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Avec sa primaire à droite, l'UMP apprivoise la « démocratie »

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«La Ve République ne peut être l'otage des partis politiques et le candidat à la présidentielle pris en otage par son parti. L'idée du général de Gaulle, c'était d'instaurer une élection présidentielle à deux tours, pas à quatre tours. » En septembre 2011, à quelques semaines de la primaire socialiste qui allait désigner François Hollande candidat à la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy n’avait pas de mots assez durs pour qualifier le mode de désignation choisi par le camp adverse. Les autres figures de l'UMP s'en donnaient également à cœur joie. « Une machine à diviser » (Jean-François Copé), « le casino des ambitions personnelles » (François Fillon), « un concours Lépine de la promesse la plus démagogique » (Christian Jacob)... Toutes les formules étaient bonnes pour tenter de délégitimer une procédure saluée par les médias comme « une avancée démocratique ».

Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon à l'Élysée, le 12 janvier.Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon à l'Élysée, le 12 janvier. © Reuters

Trois ans plus tard, ces mêmes figures ont validé, mardi 7 avril au soir, en bureau politique, la charte d’organisation de la primaire des 20 et 27 novembre 2016, qui désignera le candidat de la droite à l'élection présidentielle de 2017. Et ce, une semaine avant la date prévue, Nicolas Sarkozy ayant décidé d'accélérer le calendrier de l'UMP pour régler au plus vite les modalités du scrutin. Il ne s'agit pas d'un enthousiasme soudain de l’ancien président pour l'exercice, mais bien d'une volonté de clore, du moins pour un temps, un sujet qu’il juge pénible et dont il se serait, pour tout dire, bien passé. Tout chef de parti qu’il est, l'ancien président est redevenu un candidat comme un autre. Depuis juin 2013, date à laquelle le principe de la primaire a été adopté statutairement par un vote des adhérents à 92 %, Bonaparte a déserté la rue de Vaugirard.

C'est donc collectivement que le bureau politique de l'UMP a acté que chaque membre de la direction voulant se présenter à la primaire devra démissionner au moment de l'enregistrement de sa déclaration de candidature (date limite : le 21 septembre 2016). Le vainqueur de la primaire pourra ensuite proposer sa propre direction pour gouverner le parti jusqu'à l'élection présidentielle. Pour le reste, le projet préparé depuis le mois de janvier par un groupe de travail présidé par le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère, un proche de Bruno Le Maire, n'a été que légèrement amendé : le nombre de bureaux de vote est ainsi passé de 8 000 à 10 000, tandis que le nombre de parrainages de parlementaires nécessaires pour concourir a été réduit à 20 (au lieu de 25).

Brice Hortefeux, Thierry Solère et Édouard Philippe présentent la charte de la primaire au siège de l'UMP, le 7 avril.Brice Hortefeux, Thierry Solère et Édouard Philippe présentent la charte de la primaire au siège de l'UMP, le 7 avril. © Reuters

Cette dernière information a son importance pour tous les ambitieux de 2017 qui, contrairement à Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon ou Bruno Le Maire, n’ont pas encore constitué leur écurie. C’est le cas de Christian Estrosi, de Xavier Bertrand, mais surtout de Nathalie Kosciusko-Morizet qui peste depuis des semaines pour que le nombre de parrainages soit revu à la baisse. La vice-présidente de l’UMP, qui avait déjà renoncé à briguer la tête du parti en 2012 faute de parrainages, fait partie de ces « outsiders dotés de faibles ressources collectives et militantes qui ont intérêt à bouger les lignes et subvertir les règles traditionnelles », note Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l'université Lille-2, qui avait déjà travaillé sur la primaire socialiste de 2011 (Primaires socialistes – La fin du parti militant, Raisons d’Agir Éditions).

« L’expérience socialiste a valeur de précédent en ce qu’elle montre qu’une candidature aux primaires peut permettre à des personnalités de second rang (Manuel Valls ou Arnaud Montebourg) de se forger une identité politique et de construire un rapport de force dans la perspective de la composition d’un gouvernement », poursuit le chercheur. Cette multiplication de “petites” candidatures n'est pas pour déplaire à Nicolas Sarkozy. « Il faut que toutes les personnalités qui le souhaitent puissent se présenter à la primaire UMP, a-t-il expliqué à ses proches, selon Challenges. C'est très bien que Nathalie Kosciusko-Morizet, Xavier Bertrand, Bruno Le Maire et François Fillon concourent. Ils piqueront tous des voix à Alain Juppé… »

Pour siphonner davantage encore les voix de son principal adversaire, le patron de l’UMP a également entrepris une vaste opération de séduction auprès des centristes de l’UDI afin de les convaincre d’entrer dans la course. Fort de l’accord conclu dans le cadre des départementales, il aurait décidé de céder à ses alliés trois têtes de listes aux régionales (Hervé Morin en Normandie, Philippe Vigier dans le Centre et François Sauvadet en Bourgogne-Franche-Comté), rapporte Paris Match. Malgré les rumeurs de deal, les démentis du président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde – qui dit s’en remettre au choix de ses adhérents –, et les craintes de ses collègues centristes de voir les petits jeux d’appareils tourner en leur défaveur, rien ne semble pour l’heure gravé dans le marbre.

