« Vous voyez qu'on n'est pas dans une forteresse assiégée. » Georges Tron, chef de file de l'UMP-UDI dans l'Essonne, ancien ministre, maire de Draveil depuis vingt ans, s'est assis dans son canapé en cuir aux côtés de son adjointe à l'urbanisme. Sa colistière, Aurélie Gros, lui fait face. Toutes deux dégustent un café dans un gobelet en plastique, lui boit du vin blanc dans un verre à pied qu'il prend le temps de faire tournoyer avant de le siroter par petites gorgées. Son bureau tranche avec le reste de la mairie. Une épaisse moquette a remplacé le carrelage, des bouteilles de spiritueux reposent sur un meuble en bois, une imposante bibliothèque fait office de toile de fond. « On mange des petits gâteaux, ajoute-t-il, on est tranquilles. »
Se peut-il qu'il soit vraiment si serein à la veille d'un second tour où il joue son élection mais surtout à quelques jours de l'examen de son pourvoi en cassation le 1er avril sur les accusations de viol en réunion dont il fait l'objet ? Acculé par ses rivaux socialistes qui ont décidé de faire campagne contre son « comportement moral », l'ancien ministre veut faire savoir qu'il se moque de leurs attaques. Il vient d'ailleurs d'avoir un soutien inattendu jeudi 26 mars au soir, le parquet général de la Cour de cassation se prononçant pour l'annulation du renvoi. Si la juridiction va dans le même sens, une nouvelle chambre de l’instruction aura à examiner le dossier. « Je suis innocent et je vais gagner cette élection », clame-t-il avant de prendre une nouvelle gorgée de vin blanc. On l'aura compris : Georges Tron est de retour.
Le président du conseil général Jérôme Guedj (PS) mène la troupe des adversaires politiques du maire de Draveil. Son message est clair. Sur son dernier tract, on peut lire « voter UMP-UDI, c'est voter pour Georges Tron renvoyé aux assises pour viol à la tête du département ». Mediapart l'a raconté à maintes reprises, les témoignages des plaignantes dans l'ordonnance de non-lieu de Georges Tron sont accablants. Mais, faut-il le rappeler, l'homme de Draveil n'a pas été condamné.
L'Essonne, c'est un peu Dallas. Au sud du canton de Draveil se trouve celui de Corbeil-Essonnes, la ville qui porte la signature de Serge Dassault et de ses présumés achats de voix aux municipales. Il y a aussi Xavier Dugoin (UDI, ancien RPR), président du conseil général de 1988 à 1998, connu pour avoir pillé les caves du conseil général et condamné en 2000 pour abus de confiance, détournement de fonds publics, falsification de documents administratifs et prise illégale d'intérêts à dix-huit mois de prison avec sursis dont trois mois ferme. Réélu à la mairie de Mennecy en 2008, ce dernier s'est présenté dans le canton de Corbeil-Essonnes mais a fini bon dernier avec à peine plus de 10 % des voix. La gauche est partie désunie et s'est fait éliminer dès le premier tour, le FN est arrivé en tête avec 26,63 % des voix, suivi du binôme de Serge Dassault représenté par Jean-Pierre Bechter à près de 24 % des voix.
Dans 11 cantons sur 21, la droite est en tête. Dans deux autres cantons (Dourdan, Athis-Mons), droite et gauche sont au coude à coude mais le réservoir de voix joue en faveur de l'UMP-UDI. Tout va se jouer sur la mobilisation des abstentionnistes et sur le report des voix du FN dont les scores sont au-dessus de 20 %.
Pour être sûr que les électeurs sachent à qui ils ont affaire, le candidat PS Jérôme Guedj a sonné le tocsin d'abord dans Le Parisien en annonçant la venue de cinq ministres, ce mercredi 25 mars, à la gare de Juvisy-sur-Orge qui dessert Draveil. Finalement ils ne seront que deux : Thierry Mandon, ancien député de l'Essonne, secrétaire d'État à la réforme de l'État, et Pascale Boistard, ministre déléguée aux droits des femmes. La patronne des écologistes, Emmanuelle Cosse, a aussi fait le déplacement pour soutenir le binôme EELV-PS.
Il est 7 h 30, une dizaine de politiques tentent de délivrer leurs tracts, à peu près autant de journalistes couvrent l'événement, et au milieu déambulent quelques militants. Il en résulte une foule qui bloque l'entrée du RER pour les travailleurs pressés et les automobilistes qui essaient de manœuvrer dans la rue étroite. Dans ce branle-bas de combat, chacun joue sa partition jusqu'à ce que le chef d'orchestre Guedj parte le premier pour ne pas manquer son train. Thierry Mandon fait son refrain sur « le redressement du pays (...) priorité numéro 1 », la secrétaire aux droits des femmes défend « les enjeux sur les droits des femmes » et Jérôme Guedj invite à « faire barrage à Georges Tron », donc à voter pour lui, candidat à la présidence du département au troisième tour.
