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L'argent du FN, l'autre lutte entre les Le Pen père et fille

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Marine Le Pen peut-elle vraiment se passer de son père ? Tout autant que son poids politique au sein du parti, l'emprise financière de Jean-Marie Le Pen s'avère cruciale. Depuis quelques années, la bataille entre les Le Pen se livre surtout sur le terrain financier. Le père comme la fille ont mis sur pied leurs propres associations de financement – Cotelec et Jeanne. L'enjeu : garder la haute main sur l'argent du parti et conserver l'influence qu'il confère sur les candidats.

« Jean-Marie Le Pen a encore des moyens d'action médiatiques et financiers. Grâce à Cotelec, il conserve une force de frappe financière au Front », commente un ancien cadre du Front national interrogé par Mediapart. Créée en 1988, l'association de financement Cotelec – acronyme de « cotisation électorale » – se donne pour mission de « promouvoir l’image et l’action de Jean-Marie Le Pen ».

Cette association, dont il a confié la trésorerie à ses hommes de confiance, permet au fondateur du FN de récolter des prêts et dons de sympathisants en dehors du parti. Et de garder une emprise sur le Front national : car Cotelec accorde encore chaque année des prêts importants au FN et lui reverse une partie de ses revenus. Un appui nécessaire, dans un contexte où le Front national peine à obtenir des prêts des banques françaises.

Bien conscient de cet atout, Jean-Marie Le Pen a fait de Cotelec le secret le mieux gardé du Front national. « C'est le domaine réservé, le secret, rapporte cet ancien cadre frontiste. Jean-Marie Le Pen cloisonnait beaucoup, Cotelec et le FN c'était hermétique, du moins dans un sens... » Le fondateur du FN a d'ailleurs toujours refusé de révéler son fichier de donateurs. Les trésoriers successifs du Front national, tout comme Marine Le Pen, n'en ont jamais eu connaissance. « C'est cloisonné, confirme à Mediapart Bernard Monot, « stratégiste » économique de la présidente du FN et député européen. C'est comme les entreprises, elles ont leur secret de fabrication. Jean-Marie Le Pen a un grand carnet d'adresses, c'est le privilège de l'âge. »

Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen le 18 février 2012, à la convention du FN à Lille.Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen le 18 février 2012, à la convention du FN à Lille. © Reuters

Cotelec a renfloué le Front national à plusieurs reprises ces dernières années.

Après la débâcle des législatives de 2007, qui fait passer sa subvention publique de 4,5 à 1,8 million d'euros, puis le conflit avec l'ancien imprimeur du FN, Fernand Le Rachinel, qui réclame ses 7 millions d'euros, le Front national est au bord de la faillite. En 2010, ses dettes atteignent 10 millions d’euros. Le parti survit grâce à l'argent prêté par Cotelec (2,8 millions d’euros), qui devient son deuxième créancier. Jean-Marie Le Pen prend alors une garantie : Cotelec pose une hypothèque sur le "Paquebot", l'ancien siège du parti. En 2011, les 10 millions d'euros de la vente du Paquebot permettent au FN d’éponger ses dettes et de rembourser Cotelec.

« Jean-Marie Le Pen a quand même sauvé le Front lorsqu'il était au bord de la faillite, souligne Bernard Monot. Il était à la manœuvre financière : il mis ses deniers personnels pour payer les salaires des permanents et Cotelec a prêté de l'argent. » Depuis, le micro-parti est resté « une plateforme de financement pour aider nos candidats à se présenter, étant donné les misères que nous fait le système bancaire français », reconnaît le député européen.

