Le député socialiste du Cher Yann Galut, rapporteur de la loi de lutte contre la fraude fiscale à l’Assemblée nationale, a été le premier à demander une commission d’enquête après les révélations de Mediapart sur l’affaire Kerviel. Il s’en explique.
Suite aux révélations de Mediapart, vous avez parlé de « dysfonctionnements particulièrement graves dans le système judiciaire de notre pays ». Pourquoi ?
Ce témoignage n’est pas celui d’une subalterne : la cheffe enquêtrice de la brigade financière Nathalie Le Roy a dirigé l’enquête, c’est elle qui connaît le mieux le dossier Kerviel. Elle a passé des années avec ce dossier. Sa déposition devant un juge fait l’effet d’une bombe. Convoquée par un juge d’instruction après la plainte de Jérôme Kerviel en escroquerie au jugement, elle a le courage d’avouer qu’elle s’est trompée, qu’elle n’a pas eu les moyens de son enquête et qu’elle a sûrement été manipulée.
Elle sait très bien qu’elle va être attaquée, qu’on va peut-être lui reprocher d’avoir mal mené son enquête. Elle se met en danger pour faire éclater la vérité. Le rôle du Parquet dans cette affaire est posé. En tant que son supérieur hiérarchique, c’est le Parquet qui a orienté son enquête, lui a dit comment la mener, a indiqué les réquisitions complémentaires et les auditions à faire. Nathalie Le Roy dit au juge qu’elle était d’abord convaincue de la culpabilité de Kerviel, puis qu’elle a acquis la conviction que sa hiérarchie savait, et qu’alors à ce moment-là on ne lui a pas donné les moyens de le démontrer. Le Parquet s’est-il dit dès le départ que la Société générale ne pouvait pas avoir sa part de responsabilité ? La question de la sincérité du procès est posée. Si le juge Le Loire fait corroborer ses éléments par d’autres témoignages, alors Jérôme Kerviel ne pourra pas être tenu comme le seul responsable. Dans ce cas, le procès Kerviel tombe et il faut tout reprendre à zéro.
Le juge Le Loire doit donc auditionner de nouveaux témoins ?
Ce n’est pas à moi en tant que parlementaire de dire au juge ce qu’il doit faire. Mais comment imaginer que le salarié évoqué par Mediapart qui a alerté plusieurs mois à l’avance ses supérieurs sur les agissements de Jérôme Kerviel en envoyant un mail avec une tête de mort ne soit pas entendu ? Que les cadres supérieurs qui ont apparemment été séquestrés dans le bureau du directeur financier jusqu’à ce qu’ils signent un accord de confidentialité ne soient pas auditionnés ? Qu’il n’y ait pas de perquisitions, notamment pour savoir ce que disent ses fameuses clauses de confidentialité ? Qu’on n’interroge pas le fameux directeur financier, tous les cadres de la Société générale ? La vérité doit éclater. Car si ce que dit Kerviel est exact, si ce que dit la cheffe enquêtrice est exact, on est face à un scandale d’État.
Vous réclamez une commission d’enquête parlementaire. On va vous répondre que ce n’est pas possible sur une affaire judiciaire en cours – c’est toujours ainsi au Parlement, même si le règlement de l’Assemblée ne le stipule pas. Sur quoi porterait-elle donc ?
Il ne s’agit pas de rentrer dans le détail de l’affaire. Mais il faut vérifier quelle a été l’influence de la Société générale sur le pouvoir politique. J’ai l’impression que les ministres des finances se sont laissé influencer par la Société générale qui s’est posée en seule victime. Cette thèse a été prise pour argent comptant, et tout ce qui pouvait la démentir a été balayé.
Il faut absolument qu’on puisse déterminer s’il n’y a pas eu des pressions, s’il n’y a pas eu des contre-vérités avancées. Et notamment en vertu de quelles garanties le ministère de l’économie et des finances a octroyé 2,2 milliards d’euros de ristourne fiscale à la société générale pour combler ses pertes. D’ailleurs, le chiffre lui-même de 5 milliards de pertes avancé par la Société générale n’a été validé par personne d’autre que la banque. Le parlementaire que je suis, le membre de la commission des finances qui se bat tous les jours pour récupérer 20 millions par-ci, 50 millions d’euros par là a le droit de savoir pourquoi on a fait un gros cadeau fiscal de 2,2 milliards d’euros à la Société générale.
S’il est avéré que la Société générale a sa part de responsabilité, comme je le subodore, alors elle devra rembourser cette somme. Je vais envoyer une lettre en ce sens dans les prochaines heures au ministre du budget (Michel Sapin), au secrétaire d’État au budget (Christian Eckert), à la rapporteure générale du budget à la commission des finances (la députée PS Valérie Rabault) et au président de la commission des finances (l’UMP Gilles Carrez).
Selon vous, que dit cette affaire des relations entre le pouvoir et les banques ?
Elle pose la question de la puissance des banques et de leur contrôle. Dans cette affaire, a-t-on voulu retenir la thèse d’un seul et unique responsable pour ne pas déstabiliser une banque française au moment de la crise des subprimes ? De façon générale, quelles sont les véritables relations des banques avec le pouvoir politique ? Pourquoi ne remet-on jamais en cause ce qu’elles disent ? On l’a vu sur la loi bancaire [finalement de portée très réduite - ndlr], sur la lutte contre les implantations des banques françaises dans les paradis fiscaux, sur la taxe contre les transactions financières que Bercy voulait minime pour « ne pas déstabiliser les banques françaises ».
Vous demandez également la révision du procès Kerviel
Oui, la question doit être posée. Jérôme Kerviel a été condamné pour ses agissements personnels, qu’il a reconnus. Mais il a toujours précisé que sa hiérarchie savait, et même que la Société générale couvrait ses agissements. Il a d’ailleurs fait gagner beaucoup d’argent à la banque dans les mois précédents avant que cela se retourne contre lui. S’il n’est pas, comme il le dit, le seul coupable, alors les indemnités civiles doivent être partagées, et la responsabilité pénale de Kerviel n’est pas la même s’il a été couvert par sa hiérarchie. Si l’enquête prospère, et je pense que le juge Le Loire va aller jusqu’au bout au vu de ce témoignage, il faudra bien que le procès Kerviel soit révisé.
Vous estimez que Nathalie Le Roy est une lanceuse d’alerte. Est-elle menacée ?
Dans les heures qui viennent, cette commandante de police va devenir une cible pour toute une série de gens. Je demande officiellement la protection de sa réputation et de son intégrité. Elle doit bénéficier du statut du lanceur d’alerte pour qu’il n’y ait pas de sanction de sa hiérarchie, pas de pression sur elle. Si elle se considère en danger professionnel ou personnel, si elle subit des pressions, elle doit être protégée par les programmes de protection des lanceurs d’alerte mis en place par le ministère de l’intérieur. Elle doit pouvoir si nécessaire bénéficier de la protection fonctionnelle des fonctionnaires, d’une protection physique. Il faudrait à terme un véritable statut du lanceur d’alerte, que nous n’avons toujours pas dans notre droit.
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