Le message électoral du 22 mars est extraordinairement complexe à décrypter. Élection locale à enjeu national, ces départementales sont constituées de milliers de thermomètres dont le relevé n’aura de sens concret que dimanche prochain, puis le jeudi suivant, avec l’élection des présidents des conseils généraux. On a pu vérifier, dès dimanche soir, avec la cacophonie des premières estimations, que les instituts de sondage en perdaient leur latin. Les fourchettes de l’ensemble UMP-UDI variaient de 29 à 38 %, celles du PS et des divers gauche de 19,7 à 28 %, celles du Front de gauche de 6 à 9 %.
C’est que les alliances ou non-alliances, ainsi que la présence de binômes aux couleurs de deux partis, rendaient aléatoire une lecture immédiate. La promesse des radios et des télévisions étant de fournir dès 20 heures un panorama complet et précis, des chiffres ont été balancés, souvent contradictoires, assortis de commentaires qui étaient repris le lendemain. Bien de ces messages, présentés comme essentiels, méritent pourtant d’être nuancés, voire contredits.
- 1.- Une victoire de l’UMP et de Nicolas Sarkozy?
C’est faux. Comme l’expliquait Ellen Salvi dès dimanche dans Mediapart, cette victoire est celle de la droite et du centre. Sur les 110 élus du premier tour, 19 seulement sont UMP, 58 sont issus de binômes d’union, 5 sont UDI, 28 sont divers droite. En prenant la parole dès 20h15, et en soulignant le succès de l’union, Nicolas Sarkozy a voulu s’approprier le succès. Il a brûlé la politesse à ses partenaires UDI et à Alain Juppé. Opération plutôt réussie si l’on en juge par les commentaires de la soirée.
Le problème, au-delà du Blitzkrieg médiatique, c’est que les faits sont têtus. La ligne d’union de la droite et du centre est celle d’Alain Juppé, et Nicolas Sarkozy l’a contredite lui-même en droitisant sa campagne avec les thèmes du voile à l’université ou du porc obligatoire dans les cantines, et avec son choix du « ni-ni ». Un choix qui est celui de la seule aile droite de l’UMP, et qui a été immédiatement contredit lundi matin par l’aile modérée ainsi par le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde.
- 2.- Le Front national n’est pas le premier parti
Affirmation fausse. On ne peut pas comparer un parti qui se présente en son seul nom et une alliance. L’ensemble UMP-UDI (29,4 %) devance le FN (25,19 %), mais il cumule les scores de formations diverses. La vérité de ce premier tour, aussi déplaisante soit-elle, est la même que celle des européennes. Le parti lepéniste a bien réalisé le meilleur score de cette soirée.
D’autres vérités partielles ont circulé depuis dimanche au sujet du Front national. « Il confirme son implantation locale », ont dit les télévisions. C’est encore plus grave, docteur. Certes, le FN « confirme » en se faisant élire dès le premier tour dans des villes conquises aux municipales (Le Pontet ou Fréjus), et réalise des scores très élevés à Marseille ou Hénin-Beaumont, mais il s’apprête surtout à conquérir d’autres bastions. Ces cantonales seront celles de l’implantation locale d’une extrême droite qui a parfois réalisé des scores spectaculaires au niveau national (en 2002 par exemple) mais qui ne parvenait pas à s’enraciner.
Si le Front national a été stoppé ce dimanche, c’est seulement par rapport aux anticipations des sondeurs, ce qui ne veut donc rien dire d’un point de vue politique. Dans la réalité, il pourrait disposer d’élus partout, chargés de poursuivre la banalisation entreprise par Marine Le Pen. Toute interprétation visant à minorer son score du 22 mars serait donc une manière, une de plus, de tricher avec la réalité dangereuse qu’il représente.
- 3.- Le PS limite-t-il les dégâts ?
C’est la vision optimiste diffusée par ses dirigeants (voir l’article de Stéphane Alliès). Il est certain que certaines prévisions plaçaient le PS et ses alliés dans une situation catastrophique, c’est-à-dire au-dessous de 20 %, et qu’il est un peu au-dessus. Dans le premier cas, il perdait à peu près tout. Avec son score du premier tour, il peut espérer conserver des implantations. Perdre le Nord (c’est fait) mais conserver le Pas-de-Calais. Combien de départements sauvés par lui ? Une vingtaine paraissent assurés, une dizaine d’autres dépendront des reports et de la mobilisation. Une défaite assurément. Le gouvernement et la rue de Solférino espèrent que l’union des électeurs de gauche contredira, au second tour, la désunion des appareils du 22 mars.
- 4.- La désunion de la gauche explique-t-elle ses pertes au premier tour?
C’est vrai sur le plan électoral, et le pouvoir en fait porter la responsabilité au Front de gauche et aux écologistes. Les candidats d’union de la droite totalisent 19 % d’éliminés (224 cantons sur 1 182), alors que le PS et ses alliés sont hors jeu dans 33 % des cantons, que les radicaux de gauche sont éliminés dans 43 % des cas quand ils sont allés seuls à la bataille, Europe Écologie à 98 %, le Parti de gauche à 93 %, le Parti communiste à 92 % !
La règle électorale est impitoyable et « la gauche » (un qualificatif que le Front de gauche refuse au PS et à ses alliés) paie un tribut très lourd. Malgré des scores parfois consistants dans certains cantons, le Front de gauche et les écologistes ont été décimés. Le PS considère donc que ses avertissements étaient justifiés, et que des listes d’union auraient changé la face de cette élection.
Le Front de gauche et les écologistes ne contestent pas les conséquences néfastes de cette désunion, mais l’attribuent au PS, au gouvernement et au président de la République. En tournant le dos au programme qui l’a porté à l’Élysée, François Hollande se serait lui-même dissocié de sa majorité et pouvait difficilement espérer que cette désunion politique de fait, majeure et assumée, puisse conduire à une union électorale.
- 5.- Un échec pour toute la gauche ?
C’est vrai. Les dirigeants d’Europe Écologie, ceux du PCF, et ceux du Parti de gauche pourront toujours solliciter les chiffres dans certains départements, la France ne connaît aucun effet Syriza ou Podemos. Les difficultés du pouvoir socialo-socialiste ne sont pas compensées par la progression des autres composantes de la gauche. Alors que la préoccupation environnementale ne cesse de grandir en France, Europe Écologie se divise en groupuscules. Et alors que le boulevard abandonné à gauche par la droitisation du PS s'est élargi de jour en jour, le Parti de gauche galvanise ses convertis mais n’élargit pas sa base.
Pire encore : il est frappant de constater, pendant ce temps, que la carte de la précarité, de la pauvreté ou de l’exclusion correspondait à celle des scores de l’extrême droite et que le Front national s'implante désormais, comme le note le chercheur Joël Gombin interrogé par Marine Turchi, « dans des territoires plus urbains et plus aisés ».
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