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Le FN a obtenu ses millions russes, une enquête parlementaire est ouverte

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La demande de création d'une commission d'enquête parlementaire sur les financements russes du Front national a été acceptée, mardi, par l'Assemblée nationale. Révélés en novembre par Mediapart, deux prêts obtenus en 2014, l'un par le Front national de 9 millions d'euros, l'autre de 2 millions d'euros par le microparti Cotelec, présidé par Jean-Marie Le Pen, ont soulevé de nombreuses interrogations. En avril, le groupe socialiste de l'Assemblée nationale a formellement demandé l'ouverture d'une enquête parlementaire.

En novembre, Marine Le Pen avait expliqué avoir fait face au refus des banques françaises, avant d'opter pour des fonds russes, débloqués par la First Czech Russian Bank (FCRB), basée à Moscou. Après un versement de deux millions d’euros à l’automne, le Front national a, selon nos informations, reçu les sept autres millions de ce prêt décroché en septembre. L'intégralité de l'argent russe est donc entrée dans les caisses du parti. L'hypothèse d'une demande de financement d'un montant global de 40 millions d'euros avait été évoquée par des dirigeants du FN.

Une partie des interrogations portait sur l'implication de l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser dans la négociation du prêt. L'élu a en effet reconnu avoir reçu une « commission forfaitaire » de 140 000 euros pour cet emprunt destiné à son parti. Selon nos informations, cette somme a été versée à la société de consulting Cano SAS, basée au Luxembourg et dirigée par sa femme.

Cet emprunt russe avait été obtenu « pour diversifier les prêteurs » et « ne pas dépendre d'un seul prestataire », a indiqué à Mediapart le « stratégiste économique » de Marine Le Pen, l’eurodéputé Bernard Monot. Il permet à Marine Le Pen de poursuivre son émancipation financière par rapport à son père, qui pourrait décider de couper au Front national et à ses candidats les robinets financiers de ses micropartis, Cotelec et Promelec. C’est d’ailleurs grâce à l'autre prêt russe de deux millions d’euros, contracté en avril 2014 via Cotelec, que Jean-Marie Le Pen a pu prêter des fonds aux candidats frontistes aux européennes.

Ces emprunts russes permettent au Front national de combler une partie de ses besoins – évalués à « 40 millions d'euros » par le trésorier du parti – pour mener les campagnes électorales jusqu'en 2017. Mais ces financements ne cessent d'interroger, notamment à cause de l’inflexion de l’engagement pro-russe du Front national sous la présidence de Marine Le Pen. « L'opacité et les conditions d'octroi » de ces financements posent « de nombreuses questions relatives à l'interprétation des textes de loi », a commenté le député Razzy Hammadi, l'un des initiateurs de la commission d'enquête.

Les textes interdisent en effet qu'un parti « soit financé par une entreprise privée » mais aussi « qu'il reçoive quelque avantage en nature que ce soit par un État étranger », souligne l'élu socialiste. « Marine Le Pen avait dit qu'elle rendrait publics les contrats de ces prêts, on attend toujours. » La commission d'enquête parlementaire devrait débuter ses travaux à l'automne. Une perspective qui ne réjouit pas le Front national. « Cette commission ne commencera jamais, ou alors on n'est plus en République ! s'indigne le trésorier du FN, interrogé par Mediapart. Qu'un parti politique utilise ses prérogatives pour enquêter sur les financements d'un autre, c'est l'Allemagne de l'Est ! C'est Landru qui veut faire procureur ! »

En mars, la révélation de textos d’un responsable du Kremlin évoquant la manière dont la présidente du FN devait être « remerciée » en échange de son soutien sur la Crimée, a relancé les interrogations sur un soutien financier de la Russie au Front national en échange d’un lobbying politique.

Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013.Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013. © dr

De son côté, Marine Le Pen a démenti dès l'origine tout arrangement. « Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne [pro-russe] », avait-elle répondu en novembre, expliquant avoir été « contrainte » de se tourner vers la Russie, compte tenu du refus des banques françaises – dont elle avait dévoilé cinq lettres de refus. « Délirant », avait-elle encore réagi auprès de l’AFP après la divulgation des textos du Kremlin, assurant « qu'au moment du référendum en Crimée », elle était « en négociations pour obtenir un financement à Abu Dhabi ».

En mars 2014, la présidente du FN a pourtant exprimé publiquement un soutien sans ambiguïté aux Russes sur la question de la Crimée. Son conseiller international de l'époque, Ayrmeric Chauprade, s'était en outre rendu sur place en tant qu'« observateur international » à l'invitation d'une organisation pro-russe.

Le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, s'est montré plus prudent, en expliquant à Mediapart qu’il n’était « pas du tout au courant de ce qui s'est passé en amont [de la signature du prêt] » et qu’il s’était contenté de signer la convention de prêt avec « les techniciens de la banque ».

