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La mascarade d'Outreau se perpétue à Rennes

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L’affaire Dutroux de 1996, en Belgique, trotte dans toutes les têtes quand éclate, cinq ans plus tard, l’affaire d’Outreau (Pas-de-Calais). En cette ville limitrophe de Boulogne-sur-Mer, Myriam Badaoui a placé ses quatre fils en familles d’accueil, pour les protéger de la violence de leur père, Thierry Delay. La progéniture confie ses souffrances à des assistantes familiales, à l’Ase (Aide sociale à l’enfance), puis à la justice saisie des faits.

Quels faits ? L’instruction, menée de 2001 à 2003, recueille la parole accusatrice des fils Delay (Chérif, Dimitri, Jonathan et Dylan), de leur mère, Myriam Badoui, puis d’autres enfants : tous dénoncent ce qui apparaît comme un réseau pédophile. Dix-huit personnes en tout sont incarcérées, dont les parents Delay-Badoui, mais aussi des voisins et des habitants d’Outreau. L’un des accusés, François Mourmand, meurt en prison.

Demeurent dix-sept suspects derrière les barreaux. Leur procès s’ouvre en mai 2004 devant la cour d’assises de Saint-Omer. Ils sont poursuivis pour viols et agressions sexuelles sur mineurs. Sept sont acquittés, dix sont condamnés.

Le duo Delay-Badaoui reconnaît les faits, tout comme un couple de voisins, Aurélie Grenon et Thierry Delplanque. Ces quatre coupables écopent de peines de prison ferme – jusqu’à 20 ans pour Thierry Delay.

Restent six condamnés, que Myriam Badaoui a pourtant déclarés hors de cause au même titre que les sept acquittés lors du procès étrange et inique de Saint-Omer. Ces six condamnés contestent le verdict. En appel à Paris l’année suivante, Myriam Badaoui les innocente à nouveau, déclarant les avoir calomniés. S’ensuit un verdict d’acquittement général, le 1er décembre 2005. Le président de la République, Jacques Chirac, présente par écrit ses excuses aux six victimes emprisonnées depuis cinq ans, ainsi qu’aux sept personnes acquittées de l’année précédente ayant passé près de quatre années en détention.

Que s’est-il passé ? Le juge d’instruction, Fabrice Burgaud, s’est senti pousser des ailes en arrachant des aveux à la délatrice Myriam Badaoui, qui s'aperçut que c’est en mentant qu’elle deviendrait écoutée. La même mésaventure arriva, au même moment, à Toulouse, avec le gendarme Roussel, qui soutira des mensonges délirants à deux anciennes prostituées accusant des pires turpitudes l'ancien maire de la ville rose et un magistrat. Chez Roussel et Burgaud, collecteurs complaisants, la parole de femmes à terre et en larme ne peut être que vérité, déclenchant des condamnations forcément appropriées.

Le juge d'instruction Fabrice Burgaud devant la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau en 2006.Le juge d'instruction Fabrice Burgaud devant la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau en 2006.

La journaliste Florence Aubenas a pointé, dans un livre remarquable publié en 2005, La Méprise : l’affaire d’Outreau (Seuil), l’étrange ballet du juge Burgaud avec Myriam Badaoui : « Le procès-verbal, transcrit par le greffier ce 27 août 2001 au palais de justice de Boulogne-sur-Mer, ne fait aucun mystère sur le fait que Fabrice Burgaud aiguille lui-même Myriam sur les noms avancés par ses fils.

“Qui est l’abbé Wiel ?”
Myriam commence par dire qu’il est un confident.
“Jordan dit qu’il filmait”, relance le juge.
Myriam continue à dire que son fils se trompe.
“Êtes-vous bien sûre ?”
Elle finit par céder.
“Il participait à un réseau de pédophilie. Cela a commencé au départ avec des faits au niveau local avec des voisins, puis il y a eu des liens avec le propriétaire du sex-shop et là on a été raccroché par un réseau.” »

Plus tard, aux assises, Myriam Badaoui devait raconter : « Le juge m’a dit que les enfants avaient dénoncé un huissier ou un notaire, je ne sais plus, c’est pareil. J’avais des dettes. Un maître Gontrand et un maître Lapin s’en occupaient. C’étaient les seuls que je connaissais, j’ai donné les noms. »

Noms que le greffier acte dans le procès-verbal. Mais, devait préciser aux assises Myriam Badaoui : « Alors le juge m’a dit : “Non, c’est un autre. Réfléchissez bien.” J’ai fini par demander : “C’est quoi, comme nom ?” Il m’a fait “Les Marécaux”. Moi, je ne les connaissais pas. Alors, comment voulez-vous que je les invente ? D’abord, je me disais : je peux pas répéter, c’est des gens, je sais même pas où ils habitent. Puis j’ai pensé que cela devait être forcément vrai. »

