La politique reste un privilège d’hommes. Jeudi 2 avril, seules huit femmes ont été élues présidentes d’un conseil départemental. Si l'on y ajoute la maire de Paris Anne Hidalgo et Josette Manin en Martinique, qui n’étaient pas concernées par le scrutin du jour, moins de 10 % des 101 départements sont dirigés par des femmes. C’est un petit peu plus que lors du mandat précédent – elles étaient cinq –, alors que, pour la première fois, les assemblées sont strictement paritaires, conséquence des binômes imposés par la dernière loi électorale.
En métropole, seuls les Bouches-du-Rhône, la Creuse, le Doubs, le Finistère, la Lozère et les Pyrénées-Orientales ont désormais une présidente. Le bilan est particulièrement cruel pour l’UMP et ses alliés, qui ont ravi la majorité des départements à la gauche et qui ne seront représentés que par trois femmes en métropole. Avec La Réunion, et l’UDI Nassimah Dindar, la droite ne compte que quatre femmes (seulement deux pour l’UMP) parmi les 10 qui sont à la tête d’un exécutif local.
L’UMP Martine Vassal, figure du renouvellement dans les Bouches-du-Rhône après le règne de Jean-Noël Guérini, fait figure d’exception. Mais qu’on se rassure : elle est « couillue », dixit le sénateur UMP Bruno Gilles, cité dans Libération. « Le camp Guérini venait d’obtenir trois sénateurs. On était la tête dans le sac et elle a voulu repartir immédiatement dans la bataille. Elle a été la plus couillue dès le départ ! », a-t-il expliqué.
La gauche a quant à elle manqué l’élection de Geneviève Lagarde, désignée par les militants et investie par le PS dans le Lot, mais qui a largement perdu face au dissident socialiste Serge Rigal, président du conseil général sortant. Et que dire de Jean-Michel Baylet ? C’est seulement quand il a été sûr de sa défaite qu’il a choisi une femme parmi ses partisans pour prétendre à la présidence du Tarn-et-Garonne. Elle a été battue par un homme, Christian Astruc, ex-PRG en rupture de ban, élu avec les voix de la droite.
Concrètement, les femmes ne sont représentées que lorsque la loi oblige les partis à les présenter. Le « symptôme d’une véritable schizophrénie démocratique », selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. « Cette surreprésentation masculine anachronique au sommet du pouvoir est un modèle bien ancré au sein de toutes les collectivités, puisque 84 % des maires, 92 % des président.e.s des intercommunalités et 95 % des président.e.s des régions sont des hommes », dénonce l’HCEFH dans un communiqué.
L’instance salue cependant le « grand bond en avant » qu’a constitué l’élection de binômes paritaires. Jusque-là, 12 départements comptaient encore moins de 10 % de femmes conseillères. En 2011 encore, trois conseils généraux ne comptaient aucune femme élue : Haute-Corse, Tarn-et-Garonne et Deux-Sèvres. Les vice-présidences devront également être strictement paritaires.
Comme à chaque élection, les partis politiques concernés se défendent en jurant que le vivier de femmes éligibles est trop faible et qu’il faudra attendre les prochains scrutins, où davantage d’élues se seront impliquées dans les exécutifs départementaux, pour voir la parité progresser. C’est par exemple l’argument du monsieur Élections du PS, Christophe Borgel, élu député sur une circonscription qui aurait dû revenir à une femme. « L’argument du vivier ne tient pas, conteste Réjane Sénac, présidente du Haut Conseil. Des vice-présidentes, des maires adjointes, des militantes qui ont de la bouteille, qui détiennent le capital politique, les réseaux, il y en a. Mais les hommes choisissent de préférence des candidates novices. Pour eux, la prime au sortant, pour elles, une prime… au renouvellement. »
Par ailleurs, un seul président de conseil départemental est ouvertement homosexuel : le socialiste Mathieu Klein, 39 ans, élu en Meurthe-et-Moselle. Il côtoiera à l'Assemblée des départements de France (ADF) le nouveau patron UMP des Vosges, François Vannson, qui s'était illustré pendant les débats parlementaires autour du pacte civil de solidarité (Pacs), en 1999, en lâchant dans l'hémicycle : « Pourquoi pas avec des animaux de compagnie ? »
La loi sur le non-cumul des mandats, qui interdit aux parlementaires d’exercer une fonction exécutive locale, à compter de 2017, a beau avoir été adoptée en janvier 2014, elle n’a été que très peu respectée. Sur les 101 présidents de départements, 37 sont déjà élus à l’Assemblée nationale ou au Sénat. La droite ayant remporté une grande majorité de départements, c’est aussi elle qui compte le plus de cumulards dans ses rangs (13 députés, 14 sénateurs et 1 eurodéputé, l’UMP Alain Cadec, 61 ans, nouveau président du conseil départemental des Côtes-d’Armor).
La gauche n’est pas en reste, puisque 27 % de ses présidents de conseils départementaux sont également députés (5) ou sénateurs (4). Parmi eux, figure l’une des rares femmes élues ce jeudi 2 avril : la sénatrice PS des Pyrénées-Orientales, Hermeline Malherbe, 46 ans, entrée au palais du Luxembourg en août 2014. Les autres cumulards de gauche sont tous étiquetés parti socialiste, à l’exception du sénateur PCF du Val-de-Marne, Christian Favier, 64 ans, patron du dernier département communiste depuis 2001. Aux élections départementales, comme pour les autres scrutins, le cumul dans le temps ne semble gêner personne.
Seule bonne nouvelle : le rajeunissement des présidents des conseils départementaux, en partie dû au redécoupage des cantons et au nouveau mode de scrutin actés par la loi du 17 mai 2013. La moyenne d’âge est désormais de 58 ans, soit quatre ans de moins que les sortants (62 ans), même si la moitié des chefs de file dans les départements a encore plus de 60 ans. Les dix femmes élues sont en moyenne plus jeunes (53,4 ans) que leurs 91 collègues masculins (58,5 ans).
Pour autant, la doyenne des présidents de départements est une femme (la socialiste Josette Borel-Lincertin, 74 ans, présidente de la Guadeloupe), tandis que le plus jeune élu du 2 avril est un homme (l’UMP Sébastien Lecornu, 28 ans, nouveau patron de l’Eure, maire de Vernon et proche de Bruno Le Maire).
Les départements faisaient jusque-là office de véritable gérontocratie : jusqu’au 29 mars dernier, seuls 10 conseillers généraux sur 4 030 (0,25 %) avaient moins de 30 ans et 106 moins de 40 ans (2,6 %). En revanche, 6 sur 10 avaient plus de soixante ans… et 1 conseiller général sur 100 plus de 80 ans !
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