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Philippe Courroye sur le gril face au CSM

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C'est une longue silhouette, encadrée par deux robes noires. Ses avocats. À 54 ans, l'ex-procureur de Nanterre Philippe Courroye comparaît, jeudi et vendredi, devant la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), siégeant dans la grand'chambre de la Cour de cassation. Le voilà donc de l'autre côté de la barre. Deux jours d'audience où il n'est question que d'éventuels  « manquements à la déontologie des magistrats » constitutifs de « fautes disciplinaires » de sa part, lors du démarrage de l'affaire Bettencourt, lorsqu'il était procureur de Nanterre. Bravache, Philippe Courroye n'a fait appeler aucun témoin à sa rescousse. « J'assume », lâche-t-il. Nul syndicat ne le défend. Seule une de ses anciens collègues suit les débats dans la salle, où l'on compte une demi-douzaine de journalistes. Il n'est assisté que de ses avocats, Jean-Yves Dupeux et Francis Teitgen. Le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, préside les débats avec tact, et parfois ce qui ressemble à un zeste de gourmandise.

Seul, Philippe Courroye l'est aussi face à de nombreuses dépositions qui ne sont pas à son avantage, loin de là. Celles des policiers de l'IGS (Inspection générale des services), qui ont été chargés par ses soins de traquer les fuites médiatiques dans l'affaire Bettencourt, et se sont dits un brin réticents. Celles de son supérieur hiérarchique (le procureur général Philippe Ingall-Montanier) et de son interlocuteur désigné en matière économique et financière (Jean-Pierre Zanoto) à la cour d'appel de Versailles, qui se sont déclarés mal informés et court-circuités par ce procureur. Celles de ses collègues aussi, recueillies dans le fameux rapport de l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) consacré au tribunal de Nanterre, et qui est versé à la procédure disciplinaire du CSM. Mais selon Philippe Courroye, ce sont eux qui se trompent. Toujours.

Philippe Courroye et Nicolas SarkozyPhilippe Courroye et Nicolas Sarkozy

L'ancien procureur a déjà été muté « dans l'intérêt du service » comme simple avocat général à la cour d'appel de Paris, en 2012, et il est depuis lors chargé de requérir aux assises dans les tribunaux de la Petite Couronne. Ses amitiés avec les puissants, les Nicolas Sarkozy, Martin Bouygues voire Jean-Charles Naouri, dont il n'est pas question une seule fois pendant les deux jours de débats, semblent bien loin aujourd'hui.

Il n'est pas question non plus de l'avis négatif qu'avait rendu le CSM en 2007 quant au projet de nomination de Philippe Courroye comme procureur de Nanterre, dans le fief sarkozyste des Hauts-de-Seine, bombardé à ce poste devant une cohorte de candidats plus expérimentés. Encore un non-dit. En tout cas, l'homme a gardé sa superbe, et son aplomb.

Philippe Courroye exprime d'emblée son « incompréhension » de se retrouver devant la formation disciplinaire du CSM. Il se vit en cobaye, les poursuites ayant été initiées par Le Monde, avant de franchir – pour la première fois depuis la réforme du CSM – le filtre de la « commission d'admission des requêtes ».

« Je suis un pionnier, à mon corps défendant. On vous demande d'ouvrir une boîte de Pandore, en disant qu'une nullité de procédure prononcée en 2011 montrerait peut-être aujourd'hui une faute disciplinaire commise en 2010 », expose-t-il.

L'enquête préliminaire pour « violation du secret professionnel » qu'il avait ouverte en toute hâte, demandant l'examen des fadettes (factures détaillées) de deux journalistes, a en effet été annulée depuis avec perte et fracas par la chambre de l'instruction de Bordeaux puis la Cour de cassation. « Mais comment pourrait-on me reprocher d'avoir eu le souci de la rapidité ? J'avoue que c'est un défaut que j'ai », plastronne-t-il. « D'une manière générale, je gère les affaires avec une séquence cadencée. »

Pour le rapporteur du CSM, Christian Raysséguier, comme pour le directeur des services judiciaires, Jean-François Beynel, il est en effet surprenant que le procureur ait foncé tête baissée sur les téléphones des journalistes pour une simple affaire de violation du secret professionnel. Habituellement, dans ce type d'affaires, on se contente de faire interroger par l'IGS les policiers présents à la perquisition. Mais là, il s'agissait de coincer la juge Isabelle Prévost-Desprez, avec laquelle le procureur Courroye était en conflit depuis 2009.

La chronologie est éclairante. Perquisition chez Liliane Bettencourt menée par la juge Isabelle Prévost-Desprez et premier article de presse en direct ou presque, le 1er septembre 2010. Plainte immédiate par fax de Georges Kiejman, l'avocat de Liliane Bettencourt. Et dès le lendemain, réquisitions du procureur de Nanterre à l'IGS, pour examiner illico les fadettes de deux journalistes, au mépris de la jurisprudence européenne et des textes de loi sur la protection des sources des journalistes.

« C'était une jurisprudence mouvante et contradictoire », avance Philippe Courroye, provoquant aussitôt des haussements de sourcils chez les juristes du CSM. Avant de concéder qu'il a peut-être eu tort sur le plan juridique, et qu'il ferait autrement aujourd'hui. Mais attention, insiste-t-il, les fadettes sont de simples « listings », pas des écoutes. Et il le jure, il n'a eu « aucune volonté délibérée de porter atteinte à la vie privée des journalistes ou au secret des sources ».

