Après avoir semé le trouble sur le plan politique (lire nos articles ici et là), l'affaire Tabarot pourrait prendre son envol judiciaire à Paris. Initialement saisi par les victimes du groupe de Roch Tabarot, frère de la secrétaire générale de l'UMP, le parquet de Grasse (Alpes-Maritimes) vient de se dessaisir du dossier Tabarot au profit de Paris. Une enquête préliminaire ou une information judiciaire pourraient y être ouvertes prochainement.
En juin, les victimes françaises de Riviera Invest, le groupe immobilier de Roch Tabarot, avaient déposé une plainte au parquet de Grasse. Déposée contre le frère de Michèle Tabarot et contre X, elle vise également le plus proche conseiller de la numéro deux de l'UMP, Frank Mezzasoma, cofondateur en 2001 de la holding Riviera Coast Invest et trésorier adjoint de l'UMP des Alpes-Maritimes. La liste des chefs d'accusation est longue : « escroquerie », avec la circonstance de la bande organisée, « abus de confiance », « abus de biens sociaux », « corruption active d'agent public étranger », « organisation frauduleuse d'insolvabilité », « complicité de ces mêmes délits », « recel et blanchiment ».
En juillet, le parquet avait annoncé à Mediapart l’audition de l’un des plaignants. Dans la foulée, l’association espagnole des victimes du groupe de Roch Tabarot (Asociacion de perjudicados del grupo Riviera) – qui représente 250 personnes – et son président, Enrique Behem, s'étaient joints à la plainte.
Dans son courrier, adressé le 26 juillet au procureur de Grasse, l'avocat des victimes, Me William Bourdon, s'appuyait sur l'article 706-1 du Code de procédure pénale pour demander « que le dossier soit transmis pour compétence au parquet de Paris », « dans la mesure où parmi les infractions dénoncées figure celle de corruption d'agent public étranger ». En cause, la possible complicité dans les opérations du groupe Riviera de l'ancien maire d'Alicante (Espagne). D'après les services de police espagnols, Luis Diaz Alperi aurait en effet aidé le groupe de Roch Tabarot en révisant le plan d'urbanisme d'Alicante pour deux opérations immobilières d'envergure.
« L'enquête devra déterminer si (cette aide) a fait l'objet d'une proposition de contrepartie financière ou de tout autre avantage, de quelque forme que ce soit », explique la plainte des victimes. Les plaignants pointent du doigt les liens étroits entre la famille Tabarot et des élus espagnols de droite et de gauche, mais aussi les services qu'ils se sont mutuellement rendus (lire notre enquête).
« Le parquet de Grasse s'est dessaisi, nous allons examiner la procédure », a confirmé vendredi à Mediapart le parquet de Paris. « Compte tenu de la nature des faits et des personnes susceptibles d'être impliquées, un tel dépaysement est évidemment une bonne politique judiciaire, conforme à l'esprit de la loi en la matière », se félicite Me William Bourdon, joint également vendredi.
« C'est un dossier où, naturellement, l'ouverture d'une information doit s'imposer, en raison du caractère multiple et massif des infractions, de leur complexité », poursuit l'avocat, en rappelant que « le juge d'instruction est plus adapté que l'institution policière pour enquêter sur de tels faits, il a davantage de pouvoirs que les policiers, s'agissant notamment des demandes d'entraide judiciaire pour obtenir des mesures de saisie, des perquisitions. »
Me Bourdon adressera la semaine prochaine une note au parquet de Paris pour faire état de la disponibilité de témoins pour être entendus par les services de police. Par ailleurs, une nouvelle victime de l'escroquerie du groupe Riviera a pris contact avec l'avocat.
Roch Tabarot est mis en examen en Espagne pour une escroquerie immobilière estimée à 72 millions. Son groupe a organisé l’évaporation des fonds placés par plusieurs milliers de particuliers dans l’achat d’appartements dans la région d’Alicante. Près de 8 millions d’euros en virements et 13,5 millions en espèces sont en particulier sortis des caisses du groupe (lire le premier volet de notre enquête).
L’implication dans la société de Frank Mezzasoma, trésorier adjoint départemental de l’UMP, ainsi que plusieurs témoignages, permettent aux victimes de suspecter des financements politiques illégaux des campagnes de Michèle Tabarot et de son frère Philippe, secrétaire national de l’UMP, conseiller général et municipal de Cannes.
Selon la plainte déposée, « les flux financiers par retraits d’espèces et par virements bancaires relevés par les services de police espagnols laissent penser que les sommes extorquées ou détournées ont nécessairement fait l’objet de détention, transmission ou dissimulation sur le territoire français ». Selon un témoin cité par Mediapart, des fonds détournés – « plus de trois millions d’euros » – auraient été rapatriés « en voiture dans les Alpes-Maritimes à l’occasion des élections municipales de 2008 ».
Ces soupçons avaient été renforcés par les révélations de Jean Martinez, ancien candidat divers droite à Cannes en 2008. Dans un entretien à Mediapart, le 14 juin dernier, Martinez avait expliqué que le secrétaire national de l’UMP, Philippe Tabarot, lui avait offert, via plusieurs intermédiaires, jusqu’à 500 000 euros pour obtenir son retrait au second tour cette année-là. Selon l’ancien candidat cannois, Roch Tabarot, venu tout spécialement à Cannes pour les municipales, aurait proposé aux colistiers de Martinez de « doubler la somme ».
Le 24 octobre, dans une lettre adressée à Jean-François Copé, le député et maire UMP de Cannes, Bernard Brochand, avait ciblé ses rivaux, les Tabarot, en mettant en garde contre « la menace du retour des corrupteurs et des corrompus ». Dans cette missive, l'élu rappelait la « corruption massive » et les « pratiques mafieuses » qui ont abouti à la « condamnation historique » de l'ancien maire de Cannes, Michel Mouillot, à six ans de prison ferme pour « corruption, prise illégale d'intérêt, abus de biens sociaux, faux et usage de faux, et emplois fictifs ». « En la matière, la rémission n'est pas la guérison », a asséné Bernard Brochand.
Ancien maire UDF-PR de Cannes (1989-1997), Mouillot a favorisé l'implantation politique de Michèle et Philippe Tabarot dans le département. Soutien de Philippe Tabarot aux municipales de 2008, c'est lui qui aurait fait le premier appel du pied à Jean Marinez pour qu'il se rallie à l'entre-deux-tours à Tabarot, moyennant finances, selon Martinez.
En juillet, après nos révélations, les avocats des Tabarot avaient annoncé le dépôt, devant le TGI de Paris, de quatre plaintes en diffamation, visant essentiellement Mediapart.
BOITE NOIREMediapart enquête depuis janvier sur la numéro deux de l'UMP, Michèle Tabarot. Vous pouvez retrouver l'ensemble de nos articles dans ce dossier.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Configurer le TRIM pour SSD sur Linux