En 2012, pour financer sa campagne présidentielle, Marine Le Pen emprunte à la Société générale, mais aussi à Cotelec. En 2012, l'association de financement a prêté près de 3 millions d'euros au FN, et plus de 4 millions d’euros en 2013 (empochant plus de 85 000 euros d'intérêts), comme l'indiquent ses comptes, consultables à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

En 2014, l'emprunt russe de deux millions d’euros décroché par Jean-Marie Le Pen – et révélé par Mediapart –, a permis d’avancer des fonds à des candidats frontistes aux européennes. « Moi-même, je me suis financé auprès de Cotelec pour les européennes, explique Bernard Monot. Jean-Marie Le Pen m'a dit : "J'ai des fonds disponibles, si tu as besoin." C'était disponible à l'instant T, alors que les autres pistes de financement étaient encore en discussion. »

Cotelec verse aussi directement de l'argent au FN, contournant en toute légalité la réglementation sur les financements politiques, qui limite les dons à 7 500 euros par personne, par parti et par an. Le Front national a ainsi reçu près de 280 000 euros du micro-parti depuis que Marine Le Pen en a pris la présidence (105 000 euros en 2013, 77 000 en 2012, 97 244 en 2011). Il faut dire que Cotelec brasse de l’argent. L'association recueille chaque année autour de 200 000 euros de dons (239 464 euros en 2011, 256 200 euros en 2012, 176 026 euros en 2013). Elle a aussi beaucoup emprunté : 1 169 264 euros en 2011, 2 338 971 euros en 2012, 1 891 023 euros en 2013.

Cotelec a aussi rempli ses caisses grâce à une astuce : lors des campagnes de 2007 et 2012, elle a prêté au candidat en facturant des intérêts que le candidat a ensuite déclarés dans son compte de campagne, au titre des dépenses remboursables par l’État. En 2012, le micro-parti perçoit ainsi 319 000 euros d'intérêts pour un prêt de 4,5 millions.

Mais aujourd'hui, à écouter le trésorier du FN, « c'est fini ». « Cotelec n’a pas vocation à prêter au Front national, il l’a fait dans les moments de difficultés financières, on a tout remboursé, donc il n’a plus spécialement de poids dans le parti, explique à Mediapart Wallerand de Saint-Just. Cotelec, comme Jeanne, se sont désormais spécialisés dans les prêts aux candidats du Front. » Le poids de Cotelec est « de moins en moins important » au FN, affirme aussi Bernard Monot qui juge « dérisoires » les versements directs de l'association au parti. Ce proche de Marine Le Pen ne cache pas la « volonté » de sa patronne « de gagner de plus en plus en indépendance et de se diversifier ».

Cette volonté d'émancipation financière de Marine Le Pen a commencé dès 2010 avec la création de son propre micro-parti, qui lui garantit une autonomie par rapport à son père mais aussi par rapport au Front national. En novembre 2010, Jeanne – en référence à Jeanne d’Arc – voit le jour. Si les statuts de l’association ne mentionnent pas explicitement Marine Le Pen, personne au sein du parti ne nie qu'il est à son service. Ce sont d’ailleurs des très proches de la patronne du FN que l’on retrouve aux manettes de l’association, comme l'a détaillé Mediapart« Elle s'est créé son Cotelec », résume un ancien du FN. 

Jeanne n’a pourtant pas tout à fait le même fonctionnement que Cotelec. Elle ne recueille quasiment aucun don (zéro en 2013, 5 500 euros en 2012, 11 500 euros en 2011). Ses ressources proviennent essentiellement de la vente des fameux « kits » de campagne aux candidats frontistes, facturés 16 500 euros pièce, et des intérêts élevés (6,5 %) empochés grâce aux prêts consentis aux candidats.

À chaque campagne, Jeanne a, telle une petite « banque », offert des crédits aux candidats frontistes. Lors de la présidentielle, l'association a prêté 450 000 euros, et empoché près de 19 000 euros d'intérêts au passage. Aux cantonales de 2011 et aux législatives de 2012, elle a prêté au taux particulièrement élevé de 6,5 %. Ce système, qui est au cœur de l’enquête judiciaire sur les financements de campagne du FN, a permis à Jeanne de drainer 9,6 millions d’euros en 2012. Le micro-parti est ainsi devenu la quatrième formation politique en termes de rentrées financières, devant le Front national lui-même.

