À la suite des attentats de Paris, dans lesquels une jeune policière municipale de Montrouge a été tuée, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve avait promis le 26 janvier 2015 de mettre à disposition des communes qui le souhaitaient 4 000 revolvers, « dans la limite des stocks disponibles ». Il s’agit des Manurhin 357 Magnum, qui armaient jusqu’en 2003 la police nationale. Nicolas Sarkozy avait choisi de les remplacer par un pistolet semi-automatique, le Sig Sauer SP 2022 (dont les munitions se sont révélées si dangereuses qu'un nouveau marché public avait dû être lancé moins de cinq ans plus tard).
Depuis la loi du 15 avril 1999, les maires peuvent équiper leur police municipale d'armes à feu. Mais les employés territoriaux devaient jusqu’alors se contenter de calibres inférieurs (38 spécial et 7,65 mm). Un décret, signé le 29 avril 2015 par le premier ministre et le ministre de l’intérieur, vient de les autoriser « par dérogation » à « porter un revolver chambré pour le calibre 357 Magnum ». Ce « à titre expérimental » durant cinq ans et uniquement avec des « munitions de calibre 38 spécial ».
Cela va permettre aux communes d’armer à moindres frais et surtout très rapidement 4 000 de leurs agents. « Ces armes sont en parfait état de fonctionnement et ont été contrôlées par le service des achats, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure », indique-t-on place Beauvau. Qui précise que les préfets vont recevoir « de façon imminente » une circulaire d’application. Dommage pour la commune de Béziers et son maire d'extrême droite Robert Ménard qui, prenant les devants, a déjà armé ses agents à ses frais de 7,65 semi-automatiques (le modèle qui équipait la police nationale avant le revolver Manurhin) en février…
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— Dan_Dhombres (@Dan_Dhombres) 11 Février 2015
Le gouvernement a également annoncé verser deux millions d’euros au Fonds interministériel de prévention de la délinquance, pour subventionner l’achat de gilets pare-balles et de postes radio. Et promis un « meilleur accès des polices municipales aux fichiers de la police et de la gendarmerie nationale ».
Cette décision marque un glissement supplémentaire des missions des policiers municipaux, de la tranquillité publique vers la lutte contre la délinquance. Après la suppression de plus de 12 000 postes de policiers et gendarmes par la droite depuis 2007, le gouvernement socialiste est de plus en plus tenté de se reposer sur les collectivités locales et le privé en matière de sécurité. D’autant que les récents attentats tirent sur la corde de services déjà exsangues. Le Figaro a récemment révélé un télégramme adressé le 23 avril par Bernard Cazeneuve aux préfets et patrons des forces de l'ordre après l'attentat évité contre une église à Villejuif. « Une vigilance appuyée sera organisée au moment des offices, dans toute la mesure du possible, édicte selon le quotidien ce document. L'implication des polices municipales sera sollicitée par vos soins auprès des maires des communes qui en sont dotées. »
Selon Beauvau, huit municipalités ont déjà « manifesté leur intérêt » pour les anciens revolvers de la police nationale. C’est le cas de la Ville de Marseille, dont le maire UMP Jean-Claude Gaudin, longtemps réticent, a « début février demandé à Bernard Cazeneuve 400 armes pour l’ensemble de nos policiers municipaux », affirme Caroline Pozmentier, son adjointe déléguée à la sécurité et à la prévention de la délinquance.
L’élue marseillaise UMP espère pouvoir lancer les formations des agents dès septembre, une fois les armes délivrées et une convention signée avec l’État. « Un marché public pour ces armes aurait avoisiné 500 000 euros et il aurait fallu attendre un an pour commencer les formations », apprécie Caroline Pozmentier. Pour l'élue, il ne s'agit pas d'assurer des gardes devant les lieux de culte – « Nous avons déjà des militaires pour cela » – mais de « poursuivre la modernisation de la police municipale » dotée ces dernières années de Flashball et de Taser ainsi que d'un véritable réseau de vidéosurveillance. « Il y a aussi des motifs politiques, avec la montée du Front national qui a demandé l'armement de la police nationale », estime Michel Cédric, président du Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM).
