Les immigrés sont-ils considérés par le gouvernement comme une chance pour la France ? Non, pas suffisamment. La France a-t-elle une politique d'intégration ? Non, ce serait même l'inverse. Telles sont les conclusions cinglantes d'une étude pourtant sans vocation polémique rendue publique ce mercredi 20 mai 2015. Réalisé par deux think tanks, le Migration Policy Group à Bruxelles et le Centre pour les affaires internationales (CIDOB) à Barcelone, en partenariat avec l’association France terre d’asile à Paris, l'Index sur les politiques migratoires (Mipex) compare les politiques d'intégration menées dans les États membres de l’Union européenne, ainsi que dans huit autres pays industrialisés. L'édition 2015 est la quatrième du genre. La partie consacrée à la France, publiée aujourd'hui (la consulter), n'est pas flatteuse.
Dans le classement général compilant 144 indicateurs, l’Hexagone, pourtant l’un des plus anciens pays d’immigration d’Europe, obtient une note de 54 sur 100, ce qui le situe au 17e rang des 38 pays étudiés. « Cette note signifie que la France crée moins d’opportunités d’intégration que d’obstacles permettant réellement aux migrants de s’intégrer dans la société française », résume cette étude indépendante.
De fait, les questions d’intégration ne sont quasiment plus évoquées par les membres du gouvernement socialiste. Cette réflexion semble avoir disparu des écrans radars des débats publics depuis plusieurs mois. La polémique Ayrault, qui a suivi la publication de bilans critiques de chercheurs et d’experts, a révélé l’incapacité de l’exécutif à se mettre d’accord. « Peu de choses ont changé par rapport à ce que faisait le précédent gouvernement conservateur », regrette le Mipex. À droite, Nicolas Sarkozy s’évertue régulièrement à réhabiliter le concept d’assimilation, jugeant que celui d’intégration n’est pas à même de répondre à la « crise de valeurs » et à la « montée du communautarisme ». « L’intégration, c’est “je viens comme je suis, je ne change rien à ce que je suis”. L’assimilation, c’est “on vous accueille tel que vous êtes mais vous adoptez la langue, la culture, l’histoire, le mode de vie du pays qui vous accueille”», a expliqué Nicolas Sarkozy en février 2015 pour justifier l’organisation par l’UMP d’un séminaire sur l’islam.
Les thèmes déclinés dans l’étude sont l’école, le marché du travail, la résidence de longue durée, la nationalité et la participation politique. La France est particulièrement mal classée en matière d’accès à l’éducation et à la formation. Sa note, 36 sur 100, la place en 21e position sur 38. L’apprentissage de la langue française n’est pas toujours adapté et accessible à tous, observe l’étude. Le système éducatif, égalitaire en principe, est inégalitaire dans les faits, constate-t-elle. Environ 40 % des élèves non-immigrés de 16 ans ont par exemple un niveau bas en mathématiques, selon l’étude Pisa, tandis que ce taux atteint 70 % pour les enfants nés à l’étranger. À l’âge de 15 ans, d’après ces tests, les jeunes issus de l’immigration sont deux fois plus susceptibles de figurer parmi les élèves en difficulté. Ils sont aussi plus nombreux à sortir du système éducatif sans diplôme.
Selon l’Insee, en 2013, 45,3 % des immigrés de 15 à 64 ans disposent au maximum du brevet des collèges ou du certificat d’études primaire, contre 28,1 % pour l’ensemble de la population vivant en France au même âge. Ces moins bons résultats ne sont pas suffisamment compensés par des mesures spécifiques, estime l’étude, qui par ailleurs regrette que la diversité et les compétences (comme la connaissance d’une autre langue) ne soient pas assez valorisées. « Les inégalités se creusent dès la maternelle et compromettent l’accès aux filières les plus favorables à la poursuite des études supérieures », remarque, de son côté, France Stratégie, institution d’expertise rattachée au premier ministre, dans une analyse récente sur les « Jeunes issus de l’immigration : quels obstacles à leur insertion économique ».
