Un attentat déjoué justifie le vote de la loi renseignement : c’est le message que répète l’exécutif depuis mercredi 22 avril, et l’annonce de l’arrestation d’un étudiant en informatique, meurtrier présumé d’Aurélie Châtelain, une jeune femme de 33 ans. Mais aussi soupçonné d’avoir préparé l’attaque de deux églises catholiques. Depuis les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, le gouvernement a opté pour une stratégie claire. Il répète que la France est confrontée à des menaces inédites et laisse entendre qu’un attentat peut se produire à chaque instant. Un récit martial, martelé par un pouvoir socialiste, qui déclencherait sans doute les cris d’orfraie de la gauche si elle était dans l’opposition.
Est-ce pour ne pas être accusé, un jour, de n’en faire pas assez ? Pour répondre, via les chaînes d'info en direct, aux angoisses d’une opinion que le pouvoir estime forcément inquiète ? Pour imposer son propre agenda sécuritaire ou pour esquiver par avance les critiques sur les défaillances des services de renseignement ? Quoi qu’il en soit, François Hollande, Manuel Valls et son gouvernement risquent d’alimenter la peur, et de donner l’impression de vouloir en tirer un profit politique.
Mercredi 22 avril, le ministère de l’intérieur a annoncé lui-même avoir déjoué par hasard un « attentat » contre « une ou deux églises » à Villejuif (Val-de-Marne). Selon les premiers éléments de l’enquête, l’homme de nationalité algérienne a tué dimanche 19 avril Aurélie Châtelain dans sa voiture pour des raisons encore floues, avant de se tirer une balle dans la jambe. Il a alors appelé les secours qui ont découvert dans le coffre de son propre véhicule un arsenal de guerre. Le tireur présumé Sid Ahmed Ghlam était connu des services de police et faisait l’objet d’une surveillance pour avoir émis le souhait de partir en Syrie, puis entrepris un séjour en Turquie. « Des vérifications sur l’environnement de cet étudiant en informatique de 24 ans avaient été effectuées à deux reprises en 2014 et 2015, sans révéler d'éléments susceptibles de susciter l’ouverture d’une enquête judiciaire », affirme le ministère de l’intérieur.
Quelques heures plus tard, l’enquête judiciaire à peine ouverte, François Hollande tirait déjà des « conséquences » d’une affaire encore nébuleuse. « La première, c’est que nous sommes toujours sous la menace terroriste, pas seulement la France mais de nombreux pays. » « Deuxième conséquence », selon le chef de l’État : il faut voter la loi sur le renseignement, votée en première lecture à l’Assemblée nationale mais critiquée à cause de la surveillance massive qu’elle permet.
« Nous devons toujours améliorer notre capacité de renseignement, a ainsi assuré François Hollande. Dans l’état du droit d’aujourd’hui et dans l’état du droit de demain, dans le respect des libertés. Et c’est la raison pour laquelle il y a un texte en discussion, et je souhaite que ce texte puisse être adopté, et avec toutes les garanties, puisque j’ai moi-même saisi le Conseil constitutionnel pour qu’il n’y ait aucun doute sur la constitutionnalité de ce texte sur des points précis. » « Nouvel attentat déjoué hier et on chipoterait sur la loi renseignement ? », a lancé sur Twitter le président du groupe PS au Sénat, Didier Guillaume, un proche de François Hollande, alors que le texte suscite de nombreuses oppositions, dans la société civile mais aussi chez des parlementaires, y compris socialistes.
Nouvel attentat déjoué hier et on chipoterait sur la loi renseignement ?— Didier GUILLAUME (@dguillaume26) 23 Avril 2015
Pourtant, à ce stade, rien ne dit en quoi la nouvelle loi aurait permis, dans ce cas précis, de mieux cerner les agissements de Sid Ahmed Ghlam. Interrogé à ce sujet sur France inter jeudi matin, le premier ministre Manuel Valls s’est avancé : « Elle (la loi renseignement, ndlr) aurait donné plus de moyens aux services de renseignement pour effectuer un certain nombre de surveillances. » Sans plus de détails.
Le premier ministre a en revanche lourdement insisté sur la « menace », « extérieure et intérieure », qui « n’a jamais été aussi importante ». « Nous n'avons jamais eu à faire face à ce type de terrorisme dans notre histoire », a dit Manuel Valls. Selon lui, « cinq » attentats, en comptant cette dernière tentative, ont d’ailleurs été « déjoués ». Juste après les attentats de Paris, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve évoquait déjà ce nombre de cinq attentats déjoués en France depuis l’été 2013. Des actes sur lesquels aucune information n’a été donnée, et dont les chiffres se contredisent.
Jeudi, Manuel Valls a une nouvelle fois parlé de « guerre contre le terrorisme ». Une rhétorique belliciste convoquée à plusieurs reprises par le premier ministre depuis les attentats de janvier. « C’est toute la France qui est visée pour ce qu’elle est. C’est pour ça que nous devons faire la guerre aux terroristes, c’est pour ça que nous faisons la guerre au terrorisme, sans faire la guerre à ce que nous sommes », a affirmé le premier ministre.
Mercredi, devant une église de Villejuif, il a également estimé que s’en prendre aux catholiques revient à viser « l’essence même de la France » : « Vouloir s'en prendre à une église, c'est s'en prendre à un symbole de la France, c'est l'essence même de la France qu'on a sans doute voulu viser. » Ces propos ont été relevés par l’ancien ministre écologiste Pascal Canfin, qui a enjoint Manuel Valls à plus de « neutralité ». « Attention, quand on est Premier ministre de la République laïque, à ne pas dire que d'un côté, il y aurait des cultes liés à l'essence de la France et d'autres qui seraient en quelque sorte importés », a réagi Canfin sur RFI.
Une fois de plus, le premier ministre a convoqué sur France inter l’« esprit du 11-Janvier » : « Nous devons être plus forts que le terrorisme. Nous ne devons pas céder à la peur. (...) La meilleure réponse d’une démocratie comme la nôtre, c’est de ne pas céder à la peur et de garder l’esprit du 11-Janvier, c’est-à-dire la capacité des Français à se rassembler contre le terrorisme, contre la barbarie. »
Depuis janvier, le pouvoir socialiste, toujours plombé par une absence de résultats en matière économique et sociale, a régulièrement tenté de réanimer l’esprit unanimiste des grandes manifestations qui ont suivi les attentats de Paris, parenthèse politique où François Hollande a réussi à gagner des points de popularité dans les enquêtes d’opinion.
L’exécutif se plaît aussi à rappeler dès qu’il le peut l’aspect insaisissable des nouvelles menaces terroristes, moins organisées et plus fragmentées. En février, quand trois militaires avaient été agressés à Nice devant un centre communautaire juif par un homme radicalisé connu des services de renseignement, Bernard Cazeneuve avait parlé de « terrorisme en libre accès ». Un champ lexical qui entretient dans l’opinion l’idée d’un danger diffus.
En parallèle, le pouvoir socialiste a musclé son discours. Lors du débat sur la loi renseignement, un texte qu’il a défendu personnellement, Manuel Valls a reproché à ceux qui plaident pour une approche plus équilibrée ou refusent les nouvelles mesures de surveillance de ne pas avoir « le sens de l’État ». Une façon de les disqualifier sans autre forme de procès. « C’est quoi ce débat sur les libertés? », s’est agacé Manuel Valls jeudi sur France inter, semblant balayer d’un revers de main les nombreux opposants à sa loi, qui considèrent qu’elle constitue une atteinte profonde à la protection de la vie privée.
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