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La justice enquête sur les militaires français accusés de viols en Centrafrique

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Le silence. Durant de longs mois, la France s’est tue. L’été dernier, les plus hautes autorités françaises ont reçu un rapport de l’Onu accusant des soldats français de l’opération Sangaris de viols et d'agressions sexuelles sur des enfants centrafricains. Des faits qu’elles ont jugés suffisamment graves pour saisir la justice, mais sans en informer le public. Pour l'armée française, le scandale peut être dévastateur.

Mercredi soir, après les révélations du Guardian, le ministère français de la défense a finalement confirmé avoir été saisi « à la fin du mois de juillet 2014 de témoignages d'enfants centrafricains accusant d'agressions sexuelles des militaires français de l'opération Sangaris ». « Au vu du caractère circonstancié des témoignages et de l'extrême gravité des faits allégués, le ministre de la Défense a alors réagi en prenant toutes les mesures nécessaires (…). Une enquête de commandement a été immédiatement conduite », explique l’hôtel de Brienne. Le jour de la réception du rapport de l’agence de l’Onu, « le mardi 29 juillet 2014, le ministre de la Défense a saisi le parquet de Paris sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale ». Une enquête préliminaire a aussitôt été ouverte et des gendarmes français se sont rendus en Centrafrique « dès le 1er août, pour commencer les investigations ».

Jeudi, l'état-major s'est défendu d'avoir tu cette procédure. « Les armées n'ont pas rendu publics ces événements tout simplement parce que dès lors que la justice est saisie, une prise de parole serait faire entrave à son travail », a justifié son porte-parole, le colonel Gilles Jaron, cité par l’agence Reuters. « Il n’y a aucune volonté de cacher quoi que ce soit, nous sommes en train de vérifier la réalité des faits », a insisté Pierre Bayle, porte-parole du ministère de la défense.

Mais la justice centrafricaine n’a pas non plus été prévenue : à Bangui, le procureur de la République Ghislain Grésenguet a ouvert jeudi une information judiciaire. « Le parquet est totalement indigné de ne pas avoir été mis au courant de ces faits extrêmement graves qui ne pourraient être passés sous silence », a indiqué à Libération le magistrat informé mercredi par la radio RFI. 

Quant à François Hollande, il est resté très prudent sur les faits : jamais il ne parle de viols, d’agressions sexuelles ou même de crimes ; il préfère l’expression étrange de « mal comporté ». Depuis Brest, où il était en déplacement, le président de la République a affirmé que « maintenant il conviendra d’aller jusqu’au bout des procédures. Si ces informations sont confirmées, alors à ce moment-là, il y aura des sanctions qui devront être exemplaires ». « Je suis en soutien des armées, toujours (…) et si certains militaires s’étaient mal comportés, il y aurait des sanctions qui seraient à la hauteur de la confiance que nous portons à l’égard de l’ensemble de nos armées. Parce que je suis fier de nos armées et donc implacable à l’égard de ceux qui se seraient mal comportés, si c’est le cas en Centrafrique », a-t-il dit. Avant d’ajouter : « Que des militaires dans le cadre d’une opération de l’Onu, puissent éventuellement, si c’est confirmé, se comporter en prébendiers, il y aurait des décisions très graves. »

La secrétaire d’État à la famille Laurence Rossignol a eu des mots plus durs : si les faits étaient avérés, ceux qui sont là pour protéger, notamment les femmes et les enfants, « seraient eux-mêmes des prédateurs. D'un certain point de vue c'est un double crime ».

