Lors du dernier congrès du PS, quelques mois après l’élection de François Hollande à l’Élysée, on avait assisté à l’incapacité d’un parti parvenu au pouvoir à savoir comment changer la vie. Trois ans plus tard, et autant de renoncements, de frondes et de défaites électorales, le congrès de Poitiers offre certes un paysage concurrentiel à des militants en plein doute. Mais les débats internes, qui se sont tenus au milieu d’un mois de mai où les vacances et les jours fériés ont davantage occupé les esprits, n'ont pas franchement aidé à en savoir plus sur l'orientation du parti. Et des « assemblées fédérales de motion » auxquelles on a participé, et alors que les votes se tiennent ce jeudi soir dans les sections, il ressort que la question n’est plus du tout de savoir comment changer la vie, mais comment sauver ce qu’il reste du quinquennat, voire le PS lui-même.
Le problème essentiel ? Il n’y a jamais vraiment eu de débat. Jean-Christophe Cambadélis ayant d’emblée refusé toute confrontation publique avec les autres signataires de motions (les textes d’orientation soumis au vote), les réunions militantes n’offrent guère la possibilité d’échanges argumentés entre chefs de file, celles-ci se résumant à un exposé de chacun, puis à des prises de paroles de la salle, le plus souvent pour dire quel sera son vote, bien plus rarement pour poser des questions. Et de toute façon, en cas de questions, les réponses sont condensées en trois à cinq minutes de conclusion…
Résultat : AG après AG, les représentants de chaque motion sont restés dans leur couloir stratégique, face à des salles souvent à moitié vides (exception faite de la très mobilisée fédération de Paris, devenue aujourd’hui la plus importante du parti). Et sans idée concrète de ce qu’il reste d’effectif militant, personne n’est réellement capable de prédire les résultats comme au bon vieux temps des “congrès au canon” de l’ère Hollande, où une demi-douzaine de fédérations toutes acquises à la direction sortante assuraient à elles seules 40 % du résultat. Désormais, si la majorité semble assurée (« La référence pour nous, c'est le congrès du Mans, autour de 55 % », dit un responsable hollandais), les opposants de l'aile gauche espèrent encore voir la « majo » sortante passer sous les 50 %, sans être dupe d'éventuels tripatouillages pour l'éviter (« On sait comment ça marche, répète-t-on à l'envi chez leurs adversaires, il suffit de rajouter une voix par section qu'on contrôle pour grappiller le pourcentage manquant »).
« S’il n’y a pas grand monde dans les salles, c’est aussi parce que la direction sortante ne mobilise pas et n’a aucun intérêt à ce que les gens assistent à des débats de fond, explique un pilier de l'opposition interne. Tout se joue au téléphone, à coups de promesses de places dans les différentes instances. » « Au maximum, on a parlé à 10 000 militants dans ces réunions », confie un soutier de la direction. Et aux dires d’une responsable d'une troisième motion qui a « beaucoup tourné en régions », la direction sortante est « inquiète et ne reçoit qu’un accueil mitigé dans les AG ».
Du coup, Cambadélis surjoue la dramatisation, en expliquant que le risque de ne pas être majoritaire existe et en martelant que si le PS n’est pas « un partenaire junior du gouvernement », il ne peut « pas être le parti qui fait tomber le gouvernement ». Faute de pouvoir assurer que l’« infléchissement » promis par leur texte sera réellement appliqué par le gouvernement, « Camba » et ses soutiens privilégient les discours sur « l’unité du parti » et la nécessité de « ne pas apparaître divisés ».
