En fin de semaine dernière, le ministère de l’éducation nationale a présenté une étude pas totalement finalisée de ses services mais qui faisait apparaître – à rebours de la vision catastrophiste qui a globalement dominé dans les médias – que dans 93,5 % des communes passées aux nouveaux rythmes scolaires (sur les 81 % étudiées) « aucune difficulté n’a été relayée ». Ni de la part des parents d’élèves, ni des enseignants, ni de la mairie. Pour 5,2 % d’entre elles, selon ce document, « des difficultés existent mais des ajustements sont en cours pour les surmonter » alors que dans 1,3 % des communes « des adaptations significatives restent à mettre en route ». Le tout présenté par une signalétique attribuant à ces communes des feux vert, orange ou rouge.
Un bilan un peu sommaire qui avait, par son optimisme, laissé dubitative la principale organisation syndicale des enseignants du premier degré. Le SNUipp avait immédiatement raillé un « Tout va très bien, madame la marquise » du ministère au moment où, écrivait le syndicat dans un communiqué, « l’exaspération monte dans les écoles ».
Au sortir de la dernière réunion de travail du comité de suivi des rythmes scolaires, la rectrice de Lyon qui le préside, Françoise Moulin-Civil, et le directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), Jean-Paul Delahaye, ont accepté d’en dire un peu plus sur la manière dont l’un et l’autre évaluent la mise en œuvre de la réforme dans les 4 000 communes passées cette année aux nouveaux rythmes. Mis en place en avril dernier, le comité de suivi des rythmes scolaires, composé d’élus, de responsables d’associations, d’experts comme le chronobiologiste François Testu ou le pédopsychiatre Marcel Rufo, et de représentants des organisations syndicales a, ces derniers mois, mené une série d’auditions et de visites sur le terrain. Il s’appuie également, explique sa présidente, sur les remontées statistiques centralisées par la Dgesco. Dans quelques semaines, il rendra un rapport à Vincent Peillon, premier bilan d’étape de la réforme.
À entendre la rectrice de Lyon, on devine sa tonalité. « Dans une très grande majorité des communes, cela se passe bien, assure Françoise Moulin-Civil, qui affirme que « les feux sont au vert là où la concertation est continue et où les acteurs avaient des pratiques de travail collaboratives très ancrées. Cela fonctionne bien aussi lorsque se tiennent régulièrement des comités de suivi départementaux ou académiques qui permettent d’améliorer les choses ».
Pour Jean-Paul Delahaye, le bilan mené par ses services ne relève pas d’un optimisme béat. « Lorsque nous disons que la situation est satisfaisante dans 93 % des communes, cela ne veut pas dire qu’il n’y a eu aucun problème depuis la rentrée et que tout a été parfait. Cela veut dire que les élus, les enseignants, les parents ont trouvé des solutions, que ce soit pour l’utilisation des locaux scolaires – il y a eu des chartes d’utilisation – ou pour l’articulation entre temps scolaires et périscolaires, sur les activités parfois trop chargées en maternelle... »
La réforme est-elle plus facile dans les villes riches où le tissu associatif est important comme on pouvait, a priori, le supposer ? Pas vraiment, assure Françoise Moulin-Civil, pour qui il n'y a pas de portrait type de là où ça marche bien : « Y compris dans les communes rurales isolées, là où pourtant il n’y a pas beaucoup de ressources financières ni de ressources humaines disponibles, il y a des schémas d’organisation très intéressants. Certaines communes ont su se rapprocher et mutualisent les animateurs. On observe des schémas d’alternance, un jour sur deux ou une semaine sur deux, qui fonctionnent bien. »
Dans les grandes agglomérations, la lourdeur et la complexité des changements à opérer peut en définitive générer davantage de dysfonctionnements, comme on l’a vu à Paris. Le dialogue social est parfois plus facile dans une petite commune où les différents acteurs se connaissent bien (voir également le billet de Sébastien Rome). Ce qui explique peut-être que l’étude du ministère ait choisi comme unité de mesure les communes et non les écoles ou le nombre d’élèves, mettant du même coup sur le même plan la capitale, où les ratés depuis la rentrée ont été nombreux, et une commune de 300 habitants. La photographie avec une autre focale aurait, sans doute, été moins positive.
Sur le fond des problèmes soulevés par les nouveaux rythmes, le comité de suivi n’a pas, c’est peu de le dire, la même lecture que les enseignants qui manifestaient jeudi à Paris. Au chapitre de ce qu’ils considèrent comme des idées reçues : la fatigue des enfants provoquée par le retour du mercredi (ou du samedi pour une minorité de communes). « Ce sont surtout les parents lors de nos visites de terrain qui ont pu nous en parler. Les enseignants reconnaissent plus volontiers qu’avant les vacances de la Toussaint les enfants sont généralement fatigués. Il nous semble que les temps familiaux doivent aussi être interrogés », remarque Françoise Moulin-Civil.
