Dans l’interminable liste des proches de Nicolas Sarkozy mis en examen par la justice anticorruption, ils sont les n°s 23, 24 et 25. Il y a un avocat, un député et un préfet. Trois responsables de la campagne présidentielle de 2012 de l’ancien chef de l’État ont été mis en examen, vendredi 3 avril, dans le cadre de l’affaire Bygmalion. Ce dossier, parmi l’un des plus embarrassants pour l’ancien président de la République, porte sur un système de fausses factures qui a permis de masquer plus de 17 millions d’euros de dépassement de frais de campagne électorale et, ainsi, de tromper les autorités de contrôle de l’État.
Après une première vague de mises en examen à l’automne dernier, les juges Serge Tournaire, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire ont donc procédé à une nouvelle salve. Directeur de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, Guillaume Lambert a été mis en examen pour « usage de faux », « escroquerie », « recel d'abus de confiance » et « complicité de financement illégal de campagne électorale ». Préfet de Lozère depuis juin 2013, il a été démis de ses fonctions par le ministère de l’intérieur sitôt sa mise en examen annoncée.
Le député UMP Philippe Briand (président de l'association de financement) et l’avocat Me Philippe Blanchetier (trésorier de cette structure) ont également été mis en examen pour les mêmes faits. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire, avec interdiction d'entrer en contact. Tous, à des postes divers, sont suspectés d’avoir joué un rôle dans la dissimulation des coûts réels de la campagne Sarkozy, dont une partie de l’organisation avait été dévolue à la société d’événementiel Bygmalion.
D’après un décompte de Mediapart, vingt-cinq proches de Nicolas Sarkozy sont aujourd’hui dans les filets de la justice pour des soupçons de délits financiers qui décrivent, au fil des dossiers d’instruction, un système politico-financier d’une rare ampleur sous la Ve République.
Outre les trois mises en examen du jour, voici la liste complète : le député et maire Patrick Balkany, sa femme et adjointe Isabelle Balkany, l’avocat Me Arnaud Claude (associé de Nicolas Sarkozy), l’avocat Me Thierry Herzog (avocat personnel de Nicolas Sarkozy), le magistrat Gilbert Azibert, l’ancien conseiller ministériel Thierry Gaubert, l’ancien directeur de cabinet Nicolas Bazire, l’intermédiaire Ziad Takieddine, l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée François Pérol, l’ancien chef des services secrets intérieurs Bernard Squarcini (qui a été condamné dans l’affaire des fadettes), l’ancien n° 2 de la présidence de la République Claude Guéant, le businessman Bernard Tapie, l’ancien ministre Éric Woerth, l’ancienne ministre et actuelle présidente du FMI Christine Lagarde, le sénateur et industriel Serge Dassault, l’ancien conseiller élyséen Jean-François Étienne des Rosaies, l’homme d’affaires Stéphane Courbit, l’ancien président de l’UMP Jean-François Copé, l'ancien directeur général du parti Éric Césari, l'ancienne comptable du parti Fabienne Liadzé, l’ex-trésorière du parti Catherine Vautrin, l'ex-directeur de la communication du parti Pierre Chassat…
Il faut également ajouter à cette liste les noms du conseiller Patrick Buisson, mis en cause dans l’affaire des sondages de l’Élysée mais pas mis en examen pour le moment, et l’ancien conseiller diplomatique Boris Boillon, qui avait été arrêté avec plus de 350 000 euros en liquide gare du Nord.
Un peu à la manière des toiles d’Arcimboldo, tous ces noms en dessinent un autre, celui de Nicolas Sarkozy. Mais hormis une mise en examen pour « corruption » et « trafic d’influence » qui le menace directement dans l’affaire Bismuth/Azibert, l’ancien président de la République réussit avec une certaine maestria à se sortir du bourbier judiciaire, affaire après affaire.
À ce stade de l'instruction, dans le dossier Bygmalion, le double système de fausses factures ne fait plus aucun doute. Pour éviter au candidat d’exploser le plafond des dépenses légales, environ 17 millions d’euros de frais de meeting dus à Bygmalion ont été dissimulés par son équipe et pris en charge illégalement par l’UMP, sous couvert de conventions fictives.
Ne lui en déplaise, on voit de plus en plus mal comment Nicolas Sarkozy va pouvoir s’extraire de cette nasse. Les juges n’ont pas fini, il est vrai, de reconstituer le circuit qu’empruntaient les informations d’ordre financier : jusqu’où remontaient-elles ? Qui savait à l’Élysée ? Les lieutenants de Nicolas Sarkozy ont-ils pu organiser un sas étanche pour protéger le « patron » ? « Avec Nicolas Sarkozy, (…) on ne connaissait pas la société Pygmalion », aime à répéter, sans rire, son ami Brice Hortefeux, faisant mine de se tromper d’une lettre.
Mais aux yeux de la loi, quoi qu’il arrive, un candidat est toujours responsable à titre personnel de la régularité de ses dépenses – de même qu’il emprunte des millions d’euros à titre personnel, qu’il encaisse une avance de l’État à titre personnel, etc.
Ainsi, quand l’équipe a remis le compte de campagne aux autorités de contrôle en juillet 2012, c’est Nicolas Sarkozy en personne qui a signé le document, en compagnie de Philippe Briand, en apposant ces quelques mots : « Vu et certifié exact le compte et ses annexes. »
Que son implication soit démontrée ou non dans le système de sous-facturation de ses meetings, il y a donc une infraction « mineure » à laquelle Nicolas Sarkozy aura du mal à échapper : celle de « financement illégal de campagne électorale », prévue par l’article 113-1 du code électoral. Rarement actionné par la justice pénale, ce « petit » article punit d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende tout candidat ayant « dépassé le plafond des dépenses électorales » ou déclaré des « éléments comptables sciemment minorés ».
Traditionnellement, les magistrats n’en abusent pas. Parce qu’un candidat qui voit son compte retoqué par le juge administratif (à l’issue de législatives, de cantonales, etc.) est déjà plombé par le non-remboursement de ses frais de campagne, voire par l’annulation de l’élection qui en découle. Mais tout poussiéreux qu’il soit, cet article existe bel et bien. Et il apparaît bel et bien dans les chefs de mise en examen retenus vendredi par les juges à l’encontre du trésorier et du directeur de campagne, soupçonnés de « complicité de financement illégal ». S’il y a un complice, c’est qu’il y a un auteur principal. Et ça n’est pas Carla Bruni.
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