Les liens entre des membres éminents de la commission de la transparence et les laboratoires pharmaceutiques sont décidément très problématiques. Après nos révélations, entre autres, sur les activités de Gilles Bouvenot, président de 2003 à 2014 de cette commission stratégique qui se prononce sur le remboursement des médicaments et impacte leurs prix, Mediapart a appris qu’un des anciens vice-présidents de Gilles Bouvenot, Jacques Massol, a été mis en examen dans le cadre de l’affaire du Mediator pour « participation illégale d'un agent d'une administration publique dans une entreprise précédemment contrôlée » et pour « prise illégale d'intérêts ». Le cas décrédibilise encore un peu plus une institution opaque au sein de laquelle la déontologie cède trop souvent le pas aux profits.
Jacques Massol, endocrinologue et cardiologue de formation, vice-président de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé de 2003 à 2008, a en effet signé un contrat avec le laboratoire Servier quelques mois seulement après avoir quitté ses fonctions à la commission. Seulement, un agent ne peut pas travailler pour une entreprise qu’il a contrôlée et surveillée au cours des trois années précédentes. Le risque est notamment trop fort que le contrat constitue un renvoi d’ascenseur pour des avis rendus pendant qu’il était censé être au service de l’intérêt général, et la condamnation peut aller jusqu’à trois ans de prison et 200 000 euros d’amende.
Jacques Massol, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ses activités passées, ne s’est pas arrêté là. De 2009 à 2011, il a travaillé pour le laboratoire Servier alors qu’il officiait comme conseiller technique et membre de la cellule d'appui scientifique de la Direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé. D’où sa mise en examen pour prise illégale d’intérêts.
Interrogé sur ces deux points en avril 2014 par les juges dans le cadre de l’instruction sur le Mediator, Jacques Massol a attaqué pour mieux se défendre : « Je ne veux pas faire de la délation mais certains membres en poste étaient acceptés et on leur permettait de participer à la discussion alors qu'ils avaient un conflit déclaré. Il y a là un certain paradoxe. »
Jacques Massol a déclaré aux juges d’instruction avoir participé à « la diffusion d’un journal à l'ensemble des sous-directions de la DGS et du cabinet du ministre de la santé. Il s'agissait d'une veille scientifique pour aider le cabinet à prendre ses décisions ». Jacques Massol précise aux juges qu’« à la DGS, il n'y avait pas de règle sur les conflits d'intérêts. Lorsqu'on me demandait un avis et qu'il s'agissait d'un industriel avec lequel j'avais un contrat notamment Servier, je l'ai toujours signalé et je n'ai pas donné d'avis ».
Dans ce milieu où l’omerta règne, personne n’aurait certainement jamais pris connaissance de ces activités parallèles sans l’affaire du Mediator, ce médicament du laboratoire Servier qui aurait causé la mort de 500 à 2 000 personnes. Mais lors d’une perquisition au sein du groupe, les enquêteurs ont découvert un contrat entre Jacques Massol, qui déclare gagner 11 000 euros par mois pour ses activités classiques, et le laboratoire pharmaceutique.
Le contrat d’expertise est établi le 29 janvier 2009 entre les sociétés Iris (Institut de recherches internationales Servier), Adir (société qui finançait des études médicales) et la société Remède (dont le fils puis l’épouse de Jacques Massol étaient les gérants). Le montant des rémunérations s’élève à 15 000 euros la première année, puis à 18 000 euros à partir d’octobre 2011.
Le contrat stipule dans son article 1 : « Compte tenu de ses compétences, liées à son savoir-faire dans l'expertise des dossiers scientifiques, sa connaissance des institutions et de leur mode de fonctionnement dans les domaines de l'enregistrement, du remboursement et de la fixation des prix des médicaments, sa maîtrise de l'environnement relationnel et des enjeux médico-marketing, le consultant devra, dans le cadre de la mission qui lui est confiée, apporter ses conseils dans le cadre du développement de médicament de la gamme actuelle ou de médicaments futurs. Cette mission d'expertise comprend en particulier : la relecture, les commentaires et les conseils sur les dossiers de transparence et les dossiers de post-inscription. »
Sans aucun doute possible, Servier fait appel à Jacques Massol en raison des responsabilités qu’il a exercées à la commission de la transparence. Ce qu’a d’ailleurs confirmé Emmanuel Canet, représentant légal de la SARL ADIR, devant les juges : « Le fait que Jacques Massol ait siégé à la commission de la transparence faisait qu'il apportait toute l'expérience de l'évaluation du médicament et qu'il pouvait nous conseiller au vu de la complexité et de la technicité des dossiers. »
Ni le médecin ni le laboratoire ne semblent y avoir vu le moindre souci. Jacques Massol n’a pas demandé l’avis de la commission de la déontologie, qui doit normalement donner son accord pour ce type de passage du public au privé. Quand il est interrogé sur le sujet par les enquêteurs, Jacques Massol ne s'embarrasse pas : il « ne connaissait même pas l’existence de cette commission de déontologie ».
