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Affaire Kerviel : la Société générale s'estime «instrumentalisée»

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« Il n’y a aucun fait nouveau. » D’un revers de la main, Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, a tenté de balayer le stupéfiant témoignage de Nathalie Le Roy (lire ici) lors de l’assemblée générale des actionnaires de la banque le 19 mai. Pour les dirigeants de la banque, tout cela n’est qu’une nouvelle « exploitation médiatique ». « Ce n'est évidemment pas une coïncidence. Cette année encore l'assemblée générale est utilisée par certains comme une caisse de résonance », martèle le dirigeant en préambule à la traditionnelle séquence de questions-réponses.

Retournant le reproche qui lui a été fait par l’ancienne enquêtrice de la brigade financière, la banque se dit à son tour victime « d’une instrumentalisation ». « Je me retrouve même mis en cause d’une façon farfelue », s’indigne le PDG de la Société générale, se référant en creux au témoignage d’une responsable des ressources humaines qui a évoqué la séquestration de cadres pour les obliger à signer un accord de confidentialité. Avant de rappeler « cet épisode douloureux qui a failli faire écrouler votre banque, menacer des emplois ».

Frédéric Oudéa lors de la présentation des résultats le 12 février 2015Frédéric Oudéa lors de la présentation des résultats le 12 février 2015 © Reuters

Succès garanti ! Dans la salle, les actionnaires, dont nombre de salariés ou d’anciens salariés – ils sont les premiers actionnaires de la Société générale –, applaudissent à tout rompre. Lassés de toute cette histoire, ils sont convaincus, comme au premier jour, par les propos de la direction générale. Jérôme Kerviel reste le « terroriste qui a menacé l’ordre financier international », qui a manqué pousser la banque à la faillite, et surtout, qui leur a coûté une partie de leurs dividendes.

Prise de court au moment de nos révélations de la principale enquêtrice de la brigade financière, la banque a repris ses esprits depuis et mis en place sa ligne de défense. Comme lors des autres témoignages précédents qui sont venus contredire la « version officielle de l’histoire », il s’agit d’en minimiser la portée et de faire douter de la crédibilité des personnes qui osent contredire « la grande banque ». Nathalie Le Roy ? « Une des enquêtrices de la brigade financière », déclare alors Frédéric Oudéa, pour relativiser sa fonction et sa parole. Et cette toute petite enquêtrice, ce pion dans la machine judiciaire, était « placée sous la responsabilité des juges d’instruction Françoise Desset et Renaud Van Ruymbeke dont on connaît le professionnalisme », ne manque pas d’insister le dirigeant de la banque.

Avec gourmandise, il lit alors un extrait de rapport que Nathalie Le Roy avait rédigé le 2 juillet 2008. Elle parlait alors « de l’ampleur du préjudice porté à la banque par un trader qui a abusé sa hiérarchie ». « En 2008, je suis convaincue de la culpabilité de Jérôme Kerviel et de la véracité des témoignages recueillis », a-t-elle déclaré face au juge d’instruction Roger Le Loire. Frédéric Oudéa se garde bien d’évoquer la suite de l'audition, la prise de conscience de l’enquêtrice en 2012, les pressions du parquet refusant toutes les expertises, pressé d’enterrer tout ce qui pourrait amener à rouvrir le dossier. « À l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », a en effet affirmé Nathalie Le Roy devant le juge d’instruction.

L’assistance, de toute façon, n’avait aucune envie d’entendre de tels propos. Comme la banque, les petits actionnaires sont pressés de tourner cette page peu glorieuse. Assurant que la banque était déterminée à se défendre, Frédéric Oudéa a rappelé qu’en retour des deux plaintes pour faux et escroquerie au jugement déposées par Kerviel, la banque avait déposé deux plaintes pour dénonciation calomnieuse. 

Tout cela suffit à l’auditoire. Ou presque. Un actionnaire se hasarde, malgré tout, à demander combien la banque dépensait en lobbying, et combien lui coûte la défense dans le dossier Kerviel. « Le coût de l’affaire Kerviel, c’est la perte », réplique Frédéric Oudéa sans en donner le montant. Il se murmure que la banque a dépensé plus de 100 millions d’euros pour assurer sa défense et sa communication dans cette affaire. Quant au lobbying, la banque ne dépense rien, à en croire son dirigeant, si ce n’est du temps consacré par son service de communication, ses conseillers, pour expliquer sa stratégie.