Alors que depuis le début de l’année, les syndicats d’enseignants ont, par exemple, pointé des problématiques de sécurité avec des enfants mis par erreur sur le trottoir du fait d’une certaine désorganisation, la présidente du comité de suivi assure n’avoir « pas eu de remontées allant dans ce sens. Il y a sans doute eu quelques cas. Tout système a forcément ses marges, mais il ne faut pas généraliser ce genre d’exemple ». Pour le directeur général de l’enseignement scolaire, on sent que ces cas, hypermédiatisés au moment de la rentrée, relèvent d’un effet de loupe journalistique et font fi du sens de la responsabilité des adultes travaillant dans les écoles : « Les adultes ont réglé ces situations lorsqu’elles se sont posées. On ne laisse pas les enfants dans l’insécurité. »
Autre question qui continue de susciter le malaise : le coût des activités périscolaires que le ministre – en s’avançant un peu puisque cela ne relève pas de sa compétence – annonçait gratuites. « Nous avons beaucoup interrogé les communes à ce sujet, assure la rectrice de Lyon. On s’aperçoit que là où c’est payant, ce sont des sommes modiques et indexées sur le revenu des familles. » Pour la Dgesco, dans 87 % des cas (sur un tiers des communes interrogées), c’est la gratuité totale qui s’applique.
Face à un décret sur les rythmes scolaires qui laisse une grande souplesse d’application aux communes et a abouti, en cette rentrée, à une infinie variété de modes d’organisation de la semaine (allongement de la pause méridienne, alternance de journées plus ou moins courtes ou longues), certaines paraissant un peu baroques (voir notre article), la présidente du comité de suivi refuse de distinguer un bon modèle. « Sur les modèles d’organisation retenus, bien sûr, on peut avoir parfois quelques interrogations, affirme prudemment la rectrice. Mais la semaine dernière, j’étais dans l’académie de Reims à Vitry-le-François, où le choix a été fait de mettre les activités périscolaires de façon massée le vendredi après-midi. C’est dans un quartier assez défavorisé de Vitry-le-François, où il était constaté que les enfants de l’école primaire se livraient à des incivilités le vendredi, étaient excités et perturbateurs. Depuis, ils ont constaté que ces actes étaient en régression. »
La formation des animateurs ? Les problèmes de recrutement ? Là encore, pour la présidente du comité de suivi, ces problèmes ont été largement surestimés là où ils se sont posés. Il n’y a finalement que sur l’école maternelle que le comité de suivi concède qu’il fallait des ajustements rapides, et où des recommandations précises ont été présentées (lire ici). « Il y avait un point de crispation, nous le voyions dans les visites de terrain. Il faut penser mieux l’alternance des temps, de façon plus spécifique qu’à l’école élémentaire », reconnait Françoise Moulin-Civil.
D’où vient alors cet immense décalage entre ce constat serein et le mécontentement qui s’est exprimé non seulement toute la semaine mais depuis la rentrée ? « La presse n’est pas allée dans les endroits où la réforme se passe bien », souligne le directeur de l’enseignement scolaire. « Toutes les communes ne sont pas dans la rue. Tous les enseignants non plus en train de manifester : il faut rééquilibrer les choses ! » s’agace Françoise Moulin-Civil, qui estime que « la déontologie des journalistes » est de ne pas toujours s’intéresser aux trains qui arrivent en retard.
Reculer n’est pas une option, comme l’a, à nouveau, rappelé ce vendredi le Premier ministre sur France info : « Le seul but de cette réforme, c'est l'intérêt de l'enfant.(...) Je ne vois pas pourquoi l'on abandonnerait cette ambition. » Dans les propos du directeur général de l'enseignement scolaire, on sent quand même poindre un peu d'inquiétude : « Quel curieux pays serait-on si l'on ne parvenait pas à remettre une demi-journée de classe par semaine ? Vous imaginez ? Nous sommes les seuls à infliger une telle concentration du temps scolaire à nos enfants : 144 jours par an. Et ce ne serait pas possible dans ce pays que des élus, des enseignants des parents se mettent d’accord pour que les enfants aient un meilleur temps scolaire ? » Que fait-il de ces milliers d’enseignants, d’animateurs ou de parents dans la rue ? Doit-il, comme le lui suggère le secrétaire général du SNUipp, Sébastien Sihr, « redescendre de son nuage » ? « Une somme d’intérêts particuliers ne fait pas une politique d’intérêt général », tranche, cinglant, le directeur général de l’enseignement scolaire.
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