À la gauche d'un pouvoir socialiste, ils n'ont jamais été aussi nombreux à réclamer un changement de cap, ensemble. Ce dimanche à Montreuil, à l'invitation du PCF et du Front de gauche, des « assises citoyennes » ont réuni plusieurs dirigeants écologistes et responsables de l'aile gauche du PS, comme des responsables du NPA ou des personnalités du mouvement social et syndical. Après des ateliers de travail le matin, l'après-midi a permis au millier de personnes présentes d'assister à une discussion à bâtons rompus entre hérauts des gauches. Et si tout le monde affiche sa bonne volonté pour instaurer durablement le dialogue, chacun semble encore loin d'adopter un vocable commun.
À entendre les interventions, la divergence est avant tout stratégique. Les divisions sur le fond sont moins visibles que par le passé. Les débats sur le nucléaire ou la politique industrielle sont glissés sous le tapis de la transition énergétique, évoquée comme une nécessité par tous les orateurs, du communiste Pierre Laurent à la socialiste Marie-Noëlle Lienemann, en passant par la syndicaliste Annick Coupé (Solidaires). Chacun grimace différemment à l'évocation de l'accord sur l'emploi (ANI). Chacun sait bien que tout le monde entend partir sous ses couleurs, et souvent en concurrence, lors des prochaines européennes, et sans doute dans beaucoup de villes, au premier tour des municipales. Mais tous semblent toper pour se retrouver dans de futures mobilisations en réaction à la politique menée par le pouvoir. Deux sujets font d'ores et déjà l'unanimité : le rejet de la réforme sur les retraites (lire nos articles) et le refus du futur grand marché transatlantique entre l'Europe et les États-Unis, dont les négociations sont près de s'ouvrir (lire nos articles).
En coulisses, tout le monde affiche son plaisir de se retrouver pour se parler, dans un relatif anonymat médiatique. Le discours de l'eurodéputé écolo Yannick Jadot réjouit Éric Coquerel, dirigeant du PG et proche de Jean-Luc Mélenchon. L'ancien trotskyste unitaire Christian Picquet lance au micro que « le Front de gauche tout seul ne pourra pas changer les choses ». Le député PS Jérôme Guedj lui répond : « Pas plus que le PS ne le peut tout seul. » Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, à l'initiative de l'événement, appelle à « aller au-delà des postures des uns et des autres, de ceux qui sont au gouvernement et de ceux qui n'y sont pas ». À la tribune, il affirme : « Notre responsabilité est de modifier la situation, pas de camper chacun dans notre coin. Il faut mobiliser plus largement que nos seules forces. » Plus précisément, il ne veut pas « laisser sans possibilité de dialogue les 22 000 militants socialistes, qui ont voté pour les amendements de Marie-Noëlle à la convention Europe du PS ». Une convention qui s'est tenue dans la matinée, à la Mutualité, où l'aile gauche socialiste est parvenue, à l'usure, à faire reconnaître l'adoption militante de ses amendements (lire ici).
Pour Lienemann, justement, « la grande affaire de la gauche c'est le front populaire, le rassemblement de toute la gauche, y compris celle qui n'était pas la plus déterminée ». La sénatrice PS le martèle : « Si nous sommes divisés, si nous ne trouvons pas quelques convergences majeures et réalisables, c'est l'extrême droite qui sera la bénéficiaire. » Même son de cloche pour Pierre Khalfa, de la fondation Copernic, qui souhaite « un rassemblement le plus large possible ».
Pour autant, derrière les assauts d'amabilités, personne n'a caché les désaccords, comme autant d'obstacles à l'alternative, diversement invoquée tout au long de l'après-midi.