Des zones d'ombre subsistent sur les conditions de remboursement de ce prêt, les commissions versées, et le rôle déterminant du Kremlin dans leur déblocage. La présidente du FN n’a jamais voulu rendre publics ni son contrat de prêt, ni l'échéancier du remboursement. « Les affaires se font de manière secrète, enfin discrète. La banque serait furieuse si on révélait la convention de prêt ! » répond Wallerand de Saint-Just.

L’opacité entoure aussi la rémunération du négociateur du prêt, l'eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser. L’élu avait reconnu avoir perçu en septembre une commission de la banque russe de 140 000 euros pour son rôle d’intermédiaire, mais il avait "omis" de la faire figurer dans sa déclaration d'intérêts de parlementaire. De son côté, le trésorier du FN avait indiqué à Mediapart que le Front national, et non la banque, avait payé cette commission. Mais il est contredit sur ce point par M. Schaffhauser.

« C’est une commission de la banque, déclare M. Schaffhauser à Mediapart. Tout était préparé, on a tout fait. Les Russes voulaient prendre une commission, je leur ai dit : “Ça, il n’en est pas question, la commission, elle est pour moi !” Le Front ne m’a absolument rien payé. » L’élu précise avoir « demandé la permission au FN, au trésorier. Je ne voulais pas qu’on découvre que soi-disant je m’étais enrichi ».

L’eurodéputé reconnaît que ce versement s’est fait via sa société de consulting Cano SAS, basée au Luxembourg. « C’est une société familiale que j’avais constituée il y a longtemps pour lisser mes revenus. Ma femme est à sa tête. Quand j’ai voulu arrêter de faire de la politique, j’ai vendu ma clientèle à cette société », précise-t-il.

Le consultant reste en revanche silencieux sur ses contacts russes, qui ont facilité ce prêt. « J’avais plusieurs palettes possibles, je connaissais plusieurs banques, j’avais monté un fonds d’investissement franco-russe sur l’efficacité énergétique en 2004 à la demande du gouvernement français. En 2014, c’étaient des relations que j’avais nouées avec des banquiers, et on a pris la banque la plus technique. »

Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014.Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014. © Reuters

Dans les réseaux russes du Front national, deux filières sont en tout cas apparues, qui parfois se croisent. Celle de Jean-Luc Schaffhauser, qui fut consultant chez Dassault et Total ; et celle de l'eurodéputé Aymeric Chauprade, conseiller international de Marine Le Pen, remercié en janvier, et intermédiaire de Jean-Marie Le Pen pour son prêt russe.

« On n’est pas dans les mêmes sphères avec Chauprade, il est plutôt un géopoliticien, un politicien, commente M. Schaffhauser. Moi, ce sont Dassault, Total qui m’ont amené à connaître un certain nombre de personnes solides. Ce qui m’intéresse, ce sont les serviteurs de l’État, je ne fréquente pas les hommes d’affaires qui mélangent avec la politique. Vous ne me trouverez en Russie qu’avec des gens propres. »

L'élu ne cache d'ailleurs pas ses réserves par rapport à un ami de Chauprade, l'oligarque russe Konstantin Malofeev, proche du Kremlin. « J’ai rencontré Malofeev. J'avais des doutes sur un certain nombre d’affaires, j’ai dit “je ne peux pas m’en occuper, moi”, j’avais des signaux rouges qui s’allumaient. »

Aymeric Chauprade et Konstantin Malofeev lors du World Congress of Families, le 10 septembre 2014, à Moscou.Aymeric Chauprade et Konstantin Malofeev lors du World Congress of Families, le 10 septembre 2014, à Moscou. © Blog du chercheur Anton Shekhovtsov

Malofeev et Chauprade se sont affichés ensemble à plusieurs occasions. En mai 2014, lors de la célébration des « 200 ans de la Sainte Alliance », réunissant près d’une centaine d’invités à huis clos, à Vienne ; en septembre, à Moscou, lors de la visite d’une délégation de députés français, à l’hôtel Président, puis au World Congress of Families. Jean-Marie Le Pen avait d'ailleurs expliqué à Mediapart avoir rencontré l'oligarque « par Chauprade ». « M. Chauprade m’a fait connaître les gens qu’il connaissait. (...) Vous savez comment se passent ces choses-là, on déjeune, on dîne, on dit “moi je connais quelqu’un qui peut peut-être vous aider à trouver un prêt”. »

Financier des séparatistes pro-russes en Ukraine, Konstantin Malofeev a fait fortune dans la communication avec son fonds d'investissement Marshall Capital. Il est aussi à l'origine, avec sa fondation Saint-Basile-le-Grand – la plus grande organisation caritative orthodoxe en Russie –, d'événements internationaux marqués à l'extrême droite. Il s'est associé à Philippe de Villiers dans la création de déclinaisons russes du Puy du Fou.

Au Front national, certains ont mis en garde Marine Le Pen sur « cette filière » et l'ont invitée à la prudence face à des « milieux affairistes ». « Ça risque de nous péter à la figure », l'avait avertie l'un de ses proches.

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