Un nouveau pilier de l'équipe Dassault vient d’être rattrapé par la justice. Selon des informations recueillies par Mediapart, qui nous ont été confirmées de source judiciaire, Machiré Gassama, directeur de la jeunesse et des sports à la mairie de Corbeil-Essonnes, a été interrogé pendant 48 heures par les policiers de l’office central anticorruption de Nanterre (OCLCIFF). À l’issue de sa garde à vue, il a été déféré le 19 mars devant les juges d’instruction parisiens Serge Tournaire et Guillaume Daïeff, en charge de l’enquête sur les achats de voix présumés à Corbeil-Essonnes. Les magistrats ont mis Gassama en examen pour « complicité d’achats de votes » et « recel » de ce délit ; « complicité de financement illicite de campagne électorale », « recel » et « blanchiment » de ce délit ; et enfin pour « blanchiment de fraude fiscale ».
Avionneur, sénateur UMP et propriétaire du Figaro, Serge Dassault est soupçonné par les magistrats d’avoir acheté des voix pour faire élire son salarié Jean-Pierre Bechter à la mairie de Corbeil en 2009 puis en 2010, après que le Conseil d’État a invalidé son élection en 2008 pour « dons d’argent » (1). Machiré Gassama est le huitième mis en examen dans ce dossier, aux côtés, notamment, de Dassault et Bechter. « Ni mon client ni moi ne souhaitons faire de commentaires », nous a répondu vendredi matin son avocate, Me Violaine Papi.
Issu de la cité des Tarterêts et défavorablement connu de la police et de la justice, Machiré Gassama, 37 ans, est un proche de Dassault et surtout de Bechter. Le maire l’a embauché en 2010 comme directeur de la jeunesse (un poste très bien payé et sans rapport avec ses diplômes). Un habitant de Corbeil, Khalid T., l’a accusé devant les policiers, puis dans un entretien à Mediapart, d’avoir été l’un des membres du « système » présumé lors de l’élection de décembre 2010, aux côtés de son ami Younès Bounouara, lui aussi mis en examen pour « complicité d’achats de votes ». Khalid T. affirme avoir reçu 10 000 euros de Gassama et 10 000 euros de Bounouara en récompense de son travail lors de ce scrutin. Lorsque Bounouara a touché 2 millions d’euros de Serge Dassault au Liban à l’été 2011, il a convié Gassama à venir s’amuser avec lui à Beyrouth, lors d’un de ses voyages destinés à retirer l’argent en liquide.
Les deux hommes ont démenti avoir acheté des voix. « Il n’est pas concerné par cette affaire. D’ailleurs, il n’était pas employé par la ville lors de l’élection de 2010 », nous avait déclaré l'avocate de Machiré Gassama, Me Papi, en mai 2014. Younès Bounouara affirme de son côté qu’il a milité pour faire élire Dassault, mais en toute légalité. Il assure que le don de 2 millions de l’avionneur était destiné au financement d’une usine d’eau minérale en Algérie, en récompense de ses « bons et loyaux services auprès de lui pendant près de vingt ans ».
On retrouve les deux amis d’enfance (ils ont grandi dans la même tour des Tarterêts) dans l’affaire de la tentative d’homicide qui a failli coûter la vie à un opposant à Dassault. Le 19 février 2013, Bounouara blessait gravement par balles Fatah Hou, qui avait coréalisé trois mois plus tôt une vidéo pirate très embarrassante pour l'ancien maire, dans laquelle Dassault, interrogé sur l’argent des élections, reconnaissait avoir « réglé » Bounouara et expliquait qu’il ne pouvait plus verser de fonds depuis le Liban car il était « surveillé par la police ».
Le soir de la fusillade, alors qu’il s’apprêtait à fuir en Algérie depuis Genève, Bounouara a appelé Gassama. Lequel s’est fait un plaisir, comme l’a révélé Mediapart, de conseiller son copain en cavale. « Ils n’auront pas le temps » de lancer une procédure d’extradition dans la journée, a expliqué à Bounouara le directeur de la jeunesse de Corbeil, avant de lui conseiller de couper ses téléphones « pour être tranquille ». Bounouara, qui s’est finalement rendu en novembre 2013, a été placé en détention préventive et mis en examen pour « tentative d’assassinat ».
Machiré Gassama est également visé par une information judiciaire pour « association de malfaiteurs » ouverte en 2014 à Évry, suite à une plainte de Fatah Hou. Sur la foi d’écoutes téléphoniques, le jeune homme accuse Dassault, Bechter et Gassama d’avoir tenté de le faire arrêter arbitrairement au Maroc. Trois semaines avant la fusillade, l’avionneur et le maire de Corbeil avaient invité à déjeuner un diplomate marocain, afin de discuter du cas de trois « emmerdeurs » (dont Fatah Hou) qu’ils accusaient de faire chanter Dassault.
Le soir même, Bechter appelle Gassama pour lui raconter que le diplomate est prêt à les aider. « Quand ils vont arriver au Maroc, ils vont être surpris de l’accueil à la descente de l’avion », lâche-t-il au téléphone, en demandant à Gassama de rédiger « de vraies fiches » sur les « loustics » pour les transmettre à l’ambassade. « Ça, c'est une bonne nouvelle (…), ça nous enlèvera une épine », se réjouit son directeur de la jeunesse. Les deux hommes ont assuré aux policiers que leurs intentions étaient pacifiques : ils auraient seulement demandé aux autorités marocaines d’organiser une « médiation » avec les familles des « emmerdeurs ».
Gassama semble également avoir exporté ses méthodes très particulières à Saintry-sur-Seine, une autre commune de l’Essonne dont il est le deuxième maire adjoint. Le 22 juillet 2014, un autre adjoint, Eloy Gonzalez, a écrit au procureur d’Évry pour le prévenir qu’après avoir alerté le parquet sur des anomalies dans le financement de la campagne électorale de la maire (UDI) de Saintry, Martine Cartau-Oury, il a fait l’objet de menaces proférées par Machiré Gassama. « Machiré a dit à l’un de mes amis qu’il allait s’occuper de moi, que ma famille et moi devrions quitter la ville, et qu’il allait me casser la figure. Il m’a accusé d’être “un judas“ pour avoir demandé les comptes de campagne à la maire », a rapporté Eloy Gonzalez à Mediapart.
Deux mois plus tôt, Gassama avait échappé à une tentative d’homicide : deux individus embusqués lui ont tiré dessus alors qu’il rentrait chez lui en voiture. Vu la configuration des lieux (une impasse étroite), il est surprenant que les tireurs l’aient raté. S’agissait-il d’un simple avertissement ? L’avocate de Gassama a assuré à l’époque que ce n’était « pas un règlement de comptes entre voyous », son client étant « parfaitement inséré dans la société ». Il est en tout cas très inséré dans les affaires Dassault.
(1) L'enquête visait également l'élection de Serge Dassault en 2008, mais les faits liés à ce scrutin ont été jugés prescrits par la chambre de l'instruction le 2 février 2015, suite à un recours déposé par l'avocat de l'avionneur.
BOITE NOIREJusqu'en décembre 2014, Yann Philippin était journaliste à Libération, où il couvrait notamment l'affaire Dassault. Il s'agit de son premier article depuis qu'il a rejoint Mediapart le 16 mars.
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