C’est, a priori, le chantier le plus délicat de sa « refondation » que Vincent Peillon a ouvert ce lundi 18 novembre. Après une loi sur l’école qui a en grande partie consisté à réparer les conséquences d’une décennie de coupe budgétaire dans l’éducation (création de postes, rétablissement d’une formation initiale...) et une réforme des rythmes scolaires encore au milieu du gué, l’essentiel de son projet pour l’école, a-t-il toujours dit, est encore à venir. Avant le collège, et l’éducation prioritaire, c’est la très sensible question du métier enseignant – sous toutes ses facettes – qui est discutée à partir d’aujourd’hui avec les organisations syndicales. Temps de service, missions, progression de carrière, rémunération... Officiellement, tous ces sujets sont sur la table.
Chez les profs, l'attente est grande. Depuis un an et demi, le ministre a déjà provoqué une certaine déception dans un corps qui a massivement voté François Hollande et qui, pour l’instant, n’a pas vu – concrètement – la couleur de ce changement. Les 60 000 postes, dont la moitié est consacrée à reconstruire une formation en alternance, arrivent sur le terrain au compte-gouttes et n’ont pas encore amélioré les conditions de travail de la plupart des enseignants. Les salaires, malgré un léger rattrapage pour les débuts de carrière sous le dernier quinquennat, n’ont pas évolué depuis des années. Les conditions de travail, enfin, particulièrement dans l’éducation prioritaire, restent parfois très difficiles. « La confiance est en train de s’effilocher, après une première phase de la refondation qui a surtout été faite en direction des élèves, il doit maintenant s’occuper des personnels », juge Christian Chevalier, secrétaire général du SE UNSA pour qui « la reconnaissance ne peut pas être uniquement verbale ».
Mais qu’a Vincent Peillon à mettre sur la table ? D’un point de vue financier, rien ou presque. Les 60 000 postes, inscrits dans la loi sur l’école, vont peser sur son budget tout le quinquennat. L’enveloppe catégorielle – pour 2014 près de 100 millions d’euros –, est déjà grandement entamée par la prime annuelle de 400 euros accordée aux enseignants du primaire. C’est donc les poches vides que Vincent Peillon aborde ces difficiles négociations, ce qui devrait le contraindre soit à la modestie, soit à la créativité.
Politiquement, difficile d’imaginer moment plus mauvais pour ouvrir des négociations d’ampleur. Entamer un bras de fer avec les organisations syndicales au moment où il est embourbé dans la réforme des rythmes scolaires serait suicidaire. L’annonce de sa candidature aux européennes, qui ressemble fort à une opération-parachute, a laissé planer le doute sur son avenir rue de Grenelle. « Il sait qu’il n’a pas intérêt en ce moment à ouvrir un nouveau front », confirme Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du SNES-FSU, majoritaire chez les enseignants du secondaire. « Nous lui avons fixé les lignes rouges », se félicite celle qui continue de le considérer comme « le bon interlocuteur ».
Au fil des mois, les négociations en coulisses n’ont évidemment jamais cessé, le projet s’est d’ailleurs vidé de ses éléments les plus explosifs : annualisation du temps de service, bivalence (enseigner deux matières au collège)… Les fameux décrets de 1950 qui fixent les obligations de service (18 heures par semaine pour les certifiés, 15 heures pour les agrégés) ne seront revus qu’à la marge. Il est loin le temps où les portes claquaient entre Bruno Julliard, qui élaborait le projet du PS sur l’école, et les représentants du SNES sur un scénario augmentant ces obligations de deux ou trois heures par semaine pour intégrer les missions de travail en équipe, d’accueil des parents, de suivi des élèves. Aujourd’hui, Bruno Julliard, que le syndicat majoritaire n’a jamais pu voir en peinture, a quitté le cabinet de Vincent Peillon pour se concentrer sur la campagne d’Anne Hidalgo. Le ministre estime désormais « inutile de brandir des chiffons rouges » qui laisseraient penser « qu’il faut remettre les enseignants au travail ».
