'embargo de l'ONU et venir en aide « aux pauvres enfants d'Irak ». « L’histoire en Irak, on n’a jamais eu de détails là-dessus », confie l'ancien secrétaire général du FN. Interrogée par L’Express en 2004, Jany Le Pen défendait la vocation « purement humanitaire » de son association, et affirmait que « pas un Coca n'a[vait] échappé à [son] frère, Georges Paschos, le trésorier. Un vrai maniaque, qui n'a pas été banquier pour rien ».
« Nous sommes plus blancs que blancs, s'était aussi défendu Jean-Michel Dubois. À Bagdad, nos interlocuteurs nous ont suggéré de jouer les courtiers pour renflouer la caisse. J'ai toujours refusé. Et j'ai même dissous ma chambre de commerce franco-irakienne pour couper court à tous les procès d'intention », affirmait-il en énumérant les « trois ambulances » fournies au ministère de la santé et les « 40 000 dollars destinés à la réhabilitation d'un hôpital pédiatrique ».
L’ancienne présidente de SOS-Enfants d'Irak, Marie Lussan, claque pourtant la porte de l’association en dénonçant « l'affairisme de Dubois » : « Jany a du cœur et du charme, mais lui s'est servi de moi pour son business, au point de se griller auprès des Irakiens. J'ai d'ailleurs tout fait pour lui fermer les portes. J'étais la couverture, la caution arabe. » L’ex-présidente pointe du doigt la gestion hasardeuse des cotisations et les « manœuvres » de Jany Le Pen pour la supplanter auprès de Tarek Aziz.
L’association a en tout cas servi de point d’appui à Jean-Marie Le Pen en Irak. Le fondateur du FN a rencontré Saddam Hussein à deux reprises, en 1990 puis en 1996. Entre 1995 et 2003, Jany Le Pen se rend elle-même une dizaine de fois à Bagdad.
Parallèlement, l'épouse du fondateur du FN devient la porte-drapeau d'une myriade d’associations de défense des animaux ou d'organisations caritatives satellites du Front national, comme Fraternité française ou l'Action sociale et populaire (ASP), présidée par son ami Jean-Pierre Blanchard, un pasteur qui deviendra la « caution sociale » du FN.
Elle est mise en avant à l'occasion d'un second épisode, en 1999. Lorsque le président du FN craint d'être déclaré inéligible, il met en selle sa femme pour le remplacer comme tête de liste aux européennes. « S'il faut y aller, je saurai avoir le courage et j'irai à la bataille », déclare-t-elle, en se disant « fière de pouvoir contribuer à réparer l'injustice faite à son mari ».
« Jany n’était pas du tout volontaire, c’était Jean-Marie Le Pen, se rappelle Carl Lang. Ce fut l’un des éléments déclencheurs de la guerre avec Bruno Mégret. » Car avec la « carte Jany », le fondateur du FN veut en réalité sonder les intentions de son numéro deux. La réaction de Mégret est virulente. L’épisode ouvre la scission entre lepénistes et mégretistes, et se termine par la candidature de Le Pen lui-même, qui parvient à se présenter grâce à un pourvoi en cassation.
Le reste du temps, Jany Le Pen mène « une vie sociale, mondaine importante, se souvient l'ancien secrétaire général du FN. Elle a toujours eu un certain standing de vie, y compris avant son mariage avec Le Pen, elle a sa villa, sa Rolls. Ils recevaient beaucoup de monde à Rueil, mais assez peu de cadres dirigeants du FN. Nous, nous étions le Front national, c’était une des cartes des Le Pen, mais on ne mélange pas les torchons et les serviettes. Le Pen est un homme très secret, qui cloisonne énormément, surtout dans le domaine des finances. »
Parmi les amis de longue date que Jany Le Pen reçoit à dîner, il y a Brigitte Bardot, dont l’avocat est le Tropézien Jean-Louis Bouguereau, conseiller régional FN en Paca.
Un vieil ami de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, l'ancien leader du GUD (Groupe Union Défense), aujourd'hui mis en examen dans l'affaire du financement du FN, apparaît publiquement dans le sillage de Jean-Marie et Jany Le Pen. Il est ainsi à leurs côtés en décembre 2006, au spectacle de Dieudonné. Ce soir-là, le carré VIP du Zénith est rempli de frontistes, parmi lesquels Bruno Gollnisch, Jean-Michel Dubois, Farid Smahi.
Deux ans plus tard, le couple Le Pen sera à nouveau dans la salle lorsque l'humoriste remettra sur scène au négationniste Robert Faurisson un prix de « l’infréquentabilité et de l’insolence », apporté par une personne habillée en déporté juif. Jany Le Pen connaît bien Dieudonné. Lorsque l'humoriste se rend à la fête des Bleu-Blanc-Rouge, en 2006, il fait un détour par le stand de son association.
En mars 2007, ils se rendent ensemble au Cameroun pour un voyage officiel destiné à faire connaître le programme de Jean-Marie Le Pen pour l'Afrique, et à attirer l’attention sur le sort des Pygmées, menacés par la déforestation. À nouveau, Jean-Michel Dubois est du voyage.
La femme du fondateur du FN compte d'autres sulfureuses connaissances, parmi lesquelles Alain Escada, le président du mouvement catholique intégriste Civitas. Ces derniers mois, elle s'est affichée à deux reprises à ses côtés : lors du défilé du 10 mai, mais aussi à la tribune de son rassemblement de soutien aux chrétiens d'Orient en septembre, auquel elle avait appelé à participer dans une vidéo.
« Monsieur Escada est très très bien, il fait tout ce qu'il peut », justifiait-elle en décembre à TV-Libertés, ajoutant : « Moi, symboliquement au fond, la seule chose que je peux amener, c'est le nom, qui, par bonheur, est un peu porteur, le nom de mon mari. »
BOITE NOIRESollicitée, Jany Le Pen n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.
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