Il s’est embrouillé. Il a confondu. Il a chuté sur sa droite. Depuis que Christian Estrosi s’est exprimé, ce mardi 19 mai au matin, sur la relaxe des deux policiers jugés pour “non-assistance à personnes en danger” après la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois, en 2005, chacun y est allé de son interprétation. Le député et maire UMP de Nice (Alpes-Maritimes), ancien ministre de Nicolas Sarkozy, qualifiant les deux jeunes de « délinquants » parce qu’ils étaient « en excès de vitesse » – alors qu’ils étaient à pied et qu'ils ne faisaient rien de mal –, cela doit forcément avoir une explication tangible.
S’est-il emmêlé les pinceaux avec l’affaire de Villiers-le-Bel ? A-t-il péché par excès de zèle ? Régionales obligent, l’élu serait entré depuis quelque temps dans une course à l’échalote avec le Front national pour éviter que la région PACA ne tombe entre les mains de Marion Maréchal-Le Pen. Soit. Mais l’explication est un peu courte. Ouvrir de grands yeux en entendant Estrosi prononcer de telles inepties, c’est reconnaître qu’on les ferme la plupart du temps.
Car en vérité, pas une semaine ne passe sans que le député et maire de Nice raconte n’importe quoi sur les plateaux de télévision et de radio qu’il fréquente frénétiquement. Ses comptes Twitter et Facebook pourraient à eux seuls donner du travail aux fact-checkeurs pour les dix prochaines années. Ils permettent surtout de mettre en lumière les obsessions de l’élu (les dernières en date étant l’islam et Christiane Taubira). Petite revue non exhaustive :
- Avril 2015 : il y a en France des « cinquièmes colonnes » de « l'islamo-fascisme ».
- Février 2015 : « Les chrétiens ne posent pas de problème, la religion juive ne pose pas de problème. Il y a un vrai problème posé par l'islam. »
- Novembre 2014 : « Le président Obama serait totalement dans son rôle en demandant au président Hollande de prendre des mesures contre madame Taubira. »
- Février 2014 : « On se demande si le gouvernement ne va pas demander aux Français de s'intégrer. D'apprendre à parler les langues africaines, le mandarin, les langues arabes. Est-ce que c'est à nous de nous adapter ? »
- Avril 2013, à des gens du voyage : « J'en ai maté d'autres, et je vous materai ! » « Vous savez, ces belles et grosses voitures avec lesquelles ils tirent leurs belles et grosses caravanes pour lesquelles il faudrait parfois toute une vie aux Français pour pouvoir se les payer. »
- Octobre 2012, à l'issue d'une marche de pieds-noirs et de harkis à Nice : « Vive l'Algérie française ! »
- Janvier 2012, au sujet du Fouquet's : « C'est indigne de reprocher à Nicolas Sarkozy d'aller dans une brasserie populaire ! »
Autant de déclarations auxquelles s'ajoutent les nombreux arrêtés municipaux pris dans l'unique but de créer le buzz, la plupart d'entre eux étant cassés quelques mois plus tard par le tribunal administratif. En l'espace de cinq ans, le député et maire de Nice a ainsi successivement signé un arrêté ordonnant un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans (2009), un autre contre les « mariages bruyants » (juin 2012), ou encore un autre interdisant « l'utilisation ostentatoire des drapeaux étrangers » dans le centre-ville (juin 2014, en pleine coupe du monde).
La plupart du temps, ces sorties passent inaperçues ou tombent dans les limbes du lol. On hausse les épaules. On dit : « Oui, mais bon, c’est Estrosi. » Et on passe à autre chose. Mais cette fois-ci, dans le cas de l'affaire Zyed et Bouna, les propos de l’élu ne passent pas. Face aux cris et aux larmes des familles des victimes, nul n’a envie de sourire en l’entendant balayer ce sujet dramatique par un cynique « les familles n'ont qu'à éduquer leurs enfants et faire en sorte qu'ils ne soient pas des délinquants ».
Certains élus de gauche, à l’instar du président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, ont dénoncé ces propos « irresponsables, stigmatisant et haineux ». « En faisant la leçon de manière aussi violente à toutes les familles vivant dans des territoires que le pouvoir de M. Sarkozy a négligés et méprisés, ce député tente d’allumer la guerre civile », écrit le socialiste sur son blog. À droite, où le courage rime rarement avec la témérité, pas un mot. Pas une réaction. Pas un élu qui n’ose prendre la parole sur des paroles qui dérangent pourtant plus d’une personne dans les rangs de l’UMP.
À les écouter, Christian Estrosi aurait intégré depuis fort longtemps le cercle fermé des responsables de la rue de Vaugirard (où gravitent également les époux Balkany et Nadine Morano) que l’on ne prend pas vraiment au sérieux, à propos desquels on rit sous cape, mais que jamais, au grand jamais, on ne critiquera ouvertement. Parce qu’il a été ministre de Nicolas Sarkozy. Parce qu’il est encore très proche du patron de l’opposition. Parce qu'il est président de la commission des investitures de l'UMP. Parce qu’il jouit d’une aura toute particulière dans ce berceau de la droite que sont les Alpes-Maritimes.
Voilà pourquoi les polémiques “estrosiennes” font rarement du bruit au-delà de 24 heures. C’est comme ça. Et nous devrions tous l’accepter. On pourrait arguer qu’il ne sert à rien de médiatiser davantage ce type de déclarations. Que le faire participe à l’entreprise de communication mise en place par le député et maire de Nice. Parler fort en politique, c’est d’abord se faire entendre. Plus les propos sont énormes, mieux ils sont écoutés, relayés, diffusés. Et qu’importe s’ils sont critiqués. L’essentiel est qu’ils aient permis de faire parler de soi pendant quelques heures.
Christian Estrosi l’a bien compris, lui qui multiplie les provocations et les photographies pouvant prêter à la moquerie. En accordant une importance, même minime, à ses propos les plus absurdes, en retweetant les selfies qu'il poste quotidiennement sur les réseaux sociaux, nous participons in fine à cette vaste entreprise de communication égotique.
BOITE NOIREPour devancer les éventuelles critiques qui argueraient qu’en écrivant ce papier, je participe moi-même à l’entreprise de communication égotique de Christian Estrosi :
Je suis depuis longtemps le député et maire UMP de Nice et vois régulièrement passer le type de déclarations, photos, communiqués, tweets, dont je parle dans cet article. En règle générale, je ne leur accorde aucune importance. Les relayer au jour le jour, comme une parole politique sérieuse, ne me semble guère pertinent. En revanche, les regrouper me paraît faire sens.
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