« Ah, mais vous croyez les textes de congrès vous ? » Les ministres croisés ces temps-ci disent presque tous la même chose. Alors qu’ils votent ce jeudi 21 mai pour désigner la motion qui a leur préférence, en vue du congrès de juin, voilà les militants socialistes prévenus : mieux vaut ne pas trop croire aux promesses de la motion A, cette motion XXL menée par Jean-Christophe Cambadélis soutenue à la fois par tout le gouvernement, l’aile droite du PS ou la maire de Lille Martine Aubry, récemment rentrée dans le rang. « Ça va être très facile de fronder sur la base de ce texte », ironise déjà l’ancien ministre Benoît Hamon, qui a signé la motion B, celle des “frondeurs”.
Après avoir rallié la motion A, Martine Aubry s’était pourtant vantée devant les journalistes d’avoir « trouvé un accord sur le fond » avec ce cher « Camba » qu’elle connaît si bien. De fait, la motion « le renouveau socialiste », tricotée dans les règles de l’art socialiste de la synthèse, mêlait habilement le texte de Cambadélis et celui proposé par Aubry. Et il proposait aussi des inflexions notables de la politique économique du gouvernement.
« Plus que jamais, la grande réforme fiscale que nous avons voulue doit être menée à bien », peut-on lire dans ce texte plein d’emphase. Annoncée pendant la campagne présidentielle, le « big bang » fiscal n’a en effet toujours pas vu le jour, au grand dam de l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault. La motion A, signée entre autres par le ministre du budget Michel Sapin, assure que le chantier sera lancé dans les tout prochains mois, en commençant par l’impôt à la source et la réduction de la CSG. « Pour les ménages, nous souhaitons que le chantier de l’impôt citoyen soit engagé dès le projet de budget pour 2016 par un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et une réduction de la CSG sur les premières tranches de revenus. Lisible pour le contribuable, cette première étape permettra de poser le socle du rapprochement entre l’impôt sur le revenu et la CSG », promet le texte.
Plus loin, il est question d’une réforme d’ampleur du crédit d’impôt compétitivité emploi, le cœur du « pacte de responsabilité » de François Hollande. Ces 41 milliards d’aides sans condition aux entreprises ont été très critiqués, y compris par Martine Aubry. À la suite d’un bilan promis pour cet « été », la motion A envisage de réaffecter les sommes non encore dépensées (15 milliards d’euros) vers « l’emploi, l’investissement privé productif et les investissements publics ». Toujours refusé jusqu’ici par le gouvernement, un ciblage du CICE est même évoqué : « Nous considérons qu’il convient de mieux cibler les dispositifs d’intervention pour les entreprises qui en ont un réel besoin [...], la recherche, l’innovation, la formation », assurent les signataires. Qui se disent aussi « opposés à une nouvelle extension du travail du dimanche ». Une petite phrase pas anodine du tout, alors que la loi Macron pourrait bientôt revenir devant les députés et les sénateurs, s'ils ne se mettent pas d'accord sur le texte, entièrement remanié au Sénat.
Lors de la campagne interne au PS, qui s’achève ce mercredi, ces sujets ont été au cœur des débats entre militants. Ces engagements sont-ils une illusion d’optique pour noyer le poisson ? Constitueront-ils au contraire une vraie feuille de route pour le gouvernement ? Croisés par Mediapart lors d’un récent débat au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), des militants y perdent leur latin. Après avoir entendu le patron du département, Stéphane Troussel, défendre la motion A avec des quasi-accents de frondeur, Hugo se dit « d’accord » avec lui, mais s’inquiète de « savoir que Gérard Collomb dit l'inverse au même moment ». Quant à Sylvine, aubryste revendiquée qui n'aurait pas « imaginé forcément de signer un texte avec Manuel Valls », elle croit que ce texte est « opposable au gouvernement car Martine est au centre de gravité du parti ». Mais elle n’en est pas sûre non plus.
Devant les militants, les animateurs des autres motions n’ont pas manqué de souligner ces contradictions. « Cette motion A est un paravent, le fruit de toutes les contradictions, juge le député Christian Paul, premier signataire de la motion B. Ce texte n’a aucune valeur. Les ministres désavouent tous les matins ce qu’ils ont signé. On entend en stéréo deux musiques totalement différentes. C’est un discours du Bourget bis. Pour le PS, c’est mortifère. »
Chef de file de la motion D, Karine Berger appuie aussi là où ça fait mal. « Certains dans la motion A disent publiquement qu'ils voteront contre le gouvernement si l'application du texte ne leur convenait pas. » La députée a même cité un nom : Jean-Marc Germain, proche de Martine Aubry. Interrogé par Mediapart, celui-ci confirme : « Je reste frondeur. Si cette ligne n’est pas suivie, s’il n’y a pas de contreparties au CICE, s’il n’y a pas de redéploiement en faveur de l’investissement public, si le travail du dimanche est étendu au-delà de ce qu’il est aujourd’hui, je ne voterai pas les textes. »
Dans Le Nouvel Observateur, Jean-Christophe Cambadélis se vante de son côté d’avoir enfumé ses adversaires internes (il conteste depuis avoir tenu ses propos), en calant exprès le congrès à cette date pour que les ponts du mois de mai l’anesthésie. Il se félicite aussi de son « astuce » à propos du travail du dimanche, avec une formule (« Nous sommes opposés à une nouvelle extension ») volontairement ambiguë. « Martine n’était pas dupe, mais elle n’a pas pu s’empêcher d’exploser de rire quand je la lui ai lue. Tout a été pensé, croyez-moi », se vante « Camba » dans L’Obs.
