« Si, d'aventure, Le Pen l'emportait, faites confiance à sa femme : c'est elle qui a l'air de diriger ses affaires », expliquait en 2002, un officiel du régime irakien au Monde, alors que Jany Le Pen multipliait les voyages pour le compte de l'association SOS-enfants d'Irak. Dans l'ombre de son mari, et jouant un rôle beaucoup moins décisif qu'il n'y paraissait, Jany Le Pen a suivi fidèlement, durant 30 ans, la carrière du fondateur du Front national, jusqu'à aujourd'hui, dans ses déboires financiers.
Selon les informations transmises en avril au parquet de Nanterre par le service anti-fraude Tracfin, Jany Paschos, 82 ans, la seconde et actuelle épouse de Jean-Marie Le Pen, a elle aussi détenu des avoirs au Crédit suisse, à travers une petite société de gestion de fortune basée à Genève, Prium finances. En 2008, 200 000 euros ont été rapatriés de Prium sur son compte bancaire français à la Société générale, au motif de la clôture du compte.
Les éléments sur ce compte, qui rejoignent ceux concernant le compte caché détenu par Jean-Marie Le Pen chez HSBC à travers un trust placé sous la responsabilité légale de son majordome, Gérald Gérin, ont été transmis cette semaine au Parquet national financier (PNF). Le parquet de Nanterre et son homologue de Paris, qui avait ouvert l'enquête préliminaire sur le patrimoine de Jean-Marie Le Pen fin 2013, se sont en effet dessaisis à son profit. Le PNF est donc désormais saisi de l'enquête sur l'affaire des fonds suisses de Jean-Marie Le Pen, ainsi que de l'enquête ouverte sur son patrimoine.
Les magistrats du parquet pourraient privilégier l'hypothèse d'un renvoi rapide du fondateur de Front national devant le tribunal correctionnel pour « fraude fiscale » et « fausse déclaration » de patrimoine, sans passer par l'ouverture d'une information judiciaire et la désignation d'un juge d'instruction. Une telle option leur permettrait de faire l'économie de trop longues investigations internationales, mais elle priverait la justice de réponses sur la provenance des fonds découverts.
Il est vrai que jusqu'à aujourd'hui Jean-Marie Le Pen n'a pas démenti les faits. Il a mentionné, le 4 mai, devant le bureau politique du Front national au chapitre des « ennuis graves » auxquels il avait été confronté, l'annonce par Mediapart « de la découverte d’un compte en Suisse, au milieu de 30 000 prétendument livrés par HSBC ». « Je ne suis pas tenu de m'expliquer sur ce que dit n'importe qui, en particulier des organes para-policiers chargés de semer la perturbation dans la classe politique », avait réagi le fondateur du FN au lendemain de la publication de nos informations.
Il n'a pas davantage commenté les informations concernant le compte de son épouse. Aujourd'hui en état de cessation de paiement, la société de gestion de fortune Prium finances, domiciliée dans un centre d'affaires de Genève, le Regus Business Center, rue du Rhône, a été créée, en 2005, par trois hommes d'affaires français avec l'aide d'un avocat genevois spécialisé.
