Cette fois-ci, Jean-Christophe Cambadélis entend faire valider sa « thèse » de façon incontestable. Durant tout ce samedi de conseil national de dépôt des motions au prochain congrès du parti socialiste (5-7 juin à Poitiers), dans les coulisses d'un sous-sol de l'Assemblée nationale, la formule est ainsi revenue en boucle : « Ce n’est pas une synthèse, c’est une thèse. » Le premier secrétaire, qui espère être enfin élu par les militants et non plus seulement désigné à la tête du PS, veut donner du sens à l'aréopage extra-large qui constitue sa motion A, un brin pompeusement appelée « Renouveau socialiste ». Un texte signé aussi bien par Manuel Valls que Martine Aubry, « un compromis où chacun garde ses idées et fait un pas l'un vers l'autre, un rassemblement autour d'une thèse partagée », a insisté “Camba”, lors d'une conférence de presse.
Dans les faits, si l'on en croit les intéressés, une première mouture du texte, parfois raide sur l’action gouvernementale et reprenant une partie des critiques de Martine Aubry, a ensuite été amendée jusque tard dans la nuit de vendredi par les soutiens du premier ministre, notamment les membres du pôle réformateur autour de Jean-Marie Le Guen et Gérard Collomb. Ce dernier sourit, sur le trottoir de la salle Victor-Hugo où se tient (à huis clos) le conseil national : « On va dire qu'il a été écrit un peu plus finement. »
Le délai de remise des textes a même été reporté au dimanche à la mi-journée. Ou comment réunir un conseil national de dépôt des motions sans communiquer les motions. Magie du parti socialiste… In fine, quelques passages de la version initiale auraient été enlevés ou modifiés entre la première et la deuxième version (à l’heure où nous publions cet article, la version finale n’a pas encore été communiquée).
De toute façon, chacun garde sa propre interprétation de la « thèse à Camba ». Ainsi Gérard Collomb explique-t-il déjà que « quand il est écrit qu'il ne doit pas y avoir d'extension du travail du dimanche, cela veut dire pas d'extension supplémentaire après que la loi Macron aura été votée ». Tout le monde s’y retrouve et interprète à sa façon les diverses tournures du texte, sur fond de Realpolitik où chaque sensibilité (hollandais, comme vallsistes ou aubrystes) a compris son intérêt à se trouver dans ce qu’ils espèrent être une majorité du parti.
Sur le fond, trois principes semblent régir l’attelage écartelé et cartésien : une union de la gauche retrouvée (et retitrée de façon grandiloquente « belle alliance »), une fin de quinquennat « placée sous le signe de l’égalité sous toutes ses formes » et un renouvellement du parti, dans ses structures et dans son personnel. Une volonté de « renouveau dans les têtes et des têtes », selon la « Cambadélissade » de la semaine (succédant au PS qui « est mieux mais pas au mieux » du dernier conseil national pré-départementales), qui passerait par l’organisation de multiples conventions militantes, thématiques et stratégiques.
Pour l'exécutif, l'essentiel n'est pas franchement le texte, mais la garantie d'avoir un congrès le moins incertain possible. Et en l'état, les manœuvres stratégiques de Cambadélis ont plutôt fonctionné. Certains dans son entourage pronostiquent d'ailleurs d'ores et déjà un résultat entre 55 et 60 %, loin devant la motion du collectif « Vive la gauche » (aile gauche du PS et parlementaires “frondeurs”), emmenée par le député Christian Paul et « estimée » par les mêmes entre 35 et 40 %. La motion D, nommée « La Fabrique socialiste » et déposée par Karine Berger, une dizaine de parlementaires, Dominique Bertinotti, des jeunes secrétaires de section et Paul Quilès, espère de son côté un score entre 8 et 12 %. Une ultime motion, la C, emmenée par deux secrétaires nationaux (Florence Augier et Louis Mohamed Seye) issus de la défunte motion Hessel/Larrouturou et de Désirs d’avenir, a également été déposée (et est la seule à avoir été publiée avant le conseil national).
Et à ceux qui l’accusent d’étouffer le débat et de préparer un « congrès édredon », Cambadélis rétorque en homme d’organisation : « Il ne peut plus y avoir de synthèse générale avec nos nouveaux statuts. Désormais, il y aura une ligne majoritaire. Ce sera une clarification de fait. » Sans antithèse possible.
Cette idée d’un congrès « déjà plié » agace dans les rangs de la motion B, intitulée « À gauche, pour gagner ». Son premier signataire, Christian Paul, estime qu’« il n’y a pas de motion majoritaire à l’entrée de ce congrès. Ou alors, on considère les militants comme des figurants. Or beaucoup n’ont pas envie de se planquer dans ce congrès ». Pour lui, « l’unité du parti n’est pas en danger, elle ne doit donc pas être un prétexte pour ne pas débattre ». Et de pincer, sans rire, en fin de conférence de presse : « Nous n’allons pas à Poitiers pour faire des “selfies”. »
Soutenu par les courants d’Emmanuel Maurel et Benoît Hamon, ainsi que par Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti, Christian Paul estime qu’il y a « un droit et un devoir d’inventaire de ces trois dernières années » à débattre les prochaines semaines dans les sections, et notamment du « virage du CICE, qui était illégitime ». Le député de la Nièvre veut « des actes forts, pas des signaux faibles » adressés au pouvoir, et réclame une « véritable loi bancaire » et une « véritable réforme fiscale ». L’ancien responsable du laboratoire des idées dans le parti d’Aubry, dont il estime que le projet socialiste de 2011 reste d’actualité, regrette aussi l’atonie intellectuelle du PS aujourd’hui. « Quand nous sommes dans l’opposition, nous adorons recevoir des économistes. Mais au pouvoir, nous les ignorons, et c’est la direction du Trésor qui prend le pouvoir rue de Solférino ».