« Mais qu’arrivera-t-il aux actionnaires, si Bercy vous demande de rembourser l’avoir fiscal de 1,7 milliard d’euros ? » interroge le conseiller régional écologiste Julien Bayou, devenu pour l’occasion actionnaire de la banque, en mentionnant le nouvel article de Mediapart sur le revirement de position de Bercy. « Le procès pénal est définitivement clos. Le procès civil, qui doit déterminer le montant des dommages et intérêts, n’a rien à voir. Donc il n’y a aucune conséquence fiscale. Il n’y a pas de légitimité à revenir sur cet avoir fiscal. En matière fiscale, nous sommes dans un État de droit », réplique Frédéric Oudéa.

« Depuis sept ans, toutes les leçons de l’affaire Kerviel ont été tirées », a assuré le dirigeant de la Société générale. Cette affaire comme la crise ont en effet changé le discours de la banque. Elle ne parle plus, comme avant 2008, de sa position de numéro un mondial sur le marché des dérivés actions et des dérivés de taux. Elle ne met plus en avant les fabuleuses performances de sa banque de financement et d’investissement (BFI), qui regroupait toutes ses activités de marché et de trading et qui assurait alors près de 40 % du bénéfice du groupe bancaire.

C’est bien simple, on se demande même si ces activités de marché existent encore à la Société générale. Depuis 2014, la banque de financement et d’investissement, présentée comme un des piliers de son modèle de banque universelle, a été renommée : elle s’appelle la banque de grande clientèle et solutions investisseurs. Une activité censée être au service des grands groupes.

Pourtant, à regarder les comptes de plus près, ces activités de marché sont toujours aussi essentielles pour la Société générale. L’an dernier, cette branche a réalisé un bénéfice de 1,1 milliard d’euros, soit comme auparavant 40,8 % du résultat net total du groupe bancaire (2,6 milliards d’euros), alors qu’elle ne représente que 19,5 % du produit net bancaire du groupe.

À la différence d’autres établissements bancaires, qui s’alarment tous de la politique des taux zéro actuels qui ébranle leur métier d’intermédiation et de distribution de crédits, la Société générale se montre au contraire très rassurante pour l’avenir. Elle s’attend à une bonne année 2015. Il est vrai que les marchés financiers, déconnectés de toute réalité économique, n’ont jamais été aussi exubérants depuis que les banques centrales distribuent les milliards par poignée au travers de leurs politiques non conventionnelles (quantitative easing). C’est toujours là que la Société générale réalise une partie substantielle de ses profits.  

De même, la banque s’évertue à minimiser les risques juridiques – les litiges comme dit la Société générale – auxquels elle est confrontée. La liste de ces risques, pourtant, ne cesse de s’allonger, comme le remarquait Eva Joly dans son entretien. La banque est mise en cause au Maroc, en Turquie, aux États-Unis. Après avoir été condamnée par la commission européenne pour avoir participé à des manipulations sur l’Euribor, elle fait face aux mêmes accusations face à la justice américaine pour manipulation sur le Libor.

« Les provisions pour les risques juridiques sont passées de 1 à 1,4 milliard d’euros », s’est inquiété un actionnaire. « Tous les établissements financiers sont touchés », a minimisé Frédéric Oudéa, ajoutant : « Mais c’est vrai que c’est le principal risque pour les banques désormais. » Un risque que la banque sait mal estimé, a-t-il reconnu, disant qu’il ne « s’interdirait pas d’augmenter les provisions si nécessaire »

Oudéa a alors énuméré la liste des principaux « litiges » auxquels la banque devait faire face. Il parle de l’enquête sur le Libor et l’Euribor. Au détour d’une phrase, il mentionne aussi une enquête des autorités américaines sur le respect de l’embargo contre l'Iran. En d’autres termes, la Société générale fait l’objet d’une enquête américaine pour les mêmes faits qui ont été reprochés à BNP Paribas, condamnée à payer une amende record de 8,6 milliards de dollars. « Mais l’enquête est encore longue. Elle prendra au moins toute l’année 2015 », relativise Frédéric Oudéa.

Il n’y a donc qu’en France que la justice accepte de considérer la Société générale comme exemplaire et intouchable. Ailleurs, elle fait l’objet d’enquêtes approfondies et la justice ne la croit pas sur parole.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Magicka


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