Il va désormais avoir beaucoup de mal à démentir. Les juges d’instruction en charge de l’affaire Balkany viennent de mettre au jour un élément matériel qui confirme l’implication de l’associé de Nicolas Sarkozy, Arnaud Claude, dans des montages offshore que les magistrats estiment au centre d’un vaste système de corruption, de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Les rebondissements judiciaires tiennent parfois à peu de choses. Ici, un numéro de fax a suffi.
Depuis plusieurs semaines et sa mise en examen pour « blanchiment de fraude fiscale », Me Arnaud Claude se défend comme un beau diable de toute responsabilité personnelle dans les opérations occultes du député et maire UMP de Levallois-Perret, Patrick Balkany, et de sa femme Isabelle.
Également mis en examen, les époux Balkany – Patrick vient de perdre son immunité parlementaire – sont soupçonnés par la justice d’avoir perçu illégalement des fonds et de les avoir fait fructifier, à l’abri du regard du fisc, dans de fastueux biens immobiliers au Maroc et dans les Antilles. Les montages en place relèvent de la dentelle frauduleuse : société écran en Suisse, coquille vide dans les îles Vierges britanniques, compte secret à Singapour, fondation au Liechtenstein…
Associé historique de Nicolas Sarkozy dans le cabinet d’avocats Claude & Sarkozy, Me Arnaud Claude est aussi l’avocat de la ville de Levallois-Perret depuis trente ans. Judiciairement, il est mis en cause pour avoir joué un rôle actif dans les dessous de l’achat, en 2010, d’un magnifique ryad à Marrakech, que les juges soupçonnent d'être la propriété de fait des Balkany.
Le 10 février dernier, l’associé de l’ancien chef de l’État martelait ainsi, dans le cabinet du juge anti-corruption Renaud Van Ruymbeke, que les accusations portées contre lui ne sont « confortées par aucun élément matériel ». Se drapant dans l’honneur de sa robe noire, il ajoutait : « Je n’ai eu en 35 ans d’exercice professionnel la moindre mise en cause réglementaire ou déontologique et je n’imagine pas en conséquence qu’on puisse me qualifier de porteur d’enveloppes, n’ayant à aucun moment effectué de tels agissements. »
Imprudent, il affirmait encore : « Je n’ai aucune implication dans les opérations financières en question. » Déjà, le 3 décembre 2014, jour de sa mise en examen, il jurait dans le même cabinet d’instruction n’avoir « aucune information concernant les opérations financières qui ont pu avoir lieu dans cette affaire ».
Les enquêteurs ont depuis découvert qu’un numéro français – le 01 42 67 6X XX – apparaissait sur un document bancaire crucial pour l’enquête. Il s’agit d'un relevé de compte à la Commerzbank de Singapour de la société panaméenne Himola, suspectée d’appartenir à Patrick Balkany par l’intermédiaire d’un faux nez, son ex-directeur de cabinet Jean-Pierre Aubry. Daté du 5 janvier 2010, ce relevé est celui par lequel ont été transmises secrètement à la société écran suisse Gestrust les coordonnées bancaires du vendeur de la villa de Marrakech.
C’est en effet à partir de ce compte non déclaré à Singapour que les Balkany ont pu s’offrir pour 2,5 millions d’euros une splendide villa à Marrakech (évaluée au total par les juges à 5,8 M€), répondant au nom de Dar Guycy. Pour mémoire, « Dar » signifie « maison » en arabe et « Gyucy » résonne comme une superposition des prénoms Gyula et Lucie, les deux petits-enfants de Patrick Balkany.
En quelques secondes, une simple recherche via l’annuaire inversé a permis aux juges de constater que le mystérieux numéro figurant sur les relevés bancaires renvoyait à un fax domicilié au 52, rue Malesherbes, à Paris. Soit l’adresse du cabinet Claude & Sarkozy.
Officiellement, le fax est la propriété d’un certain Nicolas Arnaud. Mais entendu par les juges début mars, ce dernier s’est défendu de toute responsabilité : « Je n’ai pas envoyé ce fax et je ne connais pas la société Gestrust [société écran basée en Suisse]. » Avant de vendre la mèche : « Ce fax était dans mon bureau. À l’époque, depuis 2005, Arnaud Claude, qui est un ami, m’a proposé de m’héberger. Mon bureau se trouvait au premier étage dans les mêmes locaux que le cabinet Arnaud Claude et Associés. Mon bureau était accessible, je ne fermais pas à clé. Me Claude a pu l’utiliser comme toute autre personne du service. »
Jusqu’à cette découverte des juges, Me Arnaud Claude prenait un malin plaisir à renvoyer aux magistrats l’absence dans leur dossier du moindre élément matériel susceptible de le confondre. Ainsi, alors que le patron de la société écran Gestrust, Marc Angst, a indiqué aux juges que Me Claude en personne lui avait donné l'instruction « par téléphone » d'effectuer le virement de 2,5 millions d'euros pour le ryad, Me Arnaud Claude a vivement contesté.
Quand il est apparu que le même Me Claude était allé en Suisse avec l'ex-directeur de cabinet de Patrick Balkany le jour de la constitution du dossier de la villa à Marrakech, l’associé de Sarkozy avait une réponse toute prête : « J’ai accepté de rendre un service à titre personnel. Il [Jean-Pierre Aubry, le collaborateur de Balkany] m’a simplement dit que c’était une opération d’acquisition immobilière […] J’ai rendu service à un ami qui est le représentant d’un gros client du cabinet. »
Quand la cellule anti-blanchiment de Bercy, Tracfin, a signalé dans une note que l’avocat était le destinataire de courriers liés aux montages offshore des Balkany, il démentait encore, soulignant à juste raison que rien n’avait été retrouvé de tel à son cabinet lors d’une perquisition : « Je n’ai jamais été le destinataire d’une quelconque documentation concernant cette affaire. »
Le 22 mai 2014, Isabelle Balkany avait quant à elle été interrogée par les policiers sur sa relation avec l’associé de Sarkozy. « Il n’y a que des relations professionnelles avec la ville », avait-elle répondu. « Il est avocat de la ville depuis avant 1983, choix à l’époque de la municipalité socialo-communiste. » Sollicité par Mediapart, Arnaud Claude n’a pas donné suite.
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