En septembre 2014, Marine Le Pen décroche pour le Front national un prêt russe de neuf millions d'euros. « On a obtenu ce prêt étranger pour diversifier les prêteurs, ne pas dépendre d'un seul prestataire, raconte Bernard Monot. Quand Jean-Marie Le Pen a appris que ce prêt avait été obtenu, il s'est dit "tiens, j'aurai peut-être un peu moins de poids". »

Mais le fondateur du FN ne jette pas l'éponge. Lorsque sa fille a pris les rênes du Front national, en 2011, il n'a pas lâché Cotelec. En décembre 2010, dans un courrier à ses donateurs, il explique qu’il restera « bien sûr » président de l'association. « Le Pen voulait garder la main sur les finances. Il demandait que les ­appels aux dons soient faits pour Cotelec. Le parti, lui, ne réclamait pas d’argent directement », expliquait à Paris-Match en 2011 l’ancien trésorier du FN, Jean-Pierre Reveau.

Aujourd'hui, « il continue de solliciter les donateurs, de faire des appels financiers, assure l'ancien cadre du FN. S'il avait voulu financer une campagne, par exemple aux régionales en Paca, il le pouvait ». En janvier 2012, Jean-Marie Le Pen avait fait un appel aux prêts sur son blog : « Si vous avez des moyens financiers disponibles, en particulier si vous êtes sur le livret A qui vous donne 2,25 % par mois, prêtez de l’argent pour la campagne électorale à Cotelec, qui vous offre du 3 %, c’est une bonne affaire et c’est une bonne action pour la France ! »

Malgré les efforts de Marine Le Pen pour se passer du micro-parti de son père, l'appui de Cotelec reste important pour le Front national. D'autant que le parti se plaint que « les banques françaises ne prêtent plus ». En décembre, Marine Le Pen a ainsi rendues publiques les réponses de cinq banques pour justifier le recours à un emprunt russe.

« On a un besoin financier de 40 millions pour toutes les campagnes jusqu'aux législatives de 2017. On a un flux de deux millions d'euros par an grâce aux adhésions, des subventions publiques de 5,5 millions d'euros, donc on est obligés d'emprunter », résume Bernard Monot. Le trésorier du FN mise sur l'argent des régionales de décembre : « Elles vont nous coûter 15 millions d’euros, mais nous serons remboursés fin 2016, ce qui permettra de réinjecter cet argent pour 2017. »

Jean-Marie Le Pen peut-il dégainer cette arme financière le 27 avril, lors de son passage devant le bureau exécutif du parti ? Peut-il menacer de ne pas prêter aux candidats frontistes ? « Ça m’étonnerait fort qu’il fasse ça, répond le trésorier du FN. Je ne l’ai jamais vu prendre de décisions mettant en péril les candidats du FN. Cotelec a toujours prêté à tous les candidats, quelle que soit leur tendance. » Et « si ça se passait mal, on pourrait réagir, faire en sorte que l’objet social de Cotelec soit respecté, veut croire Wallerand de Saint-Just. Cotelec n’est qu’une association et Jean-Marie Le Pen n’est pas tout-puissant, il n’est pas seul à décider, il y a un bureau, un trésorier. »

« Il a une âme de patriote, il préférera sauver les patriotes. Et il est magnanime, il a pardonné à beaucoup de gens qui l'ont trahi », estime Bernard Monot. Mais son poids financier demeure important. D'autant plus que « le trésorier de Cotelec n'est pas mis en cause dans l'enquête judiciaire sur les financements du FN, contrairement à celui de Jeanne... », ironise un ancien cadre frontiste.

BOITE NOIRESollicité, Jean-Marie le Pen n'a pas donné suite à notre demande.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Gare aux « députés » godillots


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