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Ecoutes de la NSA : le stupéfiant silence de la France

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En Allemagne, les agissements illégaux des services de renseignement, soupçonnés d'avoir espionné « pendant des années » des « fonctionnaires de haut rang » de l'Élysée, du Quai d'Orsay et de la Commission européenne, sont en train de virer à l'affaire d'État. Mais en France, alors qu'une loi très musclée sur le renseignement est en passe d'être votée ce mardi 5 mai par l'Assemblée nationale, ces révélations suscitent au contraire un intérêt bien faible. L'exécutif reste évasif, et les politiques français semblent ne pas s'en inquiéter, du moins à ce stade.

L'affaire a éclaté la semaine dernière quand l'hebdomadaire Der Spiegel a révélé que des entreprises européennes (EADS), des personnalités politiques européennes et des « autorités françaises » avaient été écoutées par le service de renseignement extérieur allemand, le BND (Bundesnachrichtendienst), pour le compte de l'agence de renseignement américaine NSA, déjà au cœur des révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden. Au moins 40 000 requêtes illégales visant des intérêts européens auraient été commandées par la NSA et effectuées par le BND. Dans un premier temps, la Chancellerie a admis des failles. Mais elle a assuré n'avoir été mise au parfum qu'en mars 2015.

En France, ces premières révélations n'ont suscité que très peu d'intérêt (lire notre article)« Je n'ai aucune information sur ce sujet », nous a assuré le week-end dernier le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Romain Nadal. L'Élysée n'avait alors même pas répondu à nos sollicitations. Silence également dans la classe politique, à l'exception du coprésident du parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui a dénoncé un « espionnage inadmissible ». « François Hollande doit demander à Angela Merkel de présenter des excuses à la France », indique Mélenchon dans un communiqué, rappelant que « l’espionnage des institutions et moyens de la diplomatie de la France est un crime puni par le code pénal comme atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » et demandant l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire et d'une enquête judiciaire.

Alors que l'Élysée et le Quai d'Orsay sont désormais nommément cités, c'est toujours le silence chez nous. « Nous sommes en contact étroit avec nos partenaires allemands, qui ont indiqué publiquement procéder à une clarification interne sur les éléments rapportés par la presse », nous a répondu par SMS mercredi soir le porte-parole du Quai d'Orsay, Romain Nadal. Sollicités à nouveau ce jeudi 30 avril, le Palais de l'Élysée et le Quai d'Orsay n'avaient rien dit de plus quand cet article a été mis en ligne. Quant aux politiques de tous bords, ils restent silencieux – les vacances parlementaires et le pont du 1er mai n'arrangent rien. Jeudi, le député écologiste Christophe Cavard, questionné par Mediapart, a tout de même jugé ces révélations « si elles sont confirmées, surréalistes et choquantes ». « C'est incroyable d'imaginer que le renseignement allemand nous espionne pour le compte de la NSA, et intolérable d'imaginer que les deux locomotives de l'Europe en sont encore à s'espionner les uns les autres. »

Par contraste, en Allemagne, où l'affaire Snowden a révélé la participation active du BND aux programmes de surveillance globaux de la NSA, hors de tout contrôle démocratique, ces révélations en cascade font des vagues. Déjà largement égratigné par les révélations d'Edward Snowden, le BND a été critiqué de toutes parts.

La presse allemande, particulièrement opiniâtre comme elle l'a été au moment de l'affaire Snowden qui a scandalisé une partie de l'opinion allemande, s'intéresse aussi à ce que savait exactement le gouvernement. Le 14 avril, le ministre de l'intérieur, Thomas de Maizière, avait démenti devant le Parlement tout espionnage économique. Certains députés, en particulier de l'opposition, l'accusent donc d'avoir menti à la représentation nationale. « Des ministres ont déjà démissionné pour moins que ça », rappelle la Süddeutsche Zeitung. De Maizière, un proche d'Angela Merkel, aurait été mis au courant des activités illégales du BND dès 2008, alors qu'il dirigeait la Chancellerie fédérale, un poste stratégique dans l'appareil d'État puisque son titulaire a la main sur les services secrets.

La chancelière Merkel, qui s'était officiellement offusquée en 2013 des pratiques de la NSA, et dont le portable a été écouté par l'agence américaine, est en première ligne. « L'affaire concerne désormais directement la Chancellerie », affirme à Mediapart le député écologiste Konstantin von Notz. Des médias affirment qu'elle est au courant depuis des années de l'espionnage de dirigeants européens, mais que ses services n'ont rien fait pour brider le BND par peur de briser la collaboration avec les États-Unis. « Il faut clarifier tout cela », a prudemment commenté Angela Merkel lundi dernier lors d'un déplacement en Pologne, alors qu'elle avait évité jusqu'ici de prendre la parole. Avec les révélations de la Süddeutsche Zeitung, ce jeudi, la pression se fait plus intense. Christian Flisek, député SPD membre de la commission d'enquête sur la NSA, a demandé ce jeudi 30 avril à Angela Merkel de « mettre tous les faits sur la table » et de communiquer les documents secrets qu'elle conserve. « La chancelière doit s'excuser » auprès des Européens espionnés, a exhorté le chef du parti libéral FDP, l'ancien partenaire de coalition de Merkel entre 2009 et 2013.

Les députés de la commission d'enquête, tenus au secret, aimeraient notamment se voir communiquer la liste des fameuses requêtes commanditées par la NSA. « Ces listes doivent être mises à notre disposition, dit von Notz, membre de la commission d'enquête NSA. C'est à cette aune que nous jugerons si la chancelière est sérieuse lorsqu'elle réclame que toute la lumière soit faite sur cette affaire. » Tenus au secret, les huit députés, issus de tous les groupes parlementaires, se plaignent de leurs faibles moyens d'investigations : depuis un an, les agents du BND qu'ils interrogent ne répondent à leurs questions que de façon évasive, et la Chancellerie caviarde avant chaque audition une bonne partie des documents qu'elle porte à leur connaissance. « L'ampleur exacte de l'affaire n'est pas encore connue », insiste le Spiegel.

Dans cette affaire, le SPD social-démocrate, partenaire de coalition de Merkel, n'est pas à l'abri des éclaboussures : c'est l'actuel ministre des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, issu de ses rangs, qui a fixé les modalités de la collaboration des services secrets avec la NSA après le 11 septembre 2001. Il occupait alors le poste de chef de la chancellerie fédérale, auprès de l'ancien chancelier Gerhard Schröder.

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