De notre envoyé spécial à Villeneuve-sur-Lot
Il disait : « Je suis une vague qui monte, qui monte. » Mais au lieu de le porter, la vague lui est revenue en pleine figure. Bernard Barral, le candidat du parti socialiste à la législative partielle de Villeneuve-sur-Lot, n'ira pas au second tour. Avec 23,69 % des suffrages, il n'arrive dimanche qu'en troisième position de la législative partielle de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), le fief de Jérôme Cahuzac. Derrière l'UMP Jean-Louis Costes, en tête avec 28,71 %. Mais aussi derrière le jeune candidat du Front national, Étienne Bousquet-Cassagne, qui obtient 26,04 % (tous les résultats ici).
Pour le candidat PS, la comparaison avec l'élection de 2012, lors de laquelle Jérôme Cahuzac avait été élu dans un fauteuil, est cinglante. Cet ancien patron d’une société de produits surgelés perd en un an près de 15 000 voix par rapport à son illustre prédécesseur, qui a dû quitter le gouvernement pour cause de compte en Suisse non déclaré.
L'UMP Jean-Pierre Costes, battu à plate couture en 2012 par Cahuzac, perd lui aussi des voix : 3 500 suffrages en moins. Mais la grande gagnante de ce scrutin est bien évidemment l'abstention : elle atteint 54 % ce dimanche, contre 35 % il y a un an. Dimanche, le candidat PS a appelé à « faire barrage » à l'extrême droite. « Un appel sans ambiguïté », a renchéri le premier fédéral du Lot-et-Garonne, Matthias Fekl, qui est aussi député de la circonscription voisine. Car le FN, lui, progresse : + 1 000 voix en en un. « C'est terrifiant », résume un élu PS, consterné.
Les visites-surprise des ministres Manuel Valls et Stéphane Le Foll, la semaine dernière, n'y auront rien fait. Le PS subit une nouvelle défaite lors d'une législative partielle, la huitième sur huit disputées depuis l'élection de François Hollande. Comme dans l'Oise en mars, le PS est éliminé dès le premier tour.
Dimanche, le chef de l'État a tenté de présenter cette lourde défaite comme une simple « séquelle » de l'affaire Cahuzac. « Lorsqu'il y a des scandales, en l'occurrence c'en était un, il y a toujours la tentation de l'extrême droite », a ajouté François Hollande sur M6. De son côté, le PS a voulu voir dans les résultats la triple conséquence « d'un “choc Cahuzac”, de l'abstention et de la division de la gauche ». De fait, Front de gauche et écologistes, qui avaient tenu à présenter un candidat autonome dans cette circonscription symbole, totalisent 5,08 % et 2,78 % – mieux qu'en juin 2012, mais un peu moins en voix.
Mais en réalité, ce scrutin prouve d'abord la désaffection de l'électorat socialiste. À Villeneuve-sur-Lot, la ville que l'ancien ministre du budget a dirigée, c'est le FN qui est en tête. Dans les villages de cette grande circonscription rurale, les résultats montrent l'ampleur de la démobilisation des électeurs PS. À Castelnaud-de-Gratecambe, 372 inscrits, si le FN vire en tête, c'est que Barral ne récolte que 34 voix, quand Cahuzac en raflait 125 il y a un an : près de quatre fois plus. UMP et FN ne progressent que d'une petite voix… « Il y a un parti nettement en tête, l'abstention ! » explique un des responsables du bureau de vote.
À Cahuzac (la bien nommée), charmante bourgade de 300 âmes et 224 inscrits sur les listes électorales, même scénario : Barral s'effondre (un tiers de voix en moins par rapport à juin 2012), l'UMP et le FN ne progressent que de quelques voix. Ici, l'ancien ministre avait lancé sa toute première campagne législative victorieuse, en 1997. Entre-temps, il a inauguré la salle polyvalente et « beaucoup fait pour le foot », dixit le maire Front de gauche, Jean-Pierre Testut. Mais aujourd'hui « c'est le FN qui est en tête. Beaucoup de socialistes ne sont pas venus voter. Certains ont pensé que leur candidat serait là dimanche prochain ». Raté.