Selon les pistes présentées aujourd’hui, les décrets jugés toujours « obsolètes » par le ministre seront, certes, bien revus pour intégrer toutes les nouvelles missions, mais sans quota horaire spécifique ni indemnisation. Un changement strictement formel, donc, et à portée purement symbolique, comme l'admet d’ailleurs le ministre, qui assure vouloir faire reconnaître aux yeux de l’opinion cette partie invisible du travail enseignant. Pas sûr, pourtant, que les profs s’y retrouvent… A priori, seules les « responsabilités particulières », coordination de discipline, accompagnement d’élèves handicapés, coordination école-collège, « qui sont aujourd’hui assurées sur la base du bénévolat », pourraient être reconnues de manière sonnante et trébuchante.
Là où les choses pourraient réellement évoluer, c’est sur le front de l’éducation prioritaire. De longue date, Vincent Peillon a indiqué qu’il souhaitait améliorer les conditions de travail de ceux qui sont « au-devant de la difficulté sociale et scolaire ». Après avoir évoqué une décharge de deux heures hebdomadaires, on s’achemine plus vraisemblablement vers une heure de cours en moins pour ces enseignants, selon les informations recueillies auprès des syndicats. Reste juste à savoir quel sera le périmètre d’une éducation prioritaire en plein chantier. Là encore, selon nos informations, la mesure pourrait ne concerner que les enseignants des établissements les plus difficiles et sans doute pas les enseignants du premier degré. La décharge pourrait s’appliquer dès la rentrée prochaine, si les négociations aboutissaient rapidement, et devrait être financée par une remise à plat de certains avantages (décharges horaires notamment) dont bénéficient aujourd’hui les enseignants de classe préparatoire.
Assurant qu’il agirait selon un principe de justice et de clarté, le ministre a ce lundi clairement confirmé cette piste. « Est-il normal de mettre beaucoup de moyens humains pour ceux qui ne sont pas en difficulté et très peu pour ceux (les élèves, ndlr) qui le sont ? », s’est interrogé le ministre, en référence notamment au rapport de la Cour des comptes qui pointait les très faibles moyens déployés pour l’éducation prioritaire.
Pour les directeurs d’écoles, dont les conditions de travail se sont singulièrement dégradées à mesure qu’augmentaient leurs charges administratives, la réforme des rythmes scolaires n’ayant rien arrangé, une reconnaissance est là aussi attendue. De quelle nature ? Décharges horaires, primes, revalorisation de carrière… Plusieurs pistes sont sur la table mais semblent pour l’instant insuffisantes aux yeux des syndicats. « Une prime de 300 euros, ce n’est vraiment pas ce qu’ils attendent », nous confiait, avant l’ouverture des négociations, un représentant syndical pour qui ce sujet reste « un motif d’inquiétude ».
Enfin, les RASED, ces enseignants spécialisés pour des enfants en grande difficulté scolaire, que le précédent quinquennat a tenté de rayer de la carte en taillant massivement dans leurs effectifs, devraient voir leur place confortée. Avant de recevoir les organisations syndicales, Vincent Peillon a rappelé leur rôle « essentiel », tout en soulignant que « des évolutions » de leur métier pourraient avoir lieu. Après avoir violemment critiqué les attaques dont ils avaient été l’objet sous la droite, le ministre avait semblé très hésitant sur le sujet – certains, rue de Grenelle, prônant même la disparition de ce corps au motif que leurs résultats seraient faibles. Visiblement, la question a été tranchée.
Cantonnées à ce périmètre limité, les négociations qui vont se dérouler jusqu’au mois de décembre ne devraient pas provoquer – Vincent Peillon n'y survivrait pas rue de Grenelle – de psychodrame. Ni de grand enthousiasme non plus.
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