De notre envoyée spéciale à Pessac (Gironde).- Alain Juppé et François Fillon, côte à côte, pour défendre leur idée du rassemblement de la droite et du centre. Deux candidats à la primaire UMP de 2016 qui s’expriment, ce lundi 23 mars au soir, à 600 kilomètres de la rue de Vaugirard, sur la ligne politique qu’ils entendent définir pour « préparer l’alternance ». Deux des principaux adversaires en interne de Nicolas Sarkozy qui ont séché le bureau politique du lendemain du premier tour des élections départementales, durant lequel le patron de l’opposition a fait valider la stratégie du « ni-ni » déjà confirmée la veille devant les caméras.
Ce lundi soir, à Pessac, tout était réuni pour satisfaire les commentateurs. À commencer par les sous-entendus des deux anciens premiers ministres. Le nom de Nicolas Sarkozy n’a pas été prononcé une seule fois au cours de la réunion publique organisée en soutien de Gironde Positive, la bannière locale qui rassemble l'UMP, l'UDI, le MoDem et CPNT (Chasse, pêche, nature et tradition). À peine a-t-on salué « la part de mérite » que le patron de l’opposition a eu dans les résultats du 22 mars, comme pour mieux souligner l’importance, plus grande encore, de tous les autres acteurs de la droite. Ces candidats méconnus qui se sont unis, malgré les bisbilles nationales. Et qui ont prouvé, si l’on en croit Alain Juppé, que seule « la stratégie de l’union crée la dynamique gagnante ».
Dans la salle Bellegrave remplie pour l'occasion, il ne reste rien de la victoire revendiquée depuis 24 heures par les fidèles sarkozystes. Ici, on préfère souligner que le fameux « rassemblement », dont le patron de l’opposition fait désormais une « priorité », n’est pas toujours allé de soi. « Il y a eu débat sur la bonne stratégie à adopter. Aujourd’hui, elle est tranchée : c’est l’union », affirme à la tribune le maire de Bordeaux, qui milite depuis des mois pour un rapprochement avec le centre, MoDem compris, ce qui lui avait valu d’être sifflé par des militants UMP une première fois en novembre 2014, puis à nouveau lors du conseil national du parti, le 7 février.
La garde rapprochée de Nicolas Sarkozy a beau se convaincre que la stratégie de « droite décomplexée » de leur patron a payé lors du premier tour des départementales, les chiffres sont têtus. Sur les 110 conseillers départementaux élus dès dimanche soir, seuls 19 sont étiquetés UMP (5 UDI et 28 divers droite), quand 58 sont issus de binômes d’union. Du côté de la rue de Vaugirard, on ne s’embarrasse guère de ces détails. Pour éviter de casser la mobilisation des électeurs au second tour, les ténors de l’UMP veillent à parler de la droite comme d’un bloc unique et indivisible. Ensemble, ils ont approuvé lundi un texte général résumant peu ou prou le discours prononcé par l’ex-chef de l’État la veille. Et c'est tout seul que l'ex-chef de l'État est venu le défendre ce mardi matin, sur RTL.
Pendant une semaine, tous mettront leurs divisions internes en sourdine. Sur la question du « ni-ni » par exemple, qui a été fixée en catastrophe début février lors de la législative partielle du Doubs. Bien qu’elle soit majoritaire dans les rangs de l’opposition, cette ligne est loin de convenir à tout le monde. « En cas de duel FN/PS, le bureau politique de l’UMP a fixé sa ligne. Je la respecte, écrit ainsi Alain Juppé sur son blog. Chacun connaît ma position qui n’a pas varié : pour moi, la priorité est de faire barrage au FN et de poursuivre le travail de pédagogie que nous avons commencé pour convaincre les électeurs de bonne foi des incohérences et des dangers de son programme. » « La ligne est claire, a commenté Sarkozy sur RTL. On peut la débattre, on peut la commenter, mais chacun (...) joue l'esprit d'équipe. »
Pourtant, la question clive la droite, bien au-delà de l’UMP, puisque même au sein de l’UDI, personne ne semble d’accord. Quand le député de Seine-et-Marne, Yves Jégo, également présent ce lundi soir à Pessac, et Jean-Christophe Lagarde, le patron des centristes, se démarquent de la consigne de Nicolas Sarkozy en appelant à faire « barrage à l'extrême droite en utilisant (un) bulletin républicain », l’ancien ministre, Hervé Morin, approuve pour sa part « le vote blanc » en cas de « second tour entre le Parti socialiste et le Front national ».
Loin des postures et des comptes d’apothicaires, les positions prises par chacun sur la question du « ni-ni » et le détail des résultats du premier tour des départementales par étiquettes politiques laissent entrevoir ce qu’est véritablement la droite aujourd’hui : une créature bicéphale. Quand on l’interroge sur le sujet, le député et maire UMP du Havre, Édouard Philippe, proche d’Alain Juppé, sourit. « Deux droites ? Mille droites, vous voulez dire ! Vous ne trouverez personne à l’UMP qui appartient à la même droite que quelqu’un d’autre », affirme-t-il. Aux trois courants de la droite (orléaniste, bonapartiste et légitimiste), identifiés par l’historien René Rémond dans l'ouvrage de référence Les Droites en France, viennent aujourd’hui s’ajouter des strates supplémentaires.
« Il y a différentes lignes de partage, poursuit Philippe. Outre les fondamentaux, gaullistes, chrétiens démocrates, etc., les gens se distinguent par leur positionnement politique sur certains sujets, mais aussi par les écuries et les clans auxquels ils appartiennent. » Soit. Pourquoi, dans un tel cas, parler de “créature bicéphale” ? Simplement parce que la plus grosse distinction entre les différents élus de droite se joue désormais dans leur rapport au Front national. En courant après le parti de Marine Le Pen sous le quinquennat Sarkozy et en le devançant parfois même sur certaines propositions, l’UMP a non seulement placé le FN au centre du jeu, mais elle en a également fait son principal arbitre.
