Manuel Valls, matin, midi et soir. La lourde défaite des départementales (28 conseils départementaux perdus pour la gauche) n’y a rien changé : Manuel Valls est là, plus que jamais. Il y a un an pile, son prédécesseur Jean-Marc Ayrault était démissionné après la raclée des municipales. Cette fois, la ligne politique reste inflexible. Et lui ne partira pas de Matignon. « Je reste et j’assume pleinement mes responsabilités », a-t-il dit ce mardi 31 mars lors de la séance des questions au gouvernement, alors que le chef des députés UMP Christian Jacob demandait son « départ ».
Depuis trois semaines, on ne voit que lui. Le premier ministre a nationalisé et dramatisé la campagne des départementales en disant sa « peur » du Front national – pari à moitié réussi, car le FN s’implante même s’il n’a gagné que 31 cantons. Au premier et au second tour, il a pris la parole à vingt heures pile pour commenter les événements. Il a annoncé lui-même, avant même l’élection des conseillers départementaux, que « le cap » serait « maintenu ». Mardi matin, invité de BFM TV, il a redit qu’il ne démissionnerait pas. « Les Français me demandent de rester en poste pour redresser l'emploi et le pays », assure-t-il avec aplomb. Le discours est toujours le même : unité, rassemblement, fin des divisions.
Mais ces mots cachent mal le désarroi extrême d’une majorité déprimée, qui a perdu à peu près toutes ses illusions et ne peut que constater la débâcle. Dans les circonscriptions des députés PS, nombre de cantons ont basculé à droite ou à l'extrême droite. Ceux dont les circonscriptions sont ancrées à droite ou qui basculent en fonction des alternances ne se font plus d'illusions pour 2017, et songent déjà à leur reconversion.
Mardi matin, pour parler devant le groupe socialiste, Manuel Valls a donc adopté le ton calme dont on use pour parler aux grands blessés. Il devait partir à Berlin avec François Hollande pour le conseil des ministres franco-allemand, il a décommandé pour entendre les plaintes. « Je suis avec vous ici, c’est normal. Le président est en Allemagne et ma place est ici. » « La gauche a perdu ces élections », admet-il, lui qui avait fumé un cigare au soir du premier tour, content d’une prétendue contre-performance du Front national. Il a invoqué la division à gauche, et a lancé: « Il nous faut recréer une espérance », « partir à la reconquête ». Avec, pour l’heure, des têtes de chapitre plus que des mesures concrètes : « citoyenneté et politique de la ville », « ruralité », « école », « République et laïcité ». Ni plus ni moins que les quelques mesures annoncées après les attentats de Paris.
Un peu plus tôt, le président du groupe PS, Bruno Le Roux, avait débuté la réunion en annonçant, dans l’indifférence générale, des « séminaires » de la majorité, alliant les écologistes et le Front de gauche s’ils le souhaitent, pour « écrire la feuille de route des deux prochaines années ». Aux journalistes, le même Le Roux annoncera quelques minutes plus tard, tout fier, « 25 fiches actions » pour expliquer « les dispositifs qui depuis trois ans ont eu des impacts sur la vie des Français ». Comme si le sujet central était le fameux « manque de pédagogie », souvent invoqué par les partisans du chef de l’État, et pas un problème politique.
Plusieurs députés dans la ligne, mais effarés par le séisme des départementales, ont aussi pris la parole lors de la réunion des élus PS. « Les élus sont des fantômes », a dit Gilles Savary, ancien soutien de François Hollande à la primaire socialiste. Le « frondeur » Michel Pouzol, élu de l’Essonne, a rappelé à Manuel Valls, lui aussi élu dans ce département francilien, que l’union PS-EELV-PCF n’a pas empêché la bascule à droite. Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, a plaidé pour « accélérer en termes d’emplois, d’éducation, d’investissements, et ne pas se contenter que la conjoncture nous serve ». Une pierre dans le jardin du président de la République, persuadé qu’une croissance à 1,5 % à la fin de l’année recréera les emplois perdus et lui permettra d’être à nouveau candidat, et pourquoi pas élu, en 2017.
Ce mardi matin, beaucoup de socialistes avaient dans la tête les propos au lance-flammes du président battu du conseil général du Jura, le socialiste Christophe Parny, un ancien proche de Jean-Luc Mélenchon, qui a annoncé quitter la politique et le PS : « La politique de Manuel Valls est un fiasco. »
L’exécutif est désormais confronté à un problème politique complexe. Avant le congrès socialiste de juin, les régionales de décembre, et la présidentielle de 2017, il doit tenter de retisser un semblant de majorité avec les "frondeurs", contre lesquels l’exécutif a utilisé le 49-3 en février pour faire passer la loi Macron, et avec les écologistes. Et ce, alors même qu’il a déjà fixé le cadre en annonçant pour les prochains mois de nouvelles réformes du marché du travail et une deuxième loi Macron cet été portant sur les investissements, les PME et le numérique.
Une première réunion, lundi, entre le PS et les écologistes, a débouché sur des groupes de travail, mais pour l’heure, l’entrée au gouvernement n’a pas été évoquée. « La place des écologistes est dans la majorité et au gouvernement », a redit Manuel Valls, mardi à l’Assemblée, qui avait évoqué plus tôt un hypothétique « pacte de majorité » avec EELV. « Le rassemblement ça se construit, avec du dialogue mais aussi avec des actes. Il faut un projet pour répondre aux angoisses des Français », rétorque Emmanuelle Cosse. « Le logiciel de Manuel Valls est dépassé », assène de son côté dans Le Mondel’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot, opposée à tout retour des écologistes dans un gouvernement Valls.
Les "frondeurs", eux, réclament des inflexions de la politique menée et un « contrat de majorité ». Ils savent déjà qu’ils risquent d’être déçus. « Le gouvernement va bouger sur des points mineurs mais sans changer de politique, déplore Laurent Baumel, un des animateurs de la contestation interne au PS. Il entend rester dans la ligne qui plaît à Angela Merkel, à la Commission européenne, aux économistes libéraux, à Pierre Gattaz (le patron du Medef, ndlr) et à Franz-Olivier Giesbert (l’ancien patron du Point). »
Mardi dans la soirée, les proches de Martine Aubry devaient se retrouver à l’Assemblée nationale pour analyser le résultat des départementales, et discuter de l’opportunité de participer à une motion alternative à celle du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, lors du congrès du PS qui se tiendra en juin – le dépôt des motions est prévu le 11 avril. Selon des proches, la maire de Lille pourrait ne pas sauter le pas pour « ne pas ajouter de la division à la division » dans le chaos socialiste, et laisser ses proches choisir leur camp.
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