Venu également pour distribuer ses tracts, Jean-Marc Pasquet, le candidat EELV dans le canton dénonce les méthodes de Georges Tron pendant la campagne. Lors d'une réunion publique, ce dernier raconte la présence d'un « caïd venu mettre le boxon devant une quarantaine d'enfants. Le gars s'en est pris à notre cameraman, il a menacé de lui mettre un poing dans la gueule, les gamins pleuraient. On a déjà vu ce type aux municipales, ce sont des pratiques d'intimidations bien connues ici ». Les victimes ont porté plainte mais n'ont pas de preuves du lien entre le maire de Draveil et l'agresseur. « Tron a refusé que l'on porte plainte ensemble », précise Jean-Marc Pasquet, « il a répondu que "si Pasquet a un problème avec un individu, c'est son problème". » Georges Tron préfère ne pas commenter.
L'ancien ministre avait prévu une contre-manifestation. Mais au lendemain du crash dans les Alpes, il dit avoir jugé cela inapproprié. « Guedj aurait pu prendre un peu de recul, on aurait pu faire ça le lendemain au moment où Valls lui-même a appelé à faire une trêve », déclare l'élu non sans malice. Ce dernier avait même prévu de distribuer aux ministres le livre de Modiano « pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » en guise de clin d'œil. Il a préféré rester au chaud dans le château de Villiers qui fait office d'hôtel de ville.
À Draveil, les habitants restent majoritairement du côté de leur maire. Ceux qui se sont déplacés aux urnes ont voté à près de 49 % pour son binôme. Quant aux accusations de viol dont il fait l'objet, plusieurs suspectent « un complot politique ». Ces derniers ont davantage en tête l'exclusion du candidat communiste à 48 heures du premier tour, Jean-Pierre Sauvage, le PCF ayant appris sa condamnation en mars 2014 à 2 ans de prison pour des faits de pédophilie.
À la sortie de l'école élémentaire du parc de Villiers située à une cinquantaine de mètres de l'hôtel de ville, les avis divergent sur les accusations portées à l'encontre de Georges Tron. « À Draveil, personne n'y croit », déclare une sexagénaire qui vient chercher son petit-fils, « ce sont des manœuvres politiques ». « Ici Tron il ne faut pas le critiquer, surtout auprès des personnes âgées », explique une jeune femme qui tient une poussette. Un peu plus loin, deux jeunes mamans affirment aussi avoir du mal à y croire mais connaissent bien l'histoire : « J'ai des amies qui travaillent à la mairie, confie l'une d'entre elles, en réunion elles font en sorte d'arriver en avance pour ne pas se retrouver assises à côté de lui. » « Moi, ça ne m'étonne pas », témoigne une jeune femme qui dit travailler à la mairie, tout en émettant des doutes sur le fait que les séances de réflexologie plantaire aient pu aller jusqu'au viol en réunion.
Dans le canton de Jérôme Guedj à Massy, les militants sont à pied d'œuvre. Dans la permanence du PS située au beau milieu du quartier populaire des Grands Ensembles, chaque enveloppe passe entre les mains des militants qui y apposent une étiquette nominative. Jérôme Guedj s'est absenté quelques heures. Il revient en fin de journée pour déposer quelques lettres lui-même, accompagné de la presse. « Rien n'est joué, nous avons obtenu de meilleurs résultats que ce à quoi nous nous attendions », explique le conseiller général sortant. À l'issue du premier tour, il devance son rival de l'UDI de sept points, avec 40 % des voix. Mais l'ancien président du conseil général ne peut se satisfaire des résultats de la gauche dans l'Essonne.
Face à Jérôme Guedj, Pierre Ollier (UDI) est un candidat atypique. Diplômé d'HEC Paris, conseiller en organisation chez Unilever reconverti en comédien professionnel, il est arrivé second avec un peu plus de 6 points de retard sur le frondeur du PS. Le centriste, conseiller municipal adjoint à la culture et attaché parlementaire du sénateur et maire Vincent Delahaye, espère encore une victoire. Candidat malheureux aux cantonales de 2011, Pierre Ollier a amélioré son score aux précédentes cantonales de trois précieux points, mais entre lui et le très médiatique Jérôme Guedj, l'écart s'est creusé.
« Nous n'avons pas du tout la même manière de faire de la politique », déclare Pierre Ollier depuis son bureau du cinquième étage de la mairie. « Jérôme Guedj est toujours en représentation, pointe-t-il, c'est un professionnel de la politique. Moi je me sens libre parce que je fais d'autres choses, déclare celui qui, la veille du scrutin, était sur les planches du théâtre du Bois d'Arcy pour une représentation des Exercices de style de Raymond Queneau. Pour lui, obtenir le siège de conseiller général lui permettrait de « faire le lien entre l'intercommunalité et le département. Quand vous êtes sur Massy, explique-t-il, il vous manque des cartes pour travailler sur un projet, tout prend des plombes parce que vous n'êtes pas de la même couleur politique » que la présidence d'un autre échelon territorial.
Le trublion ne plaît pas à Jérôme Guedj : « Il dit que je suis un professionnel de la politique quand lui est comédien professionnel, tout ça c'est du pipeau, il est conseiller municipal, vice-président de la communauté d'agglomération et assistant parlementaire du sénateur Delahaye. » Deux professionnels de la politique qui s'affrontent en somme, comme en un pur exercice de styles.
BOITE NOIREJe me suis rendu dans l'Essonne mercredi 25 mars. Toutes les personnes citées dans cet article ont été rencontrées sur place.
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