Afin de se prémunir de tout problème, Servier a de son côté précisé dans le contrat que c’est à l’expert de déclarer ses conflits d’intérêts. Ce qui n’a pas empêché les juges de mettre en examen l’IRIS et l’ADIR pour complicité du délit de participation illégale d'un fonctionnaire ou d'un agent d'une administration publique dans une entreprise précédemment contrôlée.
Pour Servier, Massol a travaillé sur différents médicaments : le Muphoran, le Procoralan ou le Protelos (voir notre enquête), dont l’usage se révélera dangereux quelques années plus tard. Mis sur le marché en France en 2006 pour traiter l’ostéoporose, ce médicament augmente les risques d’infarctus et de réactions allergiques sévères. Dès 2007, il est placé sous surveillance renforcée. Il faudra attendre juillet 2014 pour qu’il ne soit plus remboursé.
Pour Servier, dès 2009, Jacques Massol travaille également sur le Valdoxan, un antidépresseur qui obtient ses autorisations de mises sur le marché un an après (en 2010). Ce médicament se révèle, lui aussi, très dangereux pour les patients. Il peut provoquer des atteintes hépatiques, pancréatiques, des troubles neuropsychiques avec suicides, voire des troubles cardiovasculaires, voire encore des risques de cancers.
Entre juin 2009 et septembre 2013, plus de 40 000 euros sont versés à la société Remede, sous forme d’honoraires ou de remboursements de frais. « Ce n'est pas l'appât du gain qui a motivé la création de cette société », a toutefois tenu à préciser Jacques Massol devant les juges. Avant cependant de préciser que s'il avait été informé de l’interdiction de conseiller les laboratoires après son mandat à la commission de la transparence, il n’aurait certainement pas accepté de faire un second mandat.
Jacques Massol n’est pas le premier membre d’une commission à se faire épingler dans le scandale du Mediator. Pas moins de cinq consultants du laboratoire, aujourd’hui mis en examen, ont été membres de la commission d’AMM ou l’ont présidée dont les professeurs Jean-Michel Alexandre, Charles Caulin (présidents respectivement de 1985 à 1993 et de 1997 à 2003) et Jean-Roger Claude (membre de 1987 à 2013).
Charles Caulin, ancien chef de service à l’hôpital Lariboisière, a eu des contrats avec Servier, de 2000 à 2010, donc en partie pendant la période où il présidait la commission d’AMM. Les montants de ces contrats, représentant environ 50 000 € par an, étaient versés à une société gérée par son épouse, FC Consulting.
Charles Caulin a notamment eu comme vice-président de la commission d’AMM Jean-Pierre Reynier, pharmacologue marseillais, qui fut, comme nous le décrivions dans notre enquête publiée mardi, l’un des trois piliers avec Bernard Avouac et Gilles Bouvenot (tous deux anciens présidents de la commission de la transparence) du groupe ayant conseillé secrètement les laboratoires pendant une vingtaine d’années.
Le professeur Jean-Roger Claude, lui, a été membre de la commission d’AMM de 1987 à 2013. Il a été consultant de Servier à partir de 1989, et a eu des contrats avec le laboratoire jusqu’à 2013 (durant toute cette période, il a touché de Servier plus de 1,6 million d'euros).
Jean-Michel Alexandre a présidé la commission d'AMM de 1985 à 1993, puis a dirigé la commission d'évaluation de l'agence du médicament de 1993 à 2000, tout en exerçant la même responsabilité au niveau de l’agence européenne. Après avoir pris sa retraite, il a perçu entre 2001 et 2009 un total de 1 163 188 euros versés par le groupe Servier.
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