À la tribune à Paris, Cambadélis préfère dès lors insister sur la « multiplicité des crises » (du « terrorisme » à la « pression migratoire », en passant par « la République en danger face au bloc réactionnaire » ou la « montée des nationalismes en Europe »), et se contente de prôner pour un « parti ambitieux et respectueux vis-à-vis du gouvernement ». Une semaine avant, à Créteil, il assumait davantage son délicat positionnement : « Plus la majorité sera forte, plus ce qu'il y a dans le texte sera appliqué. »
Face à la « stratégie édredon » de la motion A, les ailes gauche et le collectif « Vive la gauche », la motion B réunie derrière le député Christian Paul a choisi de ne pas jouer la surenchère ni de critiquer de façon trop virulente l’exécutif, mais a davantage déployé un « légitimisme à contre-emploi », en souhaitant « redonner du sens à l’action gouvernementale », comme l’a expliqué à Créteil Marie-Noëlle Lienemann : « On est lucides, il n’y aura pas de virage à 180°, ni même à 90°. »
Ainsi qu’il l’a expliqué devant les militants parisiens, Christian Paul et les siens défendent une « feuille de route » pour que François Hollande, à qui « personne ne demande de se renier », puisse « modifier en profondeur » son action d’ici la fin du quinquennat. Les propositions ne sont pas exorbitantes et essentiellement économiques (une nouvelle loi bancaire, un “plan République” d’aide aux services publics dans les territoires délaissés, une réforme fiscale), la seule exigence franche étant qu’elles soient inscrites dans un collectif budgétaire « dès le mois de juillet ». À chaque réunion, la même phrase revient à la tribune ou dans la salle : « Il faut enfin dire ce qu’on va faire, et enfin faire ce qu’on a dit. »
L’essentiel des critiques se porte alors sur l’état du PS, qui devrait être « un parti respecté par un gouvernement issu de ses rangs », dit Paul. « Quand on a passé quatre ans à reconstruire le PS avec Martine Aubry, ça fait mal de voir les portes et les fenêtres se refermer si vite », explique celui qui fut responsable du laboratoire des idées de l’ancienne première secrétaire du parti. Le député de Seine-Saint-Denis Daniel Goldberg, un autre proche d'Aubry ayant décidé de ne pas la suivre derrière « Camba », appelle de son côté, face aux militants du 93 réunis au Pré-Saint-Gervais, à « être socialiste et moderne, mais pas moderne comme Blair et Schröder, et pas socialiste comme la SFIO finissante, qui était à gauche dans ses textes mais pas dans sa pratique ».
Les deux autres motions en lice ont de leur côté épousé une trajectoire plus « basiste » face aux deux gros blocs en présence. Portée par la secrétaire nationale à l’économie sociale et solidaire, Florence Augier, la motion C défend ainsi son texte « participatif », « pas écrit par des communicants » et « uniquement militant », mélangeant référence à l’indignation de Stéphane Hessel et la promotion de la « France plurielle » et de la « fraternité » façon Désirs d’avenir.
À chaque réunion, ils sont deux à intervenir et à défendre une partie de leurs 117 propositions, parmi lesquelles ils insistent parfois, comme Maryvonne Artis à Créteil, sur la nécessité de créer un poste de secrétaire national « à la promotion de la diversité » et un autre « à la mémoire nationale ». Une façon comme une autre de préparer son ralliement à Cambadélis, qu’ils épargnent de leur critique, pourtant radicale, de l’état du PS. « Tout le monde déserte le parti, plus personne ne nous écoute », explique ainsi Louis-Mohamed Seye à Paris. À ses côtés, Florence Augier demande aussi que « soient appliquées toutes les décisions votées par les militants et non-appliquées depuis ».
Quant à la motion D, signée par Karine Berger, elle tente d’incarner « une troisième voie offensive » critiquant le PS plus que le gouvernement, et axée elle aussi sur un éventail de 86 propositions, destinées à « nourrir le futur projet présidentiel », ainsi que l’explique la députée Valérie Rabault.
À Créteil, celle-ci déploie au mot près le même argumentaire que sa comparse Karine Berger au Pré-Saint-Gervais ou à Paris : « Il est normal que le gouvernement adapte sa position en fonction de la réalité économique difficile, mais il n’est pas normal que le PS ne prenne pas de risque. » Rabault cite en modèle la méthode du premier ministre italien Matteo Renzi, « qui va toujours d’abord devant son parti pour le convaincre de ses réformes ». Pour Berger, « quand il n’y a pas de position du parti, il nous faut revenir vers les militants pour qu’ils donnent leur avis ». Et de citer en exemple la PMA ou la laïcité, sur laquelle elle souhaiterait voir des consultations être organisées.