Paul ne cache pas non plus à la presse son inquiétude quant au déroulement du vote des motions, le 21 mai prochain. Alors que beaucoup se disent « très inquiets sur la sincérité du scrutin », il dit vouloir « croire que les temps anciens sont terminés ». Pour ce congrès, le corps électoral s’élève à au moins 130 000 votants, 30 000 de plus, qui se sont éloignés du parti depuis deux ans, pouvant encore se remettre à jour de cotisations le jour du vote (mais moyennant le paiement de leurs arriérés).
La motion B peut-elle espérer l’emporter ? Par le passé, l’aile gauche a toujours obtenu autour de 25 000 voix dans les derniers congrès où elle s’est comptée au complet (la motion D de Reims en 2008, comme la motion 5 du Mans). Et lors du dernier congrès de Toulouse (en 2012), 88 000 militants s’étaient déplacés jusqu'aux urnes, soit seulement 50 % de participation, pour un congrès certes sans grand enjeu.
Dans les rangs de l’aile gauche, certains sont pessimistes, estimant que « la majo’ a toutes les grosses fédés ». Mais d’autres soulignent qu’« il n’y a plus de si grosses fédérations » et, surtout, rappellent sans cesse qu’« on ne sait rien de qui est resté et qui est parti », les déçus d’un gouvernement dérivant trop à droite ou les « déprofessionnalisés » pour cause de déroutes électorales, et autres adhérents « carriéristes » sans perspectives, ou simplement « alimentaires ».
Un des chefs de file de la motion B pense qu’« un scénario où Camba’ ne parvient pas à 50 % » est « jouable ». Mais il y a aussi ceux qui y croient. Comme le député Pascal Cherki. À ses yeux, « c’est une vraie bataille qui s’engage : c’est la première fois que je vois un congrès où la direction sortante n’est pas en dynamique ». « La majorité sortante voulait faire un “congrès utile”, ajoute-t-il, mais elle l’a résumé à une construction d’appareil complètement acrobatique. Je ne vois pas comment les militants peuvent accepter un message aussi ambigu. »
De fait, entre la salle Victor-Hugo et la rue de Solférino ce samedi, l’ambiance n’était pas des plus folichonnes dans le septième arrondissement parisien. Quasiment aucun ministre ne s’est déplacé, les proches de Manuel Valls se font discrets, quand ils sont là, et plusieurs aubrystes « disciplinés » digèrent mal la situation et serrent les dents, sans vraiment cacher leur amertume. Quant à Martine Aubry, elle est discrètement partie avant la fin. À un photographe qui l'interroge, elle expédie : « C'est bon, j'ai autre chose à faire, je rentre à Lille. » Joie et allégresse.
À la tribune, le député aubryste Jean-Marc Germain indique qu’il aurait pu écrire la même contribution que Benoît Hamon, pour expliquer qu’il soutient finalement Cambadélis. Et quand ce dernier annonce, en introduction de son discours, Julien Dray parmi ses vingt premiers soutiens (énoncés comme preuve de renouveau dans une ambiance surréaliste), celui-ci le dément quelques minutes plus tard sur Twitter.
Contrairement à des rumeurs, je n'ai signé aucune motion pour le congrès. Je vais lire et réfléchir #CNPS #CongresPS
— Julien Dray (@juliendray) April 11, 2015
Même l’arrivée médiatiquement programmée de Cambadélis et Aubry s’est faite par une entrée de service en sous-sol, afin d’éviter un comité d’accueil FCPE/FSU, pourtant restreint, qui manifestait à proximité pour l’avenir d’un collège. On a connu entrée en campagne interne plus entraînante.
« Cambadélis va nous jouer le rôle du facteur d’ordre, en expliquant partout que s’il est minoritaire, il y aura une crise », redoute le député Laurent Baumel, ex-strauss-kahnien reconverti “frondeur”. À ses côtés, Pascal Cherki a déjà sa parade : « C’est nous qui sommes le facteur d’ordre, car le désordre à gauche provient de la politique qu’on mène. » Thèse contre thèse.
BOITE NOIREComme à chaque réunion interne depuis que Jean-Christophe Cambadélis est à la tête du parti, hormis ses états généraux et son université d'été, ce conseil national s'est tenu à huis clos. Une « nouvelle tradition » d'autant plus étrange que la séance est enregistrée en vidéo et que les discours des porteurs de motion ont été publiés sur le site du PS.
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