Ça ne va pas mieux, pour la boussole à trois flèches d'Europe Écologie-Les Verts. Les lendemains du second tour des départementales n'ont rien arrangé à la crise interne que traverse le mouvement écolo depuis la sortie du gouvernement des ministres Cécile Duflot et Pascal Canfin. Et les débats qui animaient l'université d'été de Bordeaux en août dernier sont peu ou prou les mêmes (lire notre article de l'époque). Seule différence notoire, le fossé s'est creusé entre les points de vue divergents, et la secrétaire nationale semble avoir plus clairement choisi son côté de l'abîme.
Après que l'hypothèse d'un remaniement post-départementales s'est évaporée, les rumeurs de débauchage individuel ou l'hypothèse d'une consultation en urgence et par voie électronique des conseillers fédéraux (le parlement du parti écolo) ont laissé place au flou politique le plus absolu, voire le plus incompréhensible. Et la possible scission évoquée avant le scrutin (lire notre article) s'est transformée en sourde fracture entre l'élite du parti et ses bases. Et les initiatives tous azimuts qui en découlent interrogent sur la viabilité de l'entreprise politique écologique dans les prochaines semaines.
À notre demande, un dirigeant bien informé essaie de résumer le plus objectivement possible la situation interne : « Il y a ceux qui pensent qu'on est dans les années 1930 et se lamentent de voir socialistes et communistes se taper dessus alors que le péril fasciste est aux portes du pouvoir. Ceux-là sont donc prêts à transformer EELV en PRG de l'écologie : on est bien servi en postes et en élus et on fait plus chier. Puis il y a ceux qui se disent fidèles à la ligne historique des Verts depuis la fin du “ni gauche ni droite” de la fin des années 1980. Ceux-là estiment que l'écologie est de gauche et que Valls n'est pas de gauche. Et puis il y a ceux qui n'ont aucune envie de participer au gouvernement, mais qui pensent que Hollande peut encore changer quelque chose dans cette affaire. Ceux-là ont bien conscience que le quinquennat est budgétairement terminé, mais qu'il y a moyen de négocier sur le nucléaire et la proportionnelle, en échange d'une non-candidature en 2017. »
Résultat, les écologistes participent à la fois à un « processus de dialogue » avec le PS, comme l'initiative « Chantiers d'espoir » avec l'autre gauche. Et si un texte intitulé « Aller de l'avant », défendant une ligne autonome du gouvernement, a d'ores et déjà été signé par une majorité des 150 conseillers fédéraux, les chefs de file du courant "réaliste" maintiennent l'organisation d'un colloque à l'Assemblée ce samedi, aux côtés d'"écolos pro-Hollande", de Jean-Luc Bennahmias à Corinne Lepage en passant par France Gamerre (responsable de Génération écologie), Géraud Guibert (un ancien du "pôle écologiste" du PS) ou Bruno Rebelle (ancien conseiller de Ségolène Royal en 2007), ainsi que d'anciennes figures démissionnaires des Verts des années 1990 (Yves Pietrasanta ou Antoine Waechter).
Ce courant, « Repères écologistes », dont les principales têtes d'affiche parlementaires d'EELV, les présidents de groupe parlementaire (Jean-Vincent Placé, François de Rugy et Barbara Pompilli) et le vice-président de l'Assemblée nationale, Denis Baupin, profitent de leur omniprésence médiatique pour tirer à boulets rouges sur la stratégie à leurs yeux « illisible » de leur formation, qu'il juge « vendue au Front de gauche », et plaident sans relâche pour une entrée au gouvernement, quitte à se satisfaire de deux secrétariats d’État, ainsi que l'indique à Francetvinfo le député François-Michel Lambert. « On voudrait créer une plateforme à laquelle pourrait adhérer EELV, mais on se heurte à un mur identitaire et sectaire. Ça fait 17 ans que je suis chez les Verts, je n'ai jamais vu autant de haine », explique Christophe Rossignol, l'un des artisans de ce rassemblement, qui espère de son côté que « la situation va se décanter si les aubrystes se rangent derrière Cambadélis au congrès du PS et entrent au gouvernement ».
Mais ce prosélytisme pro-gouvernemental agace dans les rangs militants, très majoritairement en faveur de l'autonomie d'EELV, notamment en vue des prochaines régionales. Plus encore, certains évoquent à voix de moins en moins basse leur incompréhension devant l'attitude d'Emmanuelle Cosse. La secrétaire nationale du parti a tenu meeting commun avec Manuel Valls durant les départementales, et s'est félicitée de la reprise des discussions avec le PS, sur le perron de Solférino, acceptant de servir de caution à un Jean-Christophe Cambadélis tout heureux de sa mise en scène unitaire à quelques semaines de son congrès.
Même type de « service rendu » le lendemain, pendant les questions au gouvernement du mardi après-midi. S'adressant au premier ministre, la coprésidente du groupe EELV à l'Assemblée, Barbara Pompilli, y est allée de sa question "impertinente" : « Sur ces bancs, chacun sait que l'unité n'est pas la garantie de la réussite, mais que la désunion porte la certitude de l'échec. Quelle place entendez-vous donner concrètement à l'écologie dans votre feuille de route gouvernementale et dans les choix économiques ? » « La place des écologistes est dans la majorité, elle est pleinement au gouvernement », lui a répondu Manuel Valls. Une proximité des élites écologistes avec les socialistes, qui font renâcler les périphéries d'EELV.