Au juge se prenant pour Socrate, Zorro et Rouletabille, s’adjoint, dans l’affaire d’Outreau, une pièce essentielle derrière laquelle s’abritent magistrats, policiers et journalistes : l’expert. Il est un mot de passe que lâchent les experts et sur lequel se jettent juges, enquêteurs et commentateur : « Crédible. » Or dans la langue des experts, cela n’a rien d’un certificat de vertu, de franchise ou de sincérité. Cela signifie que si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé ; que s’il y a mensonge, il est plausible ; que le témoin examiné fait preuve de suffisamment de ruse, de capacité créatrice, de maîtrise du langage, de bagout voire de constance dans sa mythomanie, pour rapporter un récit qui tienne la route et résiste à la confrontation des questions. Voilà le sens, tout le sens, rien que le sens de « crédible »

Les 16 000 experts – jamais expertisés ! – qui peuplent les tribunaux ont parfois la tentation d’abuser de magistrats débordés. Ces experts se montrent volontiers courtisans zélés ou miroirs flatteurs à l’endroit des juges, commanditaires qui optimisent bien des bénéfices – même si l’on entendit l’une de ces expertes, lors de la Commission parlementaire consacrée à l’affaire d’Outreau en 2006, cracher avec impudence dans la soupe ; en déclarant qu’à salaire de femme de ménage, correspondait expertise de femme de ménage…

Voilà comment la catastrophe d’Outreau naquit d’un juge persuadé d’être la Pythie (Fabrice Burgaud), s’appuyant sur des experts aux allures de marabouts, le tout chroniqué par une presse ensorcelée, dénonçant sans vérifier, avec l’art et la manière de faire un malheur.

Or voici qu’au nom de la souffrance jadis subie par des enfants, en particulier les quatre fils Delay aujourd’hui âgés de 18 à 25 ans, une cohorte se bat pour que les acquittés d’Outreau soient à nouveau jugés. Parmi ces éléments actifs, figure l’experte se plaignant en 2006 de son salaire de femme de ménage et justifiant son travail à bas coût – elle s’est abonnée à Mediapart pour abriter dans son blog, comme c’est son droit, sa propagande orientée vers le révisionnisme judiciaire. Dans un vade-mecum précis, le journaliste du Figaro Stéphane Durand-Souffland décrypte la croisade entreprise, à coups de désinformations, par ces défenseurs autoproclamés de l’enfance piétinée : complotisme à tous les étages !

Ces fanatiques, constitués en associations cachant leur rage de voir des têtes tomber derrière la protection de l’âge innocent, ont obtenu que l’un des acquittés de la cour d’appel de Paris en 2005, Daniel Legrand junior, subisse un nouveau procès. Pour une question procédurière. Il fut acquitté en tant que majeur. Or il était aussi poursuivi en raison d’accusations, sinon de faits, antérieurs au 15 juillet 1999, date de ses 18 ans ; pour lesquels il comparaît donc, à 33 ans, devant la cour des mineurs d’Ille-et-Vilaine de Rennes, du 19 mai au 5 juin.

Les associations surchauffées, telle “Innocence en danger”, ont trouvé des alliés dans une magistrature toujours prompte à ouvrir des parapluies corporatistes : Emmanuel Poinaf, ancien secrétaire général du syndicat FO-Magistrats, a ainsi déclaré à 20 Minutes avoir adressé un courrier au ministère de la justice, le 12 juin 2013. « Nous avons alerté la garde des sceaux sur le fait qu’une partie du contentieux n’avait pas été jugé, afin de couvrir un risque de mise en cause de la responsabilité de nos collègues. »

Voilà comment se perpétue la mascarade d’Outreau. Les conspirationnistes jubilent au nom du “il n’y a pas de fumée sans feu” qui devient “il n’y a pas de procès sans coupable”. Daniel Legrand, condamné en 2004 à Saint-Omer avec cinq autres victimes de la justice française, acquitté avec ses comparses de malheur l’année suivante par la cour d’appel de Paris, revit donc pour la troisième fois cette ordalie garantie par un tribunal de la République.

Tout cela prétend s’organiser au nom du refus de l’oubli des souffrances. Cependant au mépris de ce qu’écrivait Tzvetan Todorov dans Mémoire du mal, tentation du bien : « Le bon usage de la mémoire est celui qui sert une juste cause, non celui qui se contente de reproduire le passé. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Magicka


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