Retrouvé par Mediapart, l'animateur de Prium finances, Laurent Hébert, assure avoir « ignoré » la présence de Mme Jany Paschos, l'épouse de Jean-Marie Le Pen, au sein de sa clientèle. « Si j'avais su, je n'aurais pas forcément pris, commente-t-il. On est sensibilisés à éviter les profils à risques, et les personnages publics en font partie. Nous ne sommes que gestionnaires pour le compte des banques qui nous délèguent la gestion de tout ou partie du portefeuille de leurs clients. Et nous prenons pour eux des positions sur les marchés financiers. »
Aujourd'hui mis en cause par quelques créanciers et d'ex-associés, l'ancien gérant de fortune dit qu'il a « assez de [ses] propres affaires » et que pour lui « l'exposition n'est pas souhaitable ». Il aurait délégué la gestion de ses portefeuilles clients à deux cadres bancaires suisses, issus pour l'un de la Banque cantonale de Genève (BCGE), et pour l'autre de la banque Pâris Bertrand Sturdza (PBS). « Ils sont venus avec tous leurs clients, signale l'administrateur de Prium finances. On parle d'un client qui est fortement exposé, et dont je n'ai pas forcément connaissance. »
L'avocat créateur de la société, Me Philippe de Boccard, assure, lui, ne s'être « occupé que de mettre en place la structure » : « Nous n'avons pas suivi son activité », commente-t-il à Mediapart. Effectivement démissionnaire de ses fonctions d'administrateur dès 2005, Me de Boccard certifie n'avoir jamais géré de fonds pour M. ou Mme Le Pen, « ni de près, ni de loin, ni par personne interposée », mais son nom a pourtant attiré l'attention. Des membres de sa famille, gérants de fortune basés à Fribourg (Suisse), ont été désignés en 1988 par Pierrette Lalanne, la première épouse de Jean-Marie Le Pen, comme les gestionnaires initiaux des fonds hérités du cimentier Hubert Lambert, en 1976. « En Suisse, il y avait une fondation, avait expliqué Pierrette Lalanne dans le mensuel Rolling Stone. La fondation Saint-Julien dont MM. de Boccard père et fils, de Fribourg, étaient gestionnaires. Jean-Marie a demandé que cette fondation soit réalisée en liquide et l'argent a été déposé à l'UBS. »
« Ce sont des cousins issus de germains, qui ont une société de gestion de fortune à Fribourg, confirme le créateur de Prium, Me Philippe de Boccard. Mais nous n'avons pas de rapports professionnels. » À presque quarante ans d'écart, les deux compagnes successives de Jean-Marie Le Pen se voient donc mêlées aux interrogations sur sa fortune cachée en Suisse, et ce via des homonymes...
Sollicitée à plusieurs reprises, par téléphone et par mail, l'épouse du fondateur du FN n'a pas répondu à nos questions sur l'origine de ces fonds placés en Suisse.
Jany Paschos, qui a épousé Jean-Marie Le Pen en 1991 sur fond de son divorce houleux et médiatisé avec Pierrette Lalanne, a introduit son ex-mari, Jean Garnier, dans le premier cercle du fondateur du FN. À la tête d’une galaxie d’entreprises qui n’ont, pour la plupart, ni bilan ni salariés, Garnier s’associe ainsi en 1992 à l'un des meilleurs amis de Jean-Marie Le Pen, l'éditeur Jean-Pierre Mouchard, premier trésorier de son association de financement politique Cotelec.
Mouchard prend des parts dans une société destinée à exploiter un brevet de combustible douteux, l'Aquazole, un mélange d'eau et de gazole racheté par le groupe Elf-Aquitaine mais finalement abandonné. À la fin des années 1990, une plainte et un début d'enquête sur l'Aquazole conduisent à la découverte dans le sillage des deux hommes de plusieurs sociétés off-shore – Overseas Property Services Limited à Gibraltar, et la panaméenne Hadret al Raiss – et de nombreux flux suspects.
« Je n’étais strictement pour rien dans cette affaire-là, moi, avait commenté Jean-Marie Le Pen, questionné par Mediapart en 2013. C’était une affaire entre M. Garnier et M. Mouchard, qui ont vendu un brevet à une société quelconque. M. Garnier était son associé et le premier mari de ma femme. Ce sont des affaires qu’ils ont faites tout à fait en dehors de moi. »
En revanche, Jean-Pierre Mouchard était bien le titulaire d'un compte ouvert au nom de Jean-Marie Le Pen à l'Union de Banques Suisses (UBS) en 1981, ainsi que l'ont montré les fac-similés d’ouverture de compte et des relevés de comptes publiés initialement en 1992 par l’hebdomadaire L’Événement du Jeudi.
En 2013, Jean-Marie Le Pen a justifié l'ouverture de ce compte par un « prêt » que lui aurait consenti l’UBS. L’« opération » aurait été, selon lui, «contrôlée » par « l’administration française ». Or sur ce compte, environ 2 millions de francs étaient encore placés en 1986, pour des opérations de placement, cinq ans après son ouverture. Les dates et conditions d'un emprunt souscrit à l'UBS n'ont pas été précisées par Jean-Marie Le Pen. Ces interrogations ont été intégrées par le parquet aux recherches effectuées par la Brigade financière dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte à Paris.
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