À première vue, il n’y a pas de point commun entre la logique du management moderne et celle qui a prévalu dans le taylorisme. La première mise tout sur la subjectivité, la personnalité des salariés et tend à « psychologiser » les rapports de travail. La seconde, inspirée par Taylor, le père de l’organisation scientifique du travail, a aliéné des générations d’ouvriers, les condamnant à être des robots strictement astreints aux tâches et consignes, niant leur être, leur état d’esprit, leurs états d’âme, leurs savoirs. Et pourtant, malgré les contrastes apparents, c’est la même orientation qui prime pour mieux dominer et accroître les rentabilités : celle d’une déshumanisation systématique des travailleurs d’hier et d’aujourd’hui.
Dans un ouvrage paru aux éditions Érès, La Comédie humaine du travail, la sociologue du travail Danièle Linhart, directrice de recherche émérite au CNRS, membre du laboratoire Cresppa de l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, en fait une brillante démonstration. On constate au fil des pages combien le taylorisme est bien vivace dans les entreprises modernes. Derrière la mascarade de la subjectivité, ces dernières continuent de déposséder de leur métier, leurs expériences, leur professionnalité les salariés confrontés à de plus en plus de situations de mal-être et de « risques psychosociaux ».
Danièle Linhart invite même à se méfier des employeurs qui, dans « une stratégie du bonheur », se proposent de prendre en charge la vie quotidienne intime des salariés pour les délester des tâches de conciergerie ou autre, afin qu’ils puissent s’adonner au travail dans les conditions les plus optimales. Car à la dépossession du métier, au travail qui perd son sens, épuise, s’ajoute la mainmise sur la vie privée de l'employé qui, constamment mis à l'épreuve par ses dirigeants, doute de sa propre valeur et de sa légitimité. Entretien vidéo avec l’auteure.
La Comédie humaine du travail – De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale, de Danièle Linhart, Éditions Érès, 160 pages, 19 euros.
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