La justice s'intéresse à Henri Proglio. Selon des informations recueillies par Mediapart, le domicile de l'ancien patron de Veolia et d'EDF, qui doit être investi le mois prochain président non exécutif de Thales(1), a été perquisitionné à la mi-mars par les policiers de l'Office central anticorruption de Nanterre (OCLCIFF), dans le cadre de l'affaire Qatar-Veolia. Les enquêteurs ont également mené une perquisition visant l'homme d'affaires Yazid Sabed, ami de Proglio. Ils ont enfin visité dans la foulée le siège parisien de Veolia Environnement.
Les policiers ont agi dans le cadre de l'enquête préliminaire pour « corruption privée » ouverte en octobre 2014 par le parquet de Paris, puis transférée au parquet national financier (PNF), à la suite d'un dossier paru dans Libération. Le quotidien avait révélé qu'en marge de son entrée au capital de Veolia en juin 2010, le fonds souverain Qatari Diar avait versé de gigantesques commissions occultes pour un total de 182 millions d'euros.
L’argent du Qatar a atterri dans trois sociétés-écrans à Chypre (37 millions d’euros), en Malaisie (100 millions) et à Singapour (45 millions). Ce versement singapourien constitue très probablement une rétrocommission, puisque la société appartient à un salarié de Ghanim bin Saad al-Saad, qui était à l’époque directeur général de Qatari Diar. Les propriétaires des coquilles malaisienne et chypriote sont pour leur part dissimulés derrière des prête-noms.
La justice cherche à identifier les bénéficiaires des fonds, et dans le même temps à faire la lumière sur ce que savaient les acteurs du dossier. Une enquête délicate, car le montage offshore mis en place par les Qataris a servi à la fois à effectuer l'opération légale (acheter 5 % de Veolia) et à verser les commissions. Dans ces conditions, il est difficile de savoir qui était au courant du volet occulte.
Aucune charge n'est retenue à ce stade contre Henri Proglio. À l'époque des faits, il était à la fois président du conseil d'administration de Veolia et PDG d'EDF. Il avait négocié l'entrée de Qatari Diar au capital de Veolia, en octroyant un administrateur au fonds souverain de l'émirat gazier, et en concluant avec lui un partenariat industriel. Mais il dit n'avoir jamais été informé du versement de commissions. « Henri Proglio est parfaitement serein. Il est prêt à s’expliquer à tout moment, mais il n'a rien à dire à ce sujet parce qu'il ne sait rien », précisait vendredi matin l'un de ses proches à Mediapart. Proglio a poursuivi Libération en diffamation (voir notre Boîte noire).
Les enquêteurs s'interrogent également sur les liens éventuels entre Proglio et l'homme d'affaires Maxime Laurent. Ce financier, qui a déjà été perquisitionné en décembre, était au cœur du montage de 2010 qui a permis de verser les commissions – dont il affirme n'avoir rien su. Or, Maxime Laurent a financé, deux ans plus tard, un spectacle de l'humoriste Rachida Khalil, l'épouse de Henri Proglio, à hauteur de 55 000 euros. Les deux hommes indiquent qu'il ne se connaissent pas, et qu'il n'y a aucun lien entre l'opération Qatar-Veolia et la subvention accordée à Mme Proglio.
« Aucun renvoi d’ascenseur n’est en cause. Nous n’avons pas d’activités avec EDF et Veolia », a précisé Maxime Laurent. Une enquête préliminaire distincte, menée par le parquet de Paris, est en cours au sujet du financement de Rachida Khalil par EDF et certains de ses prestataires (voir ici et là).
Quant à Yazid Sabeg, lui aussi visé par une perquisition, il est le patron et l'actionnaire de référence de C&S, une société informatique active notamment dans le domaine de la défense. Il est à la fois très proche de Proglio et des Qataris. C'est d'ailleurs lui qui a introduit, en 2009, les représentants de Qatari Diar auprès du président de Veolia en vue de leur entrée au capital. « De façon amicale, sans objectif particulier, mandat ou autre contrat », a-t-il précisé. Contacté par Mediapart au sujet de la perquisition, Sabeg n'a pas donné suite. Tandis que la direction de Veolia, dont le siège parisien a été visité par les policiers, s'est refusée à tout commentaire. Antoine Frérot, actuel patron de Veolia (il était le directeur général de Proglio à l'époque de l'entrée au capital du Qatar), a lui aussi indiqué n'avoir eu aucune connaissance des commissions occultes.
(1) À l'époque de l'entrée du Qatar au capital de Veolia, Proglio cumulait la présidence du géant de l'eau et des déchets (jusqu’en décembre 2010) et le poste de PDG d’EDF. François Hollande l’a éjecté d’EDF le 15 octobre dernier, pour le remplacer par le patron du groupe d'électronique de défense Thales, Jean-Bernard Lévy. Grâce à son ami Serge Dassault, actionnaire de référence de Thales aux côtés de l’État, Henri Proglio a obtenu dans la foulée la présidence non exécutive de l'électronicien. Sa nomination doit être confirmée par l'assemblée générale de Thales le 13 mai prochain.
BOITE NOIREJ'ai révélé l'affaire Qatar-Veolia lorsque je travaillais à Libération. Henri Proglio m'a poursuivi en diffamation, ainsi que Libération, pour cet article, estimant qu'il s'agissait d'une « boule puante » destinée à torpiller sa reconduction à la tête d'EDF. L'affaire n'a pas encore été jugée.
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