Au risque de caricaturer légèrement notre propos, tâchons tout de même de le personnifier. À la ligne droitière du secrétaire général de l’UMP, Laurent Wauquiez, bien souvent suivie par Nicolas Sarkozy, répond celle, plus modérée, de la vice-présidente du parti, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui n’est pas sans rappeler celle d’Alain Juppé. Le distinguo est particulièrement flagrant sur la question du « ni-ni », mais aussi sur d’autres sujets, comme on l'a vu récemment sur la question des cantines scolaires et des repas de substitution. En remettant cette dernière au cœur du débat, le patron de l’opposition a « au moins eu le mérite de clarifier les choses », commente, d'un air amusé, Gilles Boyer, le conseiller spécial du maire de Bordeaux.
À Pessac, Juppé a mis en garde tous ceux qui seraient tentés de céder à « la frénésie » en faisant de ce genre de sujets… un sujet. « Ne faisons pas preuve de maximalisme », a-t-il lancé à l’attention de Nicolas Sarkozy, sans le nommer. Sur RTL, le matin même, François Fillon avait lui aussi souligné son « désaccord » avec le patron de l’UMP. « L’histoire des cantines, c’est inapplicable, souffle à Mediapart l’un de ses proches, le député de Paris, Jean-François Lamour. Je ne vois même pas l’intérêt de faire une sortie pareille… » L’élu se reprend. Bien sûr qu’il en voit l’intérêt. « C’est une stratégie d’une partie de l’UMP, regrette-t-il. Se dire que, quand le FN est très élevé, il faut aller chercher leur électorat. Ça nous colle à la peau depuis 2012… » Seul contre tous, le patron de l'opposition reste quant à lui convaincu de son fait. « Je ne pense pas que je sois tellement isolé au regard de ce que pensent vos auditeurs et les Français », a-t-il déclaré mardi matin au micro de RTL.
Depuis dix ans, les divisions qui gangrènent la droite se révèlent en règle générale à la lumière de sujets très précis, comme la laïcité, l’Europe ou encore le mariage pour tous. Si elles semblent plus flagrantes aujourd’hui qu’autrefois, c’est parce l’UMP se trouve depuis peu devant une nouvelle échéance : la primaire de 2016, qui désignera le futur candidat de la droite à la présidentielle. Le “pré-premier tour”, en somme, celui qui anticipe de facto les lignes de partage que l'on aperçoit généralement au premier tour d'une présidentielle.
Là encore, deux stratégies s’affrontent : aller chercher les électeurs du Front national ou tenter de séduire ceux qui ont été déçus par François Hollande. « Sarkozy veut faire les deux. Je sais qu’il est souple, mais là, l’exercice d’équilibriste est compliqué », plaisante Gilles Boyer, qui arbore ce lundi soir une écharpe orange vif, « la couleur de la victoire ! ». Celle du MoDem, surtout. Rien de plus normal puisque « Juppé, c’est la droite et les centres, alors que Sarkozy, c’est la droite et le centre », dit-il.
Nombreux sont ceux, à l’UMP, à regarder d’un œil navré l’entêtement du maire de Bordeaux à se rapprocher de François Bayrou. Pour eux qui ne cessent d’expliquer que la primaire de 2016 se jouera à droite, cette union avec l’homme qui avait appelé à voter François Hollande en 2012 ne peut être que contre-productive. Contrairement à la plupart des candidats, qui, à l'instar de Bruno Le Maire, ne cessent de durcir leur discours, Alain Juppé, lui, imagine d'autres algorithmes. « Il y a trois niveaux, nous explique son conseiller spécial. 300 000 personnes, le nombre de militants UMP. Ils sont a priori plus Sarkozy. 30 millions de personnes, le nombre de gens qui votent au premier tour d’une élection présidentielle. A priori plus Juppé. Au milieu, il y a 3 millions de personnes. Toute la question est de savoir pour qui ces personnes voteront. »
S’il préférerait une « UMP qui ressemble davantage à ce qu’elle était à sa création en 2002 », le député de Paris, Jean-François Lamour, constate toutefois que la droite « tendance RPR » – comprendre très à droite – est « majoritaire parmi les parlementaires et les militants ». Certes, mais « la ligne majoritaire à l’UMP n’est pas forcément celle qui sera déterminante » pour la primaire, veut croire le député et maire du Havre, Édouard Philippe. Entre un Nicolas Sarkozy qui continue d’avancer sur le terrain des idées de l’extrême droite et un Alain Juppé qui drague ouvertement les déçus de la gauche, reste François Fillon. « C’est une passerelle ! » ironise encore Gilles Boyer.
« Alain Juppé et François Fillon ont des discours très différents sur plein de sujets, mais ils se retrouvent sur d’autres, indique Philippe. Par exemple, l’appréhension qu’ils ont des alliances politiques, notamment avec le centre… » Le meeting de Pessac, où Fillon s’est d’abord rendu pour soutenir l’un de ses proches, Yves d'Amécourt, candidat à la présidence du département, n’était pas franchement le signe d’une alliance avec Alain Juppé en vue de la primaire. En revanche, il a permis aux deux anciens premiers ministres d’adresser un message fort à Nicolas Sarkozy. Oui, la droite et le centre sont désormais rassemblés, mais le plus loin possible du FN et de ses faux nez.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone entre le 20 et le 21 mars ou rencontrées à Pessac, le 23 mars.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un oeil sur vous ! Citoyens sous surveillance