Le rapport confidentiel de l’Onu, dont le Guardian s’est procuré une copie, fait état des témoignages de jeunes garçons accusant des soldats français en Centrafrique d’agressions sexuelles, de viols et de sodomie, entre décembre 2013 et juin 2014 dans le camp de déplacés de l’aéroport M’Poko à Bangui. Les enfants y décrivent « comment ils ont été sexuellement exploités en échange de nourriture et d’argent », explique le Guardian. Selon la même source, un garçon de 11 ans raconte avoir été abusé alors qu’il cherchait de la nourriture. Un autre, âgé de 9 ans, affirme avoir été sexuellement abusé avec un ami par deux soldats français alors qu’ils se rendaient à un point de contrôle pour trouver à manger. Certains enfants ont été capables de décrire précisément les soldats impliqués. Selon Le Monde, six enfants ont été entendus par l'ONU : quatre victimes directes et deux enfants qui disent avoir pris connaissance, ou avoir été témoins, des agressions sexuelles subies par les quatre victimes directes.

Selon un responsable de l’ONU en Centrafrique, cité par Libération, « dans ce camp, c’était "un secret de polichinelle" ». Et à Bangui, le président d'une association de défense des droits de l'enfant a dit à Reuters avoir reçu ces deux dernières semaines « des informations accablantes qui accusent directement les soldats français ».

« Au vu du rapport, quatorze militaires français seraient concernés », a indiqué jeudi à Reuters une source judiciaire française. Et contrairement à ce qu'avait déclaré mercredi une source au ministère de la défense, « certains sont identifiés », a-t-elle ajouté, en précisant que leur identification avait été permise par des constatations faites sur place par les enquêteurs, recoupées avec les témoignages du rapport de l'Onu. Aucun militaire français n'a pour l'heure été entendu et d'éventuelles auditions ne sont pas prévues, a précisé cette source. Cinq militaires africains sont également concernés, trois soldats tchadiens et deux équato-guinéens.

Anders Kompass sur la BBC en 2013Anders Kompass sur la BBC en 2013 © Capture d'écran BBC

Ces témoignages, recueillis par un agent du BINUCA (Bureau intégré de l'Organisation des Nations unies en Centrafrique) assisté de personnels de l'UNICEF, ont été transmis à Genève. C’est là que le directeur des opérations de terrain au Haut Commissariat de l’Onu pour les droits de l’homme, le Suédois Anders Kompass, a décidé de transmettre le rapport aux autorités françaises. Parce que les Nations unies tardaient à agir, selon le Guardian, qui a reçu le document d’une ONG américaine Aids Free World.

Selon cette organisation, l’Onu a souvent tenté d’étouffer ce genre d’accusations (c’est loin d’être une première). Une version partagée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Mais démentie par l’Onu, qui a suspendu la semaine dernière son responsable à qui elle dénie le statut de lanceur d’alerte.

Selon Le Monde, l'Onu a pourtant incroyablement tardé à répondre à la demande d'entraide envoyée par le parquet de Paris pour obtenir la levée de l'immunité de l'employée onusienne qui avait recueilli le témoignage des enfants, une condition nécessaire pour l'auditionner même en qualité de simple témoin. Les Nations unies se sont contentées de transmettre un questionnaire écrit. Dont les réponses ne sont parvenues au parquet que sept mois plus tard, le 29 avril, soit la veille de la révélation du scandale, ce qui a considérablement ralenti l'enquête, selon une source proche du dossier.

Dans un communiqué, l'association française Survie a quant à elle dénoncé les récentes dispositions de la loi de programmation militaire donnant au parquet le monopole des poursuites contre des militaires et les accords de défense signés avec plusieurs pays, dont la Centrafrique, qui octroient « l'impunité » pour ses soldats. « Les enfants centrafricains ou leurs représentants ne pouvaient donc en aucun cas déclencher une enquête : ni en Centrafrique, ni en France. Les victimes de militaires français en opération sont soumises au bon vouloir des autorités françaises dans leur droit à la justice », dénonce Survie.

Si les faits sont confirmés par les différentes enquêtes en cours, ils peuvent avoir un effet dévastateur pour l'armée française et pour François Hollande. C'est lui qui a engagé l'opération Sangaris en Centrafrique en décembre 2013 et c'est lui qui a décidé de taire au public les très graves accusations, circonstanciées, regroupées dans le rapport de l'Onu. C'est lui aussi qui vient de décider d'une importante hausse du budget de la défense.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Guerilla urbaine en Bretagne


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