L’entrée sur le marché du travail est tout aussi problématique – et la note de la France s’en ressent : 54 sur 100. Il y a peu, l’Observatoire des inégalités, dans un article sur « Le taux de chômage des immigrés en France », soulignait la persistance des écarts. Près d’un cinquième des immigrés actifs sont actuellement au chômage contre 9 % des Français nés en France. Le taux de chômage des actifs non-ressortissants de l’UE atteint même 21,2 %.
Ces différences tiennent en partie au diplôme, les immigrés étant en moyenne moins qualifiés que les personnes nées en France. Dans un pays où le parcours académique reste plus considéré que l’expérience personnelle et professionnelle, cela produit des effets lors du recrutement et sur l’évolution de la carrière. Que se passe-t-il toutes choses égales par ailleurs ? À niveau de diplôme équivalent, le taux de chômage des immigrés demeure supérieur, note l’Observatoire reprenant des chiffres du ministère de l’intérieur selon lesquels 6,1 % des Français nés de parents français titulaires d’un bac sont au chômage, contre 18 % des immigrés non ressortissants de l’Union européenne. Soit trois fois plus. Pour les titulaires d’une licence et plus, les chiffres sont respectivement de 4,7 % et 14,8 %. « Si les diplômes obtenus sont de même niveau, ils ne sont pas identiques : les enfants d’immigrés sont souvent orientés dans des filières dites “moins nobles”, conduisant moins facilement à l’emploi », souligne l’Observatoire des inégalités. Disposer d’un master de lettres modernes n’est pas équivalent à un diplôme d’ingénieur, rappelle-t-il.
Les immigrés disposent par ailleurs de moins de réseaux que les personnes installées depuis plusieurs générations en France. Des raisons structurelles existent : ceux qui n’ont pas la nationalité française sont exclus d’environ 5,3 millions d’emplois (enseignant, policier, architecte, buraliste, etc.), ce qui correspond à un poste de travail sur cinq. Les sources d’exclusion qui en résultent sont considérables. L’existence de discriminations liées aux origines fait le reste. La difficulté à produire des données issues de statistiques ethniques empêche de mesurer précisément la situation. Mais les opérations de testing prouvent qu’à qualification et origine sociale équivalentes, les personnes n’ont pas les mêmes chances d’être recrutées en fonction de leurs origines ou de leur couleur de peau.
France Stratégie rappelle ainsi que les difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi sont spécialement sensibles pour les jeunes d’origine africaine. Les personnes de moins de 30 ans descendant d’immigrés africains ont un taux d’inactivité presque deux fois plus important que leurs homologues sans ascendance migratoire. Même une fois neutralisés les effets de structure (origine sociale des parents, niveau de diplôme, localisation), des écarts demeurent. L’économiste Marie-Anne Valfort souligne, elle, dans ses travaux que les traitements sont différents selon que le candidat est perçu comme musulman ou non.
Les législations successives sur le droit au séjour ont créé de l’instabilité, considère le Mipex. Comment s’intégrer quand tout est fait pour vous barrer la route ? En matière d’accès à la résidence longue durée, la France se situe parmi les pays les moins accueillants : les restrictions y sont légion, y compris pour les migrants installés depuis plus de cinq ans. En matière d’accès à la nationalité française, les think tanks notent des progrès, même s’ils critiquent une procédure « discrétionnaire » (celle-ci dépend en dernier ressort du bon vouloir des préfets) et des critères « imprécis ». La France est aussi à la traîne en matière de regroupement familial, principe pourtant inscrit dans le droit international : les familles non-européennes ont moins de chances d’être réunies que dans la majorité des pays évalués, en raison des nombreux critères à remplir (emploi, langue, intégration, etc.) et de délais conséquents.
Le rôle du Défenseur des droits est salué pour l’aide apportée aux victimes de discrimination pour obtenir justice. En revanche, le gouvernement est mis en cause pour ne pas avoir accordé le droit de vote aux étrangers aux élections locales, malgré l’engagement de campagne de François Hollande. Sur ce sujet-là non plus, le président de la République ne s’est pas exprimé depuis longtemps.
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