Il faut dire que Bernard Barral, le candidat PS, sympathique mais peu connu et pas très charismatique, avait les éléments contre lui : une foule de candidats (17 !), l'impopularité du gouvernement, le chômage qui progresse ici comme ailleurs, et puis aussi une campagne trop courte, rongée par la rumeur d'un éventuel retour de « Jérôme », comme beaucoup disent à Villeneuve. Rumeur évidemment alimentée par l'intéressé, qui a inondé les uns et les autres de SMS, a menacé un temps de se représenter, et même passé une tête un samedi au marché, histoire de montrer qu'il était encore là. « Cahuzac a parasité les premiers jours de la campagne », peste un responsable socialiste. Dimanche, Cahuzac a fait l'économie d'une nouvelle apparition en votant par procuration.
« Il a beaucoup hésité parce qu'il sait qu'il aurait fait un meilleur score que Barral. C'était une pointure, Jérôme : il aurait été au deuxième tour », veut croire le premier adjoint de Villeneuve, René Chambon. Il n'est pas le seul à verser dans la nostalgie. Dans les bureaux de vote de la mairie de Villeneuve-sur-Lot, les scrutateurs ont retrouvé quelques bulletins au nom de leur ancien maire. Le nom est griffonné, parfois c'est un bulletin de vote de campagnes passées. Anne Carpentier, une journaliste locale, candidate pour le “Parti d'en rire” et surtout groupie de Cahuzac, a même ramassé sur son nom plus de 1 000 voix (3,28 %)…
« Encore une fois, Villeneuve se distingue ! » enrage Marie-Claude Frayssihnes. Cette sympathisante écologiste croisée dans le hall de la mairie est au bord des larmes. « Je ressens une grande tristesse. Cette affaire nous a fait énormément de mal. Je le connaissais Cahuzac, je lui en veux, il nous a trahis et le résultat de ce soir, c'est la conclusion de tout ça. Je ne peux pas m'empêcher de penser : on a le FN ce soir, est-ce que ça ne va pas monter une partie de la ville contre une autre ? être un déclencheur pour le vote FN au niveau national ? » La semaine prochaine, Marie-Claude ne sait pas ce qu'elle va voter : « Je suis encore trop sous le choc. » Puis : « Si si, j'irai voter : je ferai barrage au FN. »
À quelques mètres, Barbara Bellanger a moins d'état d'âmes. Entre 2007 et 2012, cette jeune militante socialiste a été l'assistante parlementaire de Jérôme Cahuzac. « Au début, j'étais prête à le soutenir s'il s'était présenté, raconte-t-elle. Mais début mai, je me suis dit “non mais ça va pas ? c'est contre toutes tes valeurs”. J'ai fait la campagne pour Bernard Barral. On n'est pas beaucoup de militants à l'avoir faite d'ailleurs... La semaine prochaine ? Je n'irai pas voter. J'ai voté Chirac en 2002 contre le FN, ça suffit. »
Au même moment, Étienne Bousquet-Cassagne, le candidat du FN entre justement dans l'hôtel de ville, suivi par une nuée de caméras. Des cris fusent « Ouh ! », « Facho ! », « C'est la honte ! », « Vous ne passerez pas ! ». Sur cette vidéo, le candidat FN est en arrière-plan, entouré par les journalistes :
Édith Bruguière, petite femme coiffée d'un chapeau (« je suis de la famille du juge », dit-elle), s'emporte : « Je suis très en colère, oui, de voir ce jeune de 23 ans défendre des idées fascistes ! No pasaran ! Villeneuve ne mérite pas un candidat du FN, on mérite beaucoup mieux ! » « Merci Cahuzac ! On s'en souviendra… », lance un homme, écœuré.
Star d'un jour, le frontiste Étienne Bousquet-Cassagne, fils du président de la chambre d'agriculture du département (qui, lui, soutient le candidat UMP), fait des bises, serre des mains, et livre aux médias quelques phrases clés : il se félicite d'« un choix de l'espérance, du patriotisme », parle de « vote d'adhésion ». « Le vote populaire est au FN », lance-t-il avant d'appeler les abstentionnistes à voter pour lui dimanche prochain.
« Notre démocratie est en danger », prévient un peu plus loin l'UMP Jean-Pierre Costes. Il admet volontiers avoir été soufflé par les résultats du Front national et appelle solennellement au « front républicain ». Ironie de l'histoire : sous des dehors très policés, le candidat de l'UMP, proche d'un mouvement de la droite dure, est considéré par beaucoup de militants de gauche de Villeneuve-sur-Lot comme un artisan local du rapprochement de l'UMP avec l'extrême droite.
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