« C’est faux, s’étrangle Germain. Sur le travail du dimanche, il proposait au départ d’entériner les douze dimanche travaillés prévus dans la loi Macron. Nous n’aurions jamais signé ça ! » Indignation feinte ou vraie colère ? D’ores et déjà, les proches de François Hollande crient victoire. « Il n’y aura pas de nouvelle extension du travail de dimanche. Mais ce sera 12 dimanches travaillés. Jean-Christophe Cambadélis est un artiste », sourit Stéphane Le Foll. « C’est sioux… On a le droit de ne pas être tout le temps con ! », s’amuse un ministre proche de François Hollande. Aux militants de dépêtrer le sac de nœuds.
Ces derniers jours, devant les rares militants se déplaçant encore aux réunions socialistes organisées en vue du congrès, Cambadélis n’est pas entré dans les détails d’une motion dont il semble pourtant si fier. Dans le Val-de-Marne par exemple, le premier secrétaire du PS a insisté sur le fait qu'il lui fallait « une majorité stable pour qu'il y ait des discussions ». Sur le fond du texte, il se contente d'une formule : « Plus la majorité sera forte, plus ce qu'il y a dans le texte sera appliqué. »
Les ministres, eux, font moins de mystères : ils assument le caractère non contraignant de la motion. « Un texte de motion n’est pas la feuille de route du gouvernement, c’est clair, explique une ministre sous couvert d’anonymat. On dit ce qu’on a peut-être envie de faire, mais ça n’a rien à voir avec le gouvernement… » Il y en a bien quelques-uns pour croire que le deal Cambadélis/Aubry est « probablement le premier signe d’une inflexion plus à gauche », mais ils sont peu nombreux.
En réalité, la quasi-totalité des “hollandais” et des “vallsistes” n’y croient pas une seconde. Pour eux, l’important est surtout d’afficher l’unité. « Le débat est simple : soit on continue de chicailler [un mot québécois pour dire chicaner - ndlr], soit on se rassemble et on réussit pour la France », assume Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture et porte-parole du gouvernement. « Les militants ont été choqués par le 49-3 ; ils n’aiment pas le bordel. Ils veulent de la discipline collective », estime, martial, Didier Guillaume, le président du groupe PS au Sénat. « Les militants peuvent être critiques mais ils considèrent que notre premier boulot est de défendre le gouvernement. Ils souhaitent le rassemblement », juge un autre ministre “hollandais”.
Pour faire bonne mesure, le gouvernement donne tout de même quelques gages, minimes, et pour l’instant rhétoriques. S’il a exclu la « fusion » de l’impôt sur le revenu et de la CSG (pourtant prévu par la motion A), Stéphane Le Foll a évoqué ce mercredi 20 mai la possibilité de lancer le chantier de la « retenue à la source ». Une possibilité abordée en deux mots par François Hollande la veille, à Carcassonne. Mais même si Jean-Christophe Cambadélis continue de proclamer le contraire, la grande réforme fiscale, elle, n’est plus du tout d’actualité. « Il ne faut pas parler de réforme fiscale, on l’a faite ! La fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu est impossible car elle va augmenter les impôts. On ne peut plus la faire », insiste un responsable du PS.
En tout cas, personne ne dit quand la retenue à la source qui nécessite, dixit un ministre de Bercy, « beaucoup de travaux pour être mise en œuvre », pourrait avoir lieu. Et ce ne sera sûrement pas cette année : à la rentrée, le gouvernement entend axer sa communication sur la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu et ne veut surtout aucun parasitage. « On peut l’enclencher avant la fin du quinquennat mais plutôt le mettre dans le programme de 2017 », assure, sans rire, un proche de François Hollande.
Quant aux promesses sur le CICE, plus personne n’en parle. Bercy freine des quatre fers, met en avant l’inconstitutionnalité d’un ciblage du crédit d’impôt et assure qu’en pratique, la réalité d’éventuelles contreparties ne pourrait pas être mesurée. « Disons que ceux qui ont écrit cette motion sont allés directement à l’idéal sans penser aux étapes intermédiaires », soupire un ministre. « Cette motion n'est certes pas la feuille de route du gouvernement, mais c'est une ligne claire que le PS devra défendre en lien avec les parlementaires face à l'exécutif », assure l'aubryste Jean-Marc Germain. Après tout, il n'est pas interdit de rêver.
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