« Il y a un problème de pilotage de plus en plus évident », glisse un membre du bureau exécutif. Un autre cadre d'EELV, comptant pourtant parmi les soutiens d'Emmanuelle Cosse, s'interroge aussi : « L'emmerdant, c'est qu'Emma donne l'impression d'avoir choisi un camp au lieu de tenir les deux bouts, comme une cheffe de parti. Elle doit créer le vent, pas se contenter de le suivre… » Dans un entretien à l'Obs, la secrétaire nationale réfute tout parti pris, et dit ne pas « croire » ni « souhaiter » une scission : « Je ne minimise pas les tensions de part et d'autre. Mais je m'efforce d'éviter toute déchirure et de remettre systématiquement le parti politique et sa direction au cœur des débats. Qu'il y ait des confrontations, c'est nécessaire, il n'y a que dans les partis totalitaires où ce n'est pas le cas. » Et elle se juge à sa place dans un débat avec les soutiens écologistes du gouvernement : « Il est essentiel que je discute avec tout le monde, y compris les écologistes non encartés, les ONG… J'en ai assez qu'on instrumentalise chaque réunion politique. J'irai porter le même message dans tout autre type de réunion. »
Pour David Cormand, responsable des élections à EELV, « le clivage pro-Hollande versus pro-Mélenchon est complètement factice. La vraie distinction se fait entre écologie d'accompagnement et écologie de transformation ». À ses yeux, le PS souhaite que « le rassemblement précède une inflexion de la politique globale quand nous disons qu'un changement de ligne est le préalable pour qu’il y ait un rassemblement. L’accord, on l’a déjà fait, c’était en 2011, on a vu ce que ça a donné. Le quinquennat est en réalité quasiment fini. Le dernier budget de la mandature de 2016 sera bouclé à l’été, l'essentiel est déjà décidé. Donc, s'il n'y a pas une inflexion très forte, on n’arrivera pas à faire beaucoup plus ».
Même moue dubitative chez Sandrine Rousseau, porte-parole d'EELV : « Hollande veut la crème, la crémière et la crèmerie. Il souhaiterait tous les avantages d'un ralliement sans les inconvénients d'un accord programmatique. Avoir des ministres, c'est une chose, mais si c'est pour perdre tous les arbitrages… » Pour elle aussi, « personne ne dit sur le terrain qu'il faut faire à tout prix alliance avec le Front de gauche, mais beaucoup ne veulent plus s'allier avec le PS. Il n'existe que des réflexions sur une construction politique ». Son binôme porte-parole, Julien Bayou, opine : « Notre responsabilité, c'est que l'écologie survive aux ambitions pour 2017 et existe après. Si on se rallie à un Hollande qui nous aura piétinés durant tout le quinquennat, on est morts. »
En ligne de mire pour EELV, les élections régionales de décembre, qui auront lieu en même temps que la conférence de Paris sur le réchauffement climatique. Ce scrutin, toujours très important pour ce parti fédéraliste structuré régionalement, a souvent vu les Verts puis EELV se compter au premier tour, en réalisant des scores à deux chiffres, avant de négocier un accord d'entre-deux-tours avec les socialistes. Et si les socialistes rêvent de listes communes dès le premier tour, notamment face au risque FN dans les régions Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou Provence-Alpes-Côte d'Azur, pour l'heure, la tendance serait davantage à l'autonomie.
Toujours influente au sein de son parti, Cécile Duflot se démène de son côté pour coller aux aspirations militantes du parti dont elle fut la "patronne" six ans durant. Après avoir battu la campagne électorale et pris le pouls des adhérents, elle a d'ailleurs réajusté son discours dans un entretien au Monde, toujours en critiquant sévèrement Manuel Valls et son « logiciel périmé », mais en prenant aussi soin de marquer une distance avec Jean-Luc Mélenchon, « qui se trompe sur le fait de considérer comme prioritaire la bagarre entre deux gauches ». Et elle ne ferme aucune porte à de futurs rapprochements électoraux.
« Sur le fond, les militants ont apprécié faire campagne avec ceux du Front de gauche, mais Mélenchon est un repoussoir pour beaucoup », assure-t-on dans l'entourage de l'ancienne ministre. « En vrai, il n'y a pas de problème de ligne et le parti n'est pas du tout divisé en deux comme cela avait pu être le cas lors du référendum européen de 2005, explique l'une de ses proches. Il y a juste un niveau maximal d'énervement contre quelques-uns qui dégomment les scores obtenus aux départementales, alors qu'ils ne sont pas mauvais, et ne se vendent même plus mais se donnent carrément à Valls. »
L'expression de ce mécontentement a déjà trouvé une traduction dans le groupe écologiste à l'Assemblée, où des députés proches de l'aile gauche ou de Duflot ont demandé que les postes de direction soient « rééquilibrés ». Une « tentative de putsch organisationnel », a estimé le député du Gard Christophe Cavard, proche d'Emmanuelle Cosse, qui estime que ce désaccord « doit être tranché ». Problème : selon plusieurs sources, ils seraient neuf à soutenir le duo Rugy-Pompilli, contre neuf à vouloir le voir modifier. Autre remise en cause possible, celle de Denis Baupin comme vice-président de l'Assemblée, alors qu'une rotation de poste (avec le député Sergio Coronado) avait été imaginée en début de mandature. L'ambiance « Game of Thrones », décrite avec talent et une autodérision certaine par un militant dans un montage vidéo assez hilarant, n'est pas proche de s'apaiser…
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les gardiens du nouveau monde