La formation au maniement des armes dispensée au sein du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) est assurée par des moniteurs eux-mêmes formés par la police nationale ou la gendarmerie. Selon le site du CNFPT, cette formation comprend une partie juridique de 12 heures et 45 heures d’entraînement au stand de tir. À l’issue de ces stages, les communes devront encore obtenir l’autorisation nominative des préfets pour chaque fonctionnaire. « La nature des missions et les circonstances locales pourront donc amener le préfet, dans certains cas motivés, à ne pas satisfaire la demande présentée », précise Beauvau.
Près de 8 000 des 20 000 policiers municipaux sont déjà dotés d’armes à feu. Mais leurs syndicats réclament depuis longtemps un armement généralisé et obligatoire. « Nous avons fait céder le ministre, se vante Michel Cédric. Lors de notre rencontre en janvier, il nous avait promis ces stocks et que les préfets ne feraient plus de difficultés à l’armement des polices municipales. » Certes, il ne s'agit officiellement que d'une expérimentation et des bilans annuels devront être dressés par les préfets, mais le syndicaliste doute qu’à l’issue des cinq ans prévus par le décret, les maires « osent désarmer leurs agents ». Jean-Marc Jofre, le président du Syndicat national des policiers municipaux (SNPM), réclame, lui, carrément « des armes automatiques, similaires à celles de nos agresseurs ».
Tout comme le député UMP Christian Estrosi, qui préside la commission consultative des polices municipales. Juste après l’assassinat de la jeune stagiaire de la police municipale de Montrouge par Coulibaly, le maire de Nice est monté au créneau auprès de Bernard Cazeneuve, accompagné par deux élus de l’Association des maires de France. « Il faut que la police municipale dispose de moyens de protection identiques à ceux de la police nationale, à savoir armes automatiques, gilets pare-balles, et qu’elle puisse procéder à des contrôles d’identité en dehors des flagrants délits », déclarait Christian Estrosi à l’issue de son rendez-vous avec le ministre le 16 janvier 2015.
Mais l’un de leurs plus fervents avocats pourrait bien être le premier ministre Manuel Valls lui-même, qui n'a jamais caché son « ambition pour les polices municipales ». « Entre vidéosurveillance et police municipale accrues, les polices municipales de villes PS comme Évry ou Strasbourg n'ont rien à envier à celle de Nice », estimait en juin 2011 Frédéric Foncel, du Syndicat national des policiers municipaux (SNPM). À la tête d’Évry, Manuel Valls avait dès 2010 armé ses agents pour les « protéger » après le meurtre d'une jeune policière municipale de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne). Lors de son passage à Beauvau, le ministre socialiste avait ensuite rappelé qu’« avec 400 à 500 nouveaux recrutements par an (…), on ne pourra pas annuler, même à moyen terme, l’intégralité des effets néfastes de la RGPP ».
Dans sa feuille de route de septembre 2013, l’ex-ministre de l’intérieur dévoilait son « premier grand projet d’avenir », à savoir… « les relations opérationnelles à forger avec les autres acteurs de la sécurité privée, polices municipales ou intercommunales et agents de sécurité privée ». Son successeur à Évry, Francis Chouat (PS), a demandé le 16 janvier 2015 à Bernard Cazeneuve de « généraliser l’armement des policiers municipaux sur l’ensemble du territoire français ». « Un message subliminal qui ne trompe pas », se réjouit le syndicaliste Michel Cédric, même si du côté du ministère de l’intérieur, on précise que « l’Association des maires de France, comme le ministère de l’intérieur, sont très attachés au maintien des principes posés par la législation en vigueur ».
En juin 2011, lorsque l’ex-ministre de l’intérieur Claude Guéant avait annoncé que les policiers municipaux seraient équipés de gilets pare-balles, le député Jean-Jacques Urvoas, alors chargé des questions de sécurité au PS, avait vivement réagi. « Pour ma part, alors qu’au vu des textes législatifs, leurs missions sont des missions de police administrative, je ne suis pas certain qu’il faille les équiper d’armes de guerre », expliquait l’élu, aujourd’hui président de la commission des lois de l’Assemblée et proche de Manuel Valls. Avant de rappeler que « police nationale et police municipale ont des statuts différents. Il ne doit pas y avoir de mimétisme entre les deux, qui ont des fonctions complémentaires et que le législateur a voulu différentes. Je conteste fermement l’argument que j’entends selon lequel les policiers municipaux courent des risques identiques, alors que juridiquement, leurs missions ne sont pas les mêmes ».
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