Un volet judiciaire et un volet politique. Deux semaines après sa parution, notre enquête sur les liens cachés entre des responsables des autorités sanitaires et des laboratoires pharmaceutiques connaît deux développements simultanés. Le parquet de Paris a déclenché une enquête préliminaire pour « prise illégale d’intérêts ». Parallèlement, un amendement au projet de loi santé examiné actuellement à l’Assemblée nationale a été déposé par des députés écologistes de façon à renforcer les obligations et le contrôle pesant sur les membres de ces commissions censément indépendantes.
Sur le plan judiciaire tout d’abord, le parquet de Paris a décidé de mener une enquête préliminaire « avec un double versant, financier d’une part ; de santé publique d’autre part ». Le 26 mars, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) avait transmis notre article au parquet de Paris au titre de l’article 40 du code pénal, selon lequel « toute autorité constituée qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République ».
Depuis la parution de l’article, ni les principaux mis en cause ni les laboratoires pharmaceutiques cités n’ont apporté un quelconque démenti public aux faits que nous avons rapportés : pendant une vingtaine d’années, des présidents de la commission de la transparence, Bernard Avouac (entre 1989 et 1998) et Gilles Bouvenot (entre 2003 et 2014), ont en toute confidentialité, généralement à Marseille, rencontré des responsables de laboratoires pharmaceutiques, à qui ils délivraient contre gratification de précieux conseils sur la meilleure façon d’obtenir des autorisations et des remboursements devant les commissions.
Avec quelques amis, membres de cette même commission de la transparence, experts ou membres de la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM), ces très hauts responsables ont ainsi profité de leurs postes pour faire fructifier leurs petites affaires. Selon les témoignages concordants et nombreux que nous avons pu recueillir, ils étaient en effet rétribués sous différentes formes, notamment « des enveloppes d’argent liquide » – l'examen de certains dossiers étant visiblement rétribué jusqu'à 100 000 euros.
Rappelons que la commission de la transparence est une autorité pivot en France : ses préconisations conditionnent le remboursement des médicaments et les prix auxquels ils seront vendus. Pour les laboratoires, ses avis n’ont pas de prix.
Toute la difficulté pour l’OCLCIFF (Office central anticorruption), à qui l’enquête a été confiée, sera cependant de faire parler les taiseux protagonistes de cette affaire qui impacte potentiellement la santé des Français et le déficit de la Sécurité sociale.
Avant même que ces investigations ne soient menées, des parlementaires ont de leur côté la volonté de renforcer l’arsenal législatif pour empêcher ou dissuader ce type de comportements à l’avenir.
Profitant de l’examen du projet de loi santé de Marisol Touraine à l’Assemblée nationale, 18 députés du groupe Europe Écologie-Les Verts ont ainsi déposé un amendement qui précise, dans son exposé : « L’affaire récente révélée par le site Mediapart montre la nécessité de faire évoluer la réglementation concernant les conflits d’intérêts dans ce secteur. » L’amendement « vise à instaurer une obligation de transparence concernant les conflits d’intérêts et de déport pour différents organismes et agences œuvrant dans le secteur de la santé et du médicament ».
Concrètement, suggère l’amendement, les membres des commissions de la Haute autorité de santé, les membres du Comité économique des produits de santé, et ceux de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé auraient à déclarer leur patrimoine et leurs liens d’intérêt à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). La HATVP, créée après l’affaire Cahuzac, renforce les exigences de transparence qui incombent aux responsables publics, et se donne pour mission de prévenir les conflits d’intérêts.
D’ores et déjà, les membres du collège de la Haute autorité de santé (instance de direction) étaient contrôlés par la HATVP. Et par ailleurs, les « simples » membres de ces commissions sont déjà censés déclarer l’ensemble de leurs liens d’intérêt au sein des instances dans lesquelles ils siègent.
Mais l’idée est d’élargir le périmètre des personnes contrôlées, car une autorité extérieure sera plus efficace et aura toutes les compétences pour exercer le contrôle souhaité. « Ce n’est pas la même chose de devoir se soumettre à des règles de déontologie interne et d’être soumis à des contrôles qui peuvent se faire par recoupement avec les déclarations fiscales et déboucher sur des sanctions pénales, explique Jean-Louis Roumegas, instigateur de l’amendement. La Haute autorité pour la transparence a fait la preuve de son efficacité. Cela aidera à mettre fin à un sentiment d’impunité qui peut exister, mais cela devrait permettre aussi de mettre un terme à certaines bizarreries qui existent, notamment dans la fixation des prix. »
Car les députés verts, de façon plus générale, veulent « désintoxiquer la santé des lobbys », comme le dit Jean-Louis Roumegas. Parmi leurs autres propositions, sont pointés « les prix considérables » de certains médicaments au regard du coût réel de la recherche et de la fabrication. Ils demandent à ce que ce prix soit fixé « de manière transparente de façon à garantir un accès universel aux soins et aux services de santé ».
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