Les membres du CSM et le directeur des services judiciaires ne sont pas de cet avis. Ils remarquent que même un étudiant en droit a entendu parler de la « jurisprudence constante, ancienne et abondante de la CEDH » (Cour européenne des droits de l'homme) depuis les années 1970, ainsi que des condamnations régulières de la France par cette même CEDH, puis des débats intenses, pendant deux ans, sur la loi du 4 janvier 2010 renforçant la protection des sources des journalistes. En outre, dès les jours suivants, le procureur de Nanterre a reçu, comme les autres, une circulaire détaillée du ministère sur l'application de cette loi Dati.

Philippe Courroye n'en démord pas, les choses n'étaient pas aussi claires en 2010. Il insiste d'ailleurs sur le fait que sa mise en examen dans l'affaire des fadettes a été annulée depuis pour raisons de procédure. Il se plaint autant de la presse que des poursuites disciplinaires. « Le droit à l'erreur existe, sauf peut-être pour monsieur Courroye », lance-t-il, avant de dénoncer la « calomnie par voie de presse et par voie administrative », le rapport d'inspection à Nanterre l'ayant éreinté sans même qu'il ait été interrogé.

Provocateur, le magistrat lance même une proposition étrange, pour prouver qu'il informait souvent et loyalement son procureur général au téléphone : « Si vous souhaitez faire mes factures détaillées, je vous donne mon portable, et je vous promets que je ne porterai pas plainte », ose-t-il.

Mais il reste une question qui ne trouve pas de réponse satisfaisante : où était l'urgence, dans ce grand parquet où arrivaient 125 000 plaintes par an, de lancer de telles investigations – très risquées procéduralement – dans une simple affaire de violation du secret professionnel ? Les exceptions à la loi sur la protection des sources des journalistes concernent, en effet, pour l'essentiel les faits de terrorisme et de criminalité organisée. Mais pas une perquisition chez une octogénaire, fût-elle la femme la plus riche de France.

Philippe CourroyePhilippe Courroye

Philippe Courroye se défend vivement d'avoir été un étouffeur d'affaires, ou encore le « fossoyeur du 92 » décrit ici ou là. L'enquête préliminaire Bettencourt, sa « symphonie inachevée », c'étaient 7 000 pages de PV, et 60 policiers de la brigade financière mobilisés, raconte-t-il.

Et d'ailleurs, avant cette affaire de fadettes qui a provoqué le dessaisissement de Nanterre au profit de Bordeaux, il allait justement prendre des initiatives, dit-il. Renvoyer le majordome de Liliane Bettencourt en correctionnelle sur citation directe, par exemple, et peut-être même ouvrir une information judiciaire pour le reste des faits. On ne saura jamais.

Le parcours de Philippe Courroye, qui a toujours bénéficié d'une notation excellente, au point d'être décrit comme l'un « des meilleurs magistrats de sa génération », et a occupé de hautes fonctions à la tête d'un parquet sensible, joue contre lui, devant le CSM.

On lui reproche notamment d'avoir appelé au téléphone, alors qu'il allait être mis en examen pour l'affaire des fadettes, en septembre 2011, le chef de l'IGS pour lui demander si deux de ses subordonnés, qui étaient alors placés sous le statut de témoins assistés, pouvaient déposer une requête en annulation de la procédure.

Il s'agit là d'un « abandon d'indépendance », estime le directeur des services judiciaires : « Philippe Courroye s'est placé dans la situation d'être redevable envers ces policiers. Le but est d'obtenir une annulation de la procédure pour éviter sa mise en examen. C'est un service qu'il demande. C'est un manquement aux obligations déontologiques des magistrats. » Philippe Courroye se tortille sur son fauteuil.

Moins sévère que le rapporteur Christian Raysséguier, le directeur des services judiciaires Jean-François Beynel ne retient pas comme faute disciplinaire l'épisode des SMS (Philippe Courroye s'était interrogé sur la possibilité d'obtenir le contenu des SMS échangés entre un journaliste et la juge Prévost-Desprez, ce qui aurait constitué une violation du secret des correspondances), ni celui des articles de presse dans lesquels l'alors procureur de Nanterre s'est défendu.

Il se prononce toutefois avec gravité pour une sanction disciplinaire contre Philippe Courroye, en raison de l'affaire des fadettes et de la demande d'intervention pour une requête en annulation. Une sanction importante qui, selon lui, doit être « équivalente au retrait des fonctions de procureur de la République ».

Les avocats de Philippe Courroye, Jean-Yves Dupeux et Francis Teitgen, font le portrait d'un excellent magistrat, victime d'une chasse aux sorcières et « abandonné de tous ». Un homme « à terre ». Ils soulignent aussi qu'Isabelle Prévost-Desprez a été renvoyée en correctionnelle pour « violation du secret professionnel », et qu'elle n'est pas poursuivie devant le CSM.

Finalement, ce vendredi en fin de journée, le CSM met sa décision en délibéré. Il rendra le 17 décembre prochain un « avis » à la ministre de la Justice Christiane Taubira, qui décidera ou non de sanctionner Philippe Courroye.

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