En présentant un seul et unique candidat en 2017, la droite et le centre limiteraient le risque d'être éliminés dès le premier tour. Mais le « grand rassemblement » vanté par l'ex-chef de l'État a tout de même ses limites. Elles s’appellent François Bayrou. Sarkozy ne digère toujours pas l’appel du patron du MoDem à voter François Hollande au second tour de la présidentielle de 2012. Et son récent soutien à l’honni Alain Juppé aggrave encore son cas. Dans la galaxie des formations de droite figure également Debout la France, dont le président, Nicolas Dupont-Aignan, vient d'annoncer qu’il ne participerait pas à la primaire de 2016, ce « travestissement de la Ve République ». « C'est un moyen d'amuser la galerie, de choisir l'acteur d'un film dont le scénario est déjà écrit », a-t-il confié à BFM-TV.

Face aux divers prétendants estampillés “droite modérée”, Nicolas Sarkozy veut apparaître comme le seul candidat de la « droite décomplexée ». Quand bien même Frédéric Poisson serait tenté par une candidature à la primaire, le patron du Parti chrétien-démocrate ne risque pas de piquer beaucoup de voix au chef de l'opposition. Ceci étant, la présence de ce parti proche de la “Manif pour tous” pourrait peser sur les futurs débats, à l’exemple de ce qu'il s’était passé en pleine campagne pour la présidence de l’UMP, lorsque Sarkozy avait promis au meeting de Sens commun d’abroger la loi Taubira, cherchant ainsi à s'attirer les faveurs de ce collectif ultraconservateur émanant de la “Manif pour tous”.

Au meeting de Sens commun, le 15 novembre 2014.Au meeting de Sens commun, le 15 novembre 2014. © ES

À l’image du Tea Party aux États-Unis, qui avait poussé les candidats aux primaires républicaines de 2010 à droitiser leur discours, le mouvement ultraconservateur et ses satellites ont de fortes chances de jouer un rôle dans celle qu’organise la droite française. Un temps qualifiée de « Tea Party à la française » par Manuel Valls, la “Manif pour tous” s’est finalement révélée différente de la frange ultraconservatrice américaine. Il n’en demeure pas moins que Nicolas Sarkozy lui accorde une attention particulière. Aussi, non content d’avoir offert à la porte-parole de Sens commun, Madeleine de Jessey, un poste de secrétaire nationale de l’UMP, le chef de l'opposition a également permis à six candidats issus du collectif d’être élus aux départementales.

La question de la ligne politique, et tout autant celles des valeurs et du juste équilibre à trouver entre la droite centriste et la droite radicale, constituent des enjeux majeurs en vue de la primaire de 2016. Le patron de l'UMP sait qu’il peut d'ores et déjà compter sur le noyau dur du parti de la rue de Vaugirard, toujours prompt à le suivre les yeux fermés. En tablant sur une faible participation – 1 million de personnes, selon Paris Match, alors que le PS avait réuni 2,9 millions d'électeurs en 2011 –, il espère ainsi contrôler au maximum le corps électoral du futur scrutin interne. Alain Juppé, lui, fait évidemment le calcul inverse.

En visant un seuil de 3 millions de votants – voire en espérant qu'ils seront 4 millions, selon l'un de ses proches, le député Édouard Philippe –, le maire de Bordeaux entend dépasser le seul socle des militants UMP pour toucher tous ceux qui, à droite comme au centre, voudraient éviter que l'ancien président et ses idées très « droite décomplexée » franchissent de nouveau le seuil de l’Élysée. « Une partie des dirigeants de l’aile modérée de l’UMP » a assez tôt acquis « la conviction que les primaires sont un moyen de contourner une base militante qu’ils jugent trop à droite », confirme le chercheur Rémi Lefebvre.

Si l'on en croit Libération, Nicolas Sarkozy avait envisagé début mars de faire adopter par tous les candidats à la primaire « dix à quinze mesures très fortes » élaborées par le parti et validées par les militants. L’idée, rapidement décriée par ses adversaires, n’a plus été évoquée depuis. Et pour cause : le chef de l'opposition n’a aucun moyen de l’imposer dans le cadre d’une primaire ouverte, dont la nature même dépossède « les partis et les militants de leurs fonctions traditionnelles de sélection », souligne encore Lefebvre. En faisant de l'adoption de cette primaire la condition sine qua non de son cessez-le-feu avec Jean-François Copé en 2012, François Fillon a d'une certaine façon réussi à équilibrer les forces.

Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient fait de « la maîtrise du parti un levier essentiel de la sélection présidentielle ». C'est désormais terminé. À présent, chacun lutte à armes égales. « Le président de l'UMP n'a plus vocation à être le candidat “naturel” du parti », poursuit le chercheur, qui note cependant qu’« aucun débat sur la “nature du parti” ou la place des militants n’a été enclenché » rue de Vaugirard, contrairement aux débats qui avaient traversé le PS en 2011. « De manière prévisible, c’est la question récurrente de la conformité au gaullisme qui est la plus discutée. » Et encore, hormis quelques exceptions comme Henri Guaino, ce n’est plus tellement le cas aujourd'hui.

En fixant de nouvelles règles de jeu, l'UMP opère une rupture historique. Frappée par l’efficacité électorale de la primaire socialiste qui avait conféré à François Hollande « une légitimité incontestée qui avait fait défaut en 2007 » et plombée par la guerre Fillon-Copé de 2012 dont les fraudes massives ont « délégitimé le principe d’une désignation interne pour le futur candidat », la droite commence, au grand dam des sarkozystes qui auraient bien aimé continuer à cultiver la figure du chef, à combler son retard « démocratique ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les gardiens du nouveau monde


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