Car les mots ont aussi été durs à l'encontre du gouvernement Ayrault et de la ligne du président Hollande. « On n'a pas eu la rupture, on n'a pas eu le changement, et on n'a même pas eu un début de réorientation des politiques économiques et sociales, se désole Annick Coupé. Si on ne peut pas faire autrement sur les retraites que de reprendre le discours de la droite, selon lequel “on vit plus longtemps donc on travaille plus longtemps”, alors, il n'y a plus d'imaginaire politique pour transformer le rapport de force. »
La porte-parole du NPA, Christine Poupin, a bien encouragé l'aile gauche du PS à venir dans de futures manifestations : « Plus il y aura de socialistes dans la rue, comme lors du mouvement de 2010 contre la réforme de la droite, mieux ce sera. » Mais elle flingue, dans la foulée : « Quand on voit tant de reprises des argumentaires de la droite, je ne vois pas comment il peut y avoir des convergences avec le pouvoir actuel. Aujourd'hui, les convergences se font face à lui », en citant la mobilisation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Tonalité identique, pour la dirigeante de la Fase, Clémentine Autain : « Avant, on disait au pouvoir socialiste : “On en veut plus !” ou “Ça ne va pas assez vite !” Mais aujourd'hui on veut une toute autre politique : qu'on tourne le dos à l'oligarchie, qu'on arrête la chasse aux Roms, qu'on ne fasse pas l'ANI. » Et de se référer à l'expérience italienne : « Au nom de la bataille contre Berlusconi, Romano Prodi a désespéré le peuple, et c'est une droite encore plus dure qui est revenue au pouvoir. »
Plus inquiétant encore pour l'union des gauches, l'intervention de Dominique Voynet fut copieusement huée. Après être parvenue à forcer le protocole pour faire un discours d'accueil, en tant que maire de Montreuil, l'ancienne ministre écologiste du gouvernement Jospin a affronté, non sans panache, les sifflets d'une bonne cinquantaine de militants locaux du Front de gauche, reflet d'un contexte local ultra-tendu à gauche (lire ici). « C'est quand même bizarre de faire ça à Montreuil, soupire un participant des assises. Là où tous les partis de gauche sont divisés et se tapent sur la gueule entre eux, et en interne. » Le secrétaire national d'Europe Écologie-Les Verts, Pascal Durand, a alors musclé le débat : « On ne peut pas se dire dans une logique démocratique et dénoncer certains comme des traîtres ! Les majorités alternatives, elles se construisent dans le respect de l'autre. On ne réglera pas ensemble les problèmes de l'industrie automobile les uns contre les autres ! Si nous écolos on se fait siffler, comment voulez-vous que d'autres bougent pour devenir majoritaire ? »
À ses côtés, Jean-Luc Mélenchon acquiesce. Mais quand il prend le micro, il tente de justifier en partie les huées, sans les cautionner. « Nous sommes blessés. Nous sommes en colère. Vous nous avez rendu fous de rage. Comprenez ! On ne veut pas être embarqués dans des politiques que nous ne voulons pas mener. » L'ancien candidat à la présidentielle réaffirme cette intime conviction, qui laisse encore sceptique ses camarades de tréteaux communs : « J'ai la certitude que la chaîne va craquer quelque part en Europe. Et quand ça va craquer, la social-démocratie coule avec le capitalisme, hébétée (…) Il faut être capable de proposer une alternative, et pas des discussions. » Alors, s'il remercie vivement Pascal Durand et Marie-Noëlle Lienemann, il prévient : « Nous sommes disposés au débat, mais nous on veut changer radicalement les choses, et pas un petit peu les choses… »
Dans les travées, la secrétaire nationale à la VIe République du PG, Raquel Garrido, décrypte l'état d'esprit mi-figue mi-raisin de Mélenchon : « Ce type de réunion fait partie des passages obligés. C'est plus conventionnel que des grandes marches citoyennes, mais ça remobilise les militants. La vérité, c'est qu'il y a un programme commun, il n'est pas difficile à mettre en œuvre, on est d'accord sur les grandes lignes. Mais il manque encore le courage. Si ce type de réunion permet d'en donner… »
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