De ces présentations face aux militants, quelques lignes de clivage sont apparues, notamment par rapport à la capacité à être solidaire du gouvernement une fois le congrès passé. À chaque fois, ce sont des proches de François Hollande qui montent au créneau. Comme l’eurodéputée Christine Revault d’Allonnes qui s'enquiert auprès de Marie-Noëlle Lienemann de savoir si « ceux qui ont demandé un congrès vont arrêter de s’exprimer devant les caméras après ? ». Ou le secrétaire national à l’éducation Yannick Trigance au Pré-Saint-Gervais : « Ne pas respecter les décisions majoritaires, ça fait beaucoup de mal. Il faudra respecter la majorité du congrès, quelle qu’elle soit. » Réplique des incriminés de la motion B : « Qui ne respecte pas le vote militant quand il renonce à réorienter le TSCG en 2012 ? » (Lienemann) ou « Qui fronde ? Nous qui demandons l’application du programme présidentiel ou les sénateurs qui votent contre le cumul des mandats ? » (Paul).
Outre les remises en cause sur la sincérité du texte de la motion « à vocation majoritaire » (lire ici), la motion A est aussi ciblée par une critique commune des trois autres motions, à propos des positionnements du parti sur les textes présentés par le gouvernement. « Sur la loi bancaire, la loi renseignement ou l’accueil des migrants, comment en arrive-t-on à oublier nos combats passés », dit Paul. « Il n’est pas normal que le parti n’ait pas discuté en amont ni pris de position sur la loi renseignement », abonde Berger.
Dernier débat saillant dans ce non-débat général, la question de l’unité de la gauche. Pour Cambadélis, le fait d’avoir déjà réussi à rassembler derrière lui Manuel Valls et Martine Aubry est « déjà un premier rassemblement ». S’il appelle à « aller vers un nouvel Épinay », il reste toutefois très flou sur la réalité de la « construction d’un chemin de l’espoir, pratique et précis » qu’il désire créer avec les autres partis de gauche.
Pour l’heure, hormis les radicaux, peu semblent vouloir le construire avec lui. Et si la secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse, estime qu’« il y a dans ces motions beaucoup de choses que nous portons depuis des années », elle ajoute dans la foulée que celles-ci « n'ont pas été faites par le gouvernement ». La motion B en revanche a reçu le soutien de Jean-Luc Mélenchon, comme de Pierre Laurent. Ce dernier estime ainsi que « la direction actuelle du PS est au cœur du problème des divisions de la gauche » et serait « ravi de voir des perspectives nouvelles s’ouvrir pour la gauche ».
En l’espèce, la motion B est la plus offensive pour défendre sa « grande alliance », forte des contacts réguliers entretenus par les frondeurs avec le Front de gauche et les écologistes. Mais dans les débats, le sujet n’est au bout du compte pas si abordé. Daniel Goldberg évoque ainsi une « primaire du projet » à laquelle pourraient participer les « partenaires ». À ses côtés au Pré-Saint-Gervais, Karine Berger évoque pour sa part une « convention du projet » ouverte aux votes des militants socialistes « mais aussi des autres partis ».
Que restera-t-il de tout cela ? Première réponse ce jeudi soir, après le vote des militants.
BOITE NOIRENous avons participé à trois « AG fédérales de motions », le 11 mai à Créteil, le 13 mai au Pré-Saint-Gervais et le 19 mai à Paris. Si la première m'a vu me heurter à un huis clos finalement contourné (lire ici sur mon blog), la deuxième s'est très bien passée et la presse y était accueillie sans problème. Quant à la troisième, à l'issue d'une longue discussion avec les responsables de la motion A, seuls hostiles à la présence des médias, nous avons finalement été autorisés à y assister.
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