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Dimanche, une multitude de « 21-Avril » locaux

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Ce dimanche 22 mars, au premier tour des élections départementales, le Front national sera de tous les commentaires. La conséquence d'un effet de souffle prévisible : dans des centaines de cantons, le FN devrait se qualifier pour le second tour, éliminant au passage la gauche et, plus rarement, la droite.

Cette multitude de « 21-Avril » locaux (référence à la présidentielle 2002, où Lionel Jospin fut éliminé au premier tour, et Jean-Marie Le Pen se retrouva au second) est la conséquence de la dynamique électorale du parti d'extrême droite, mais surtout de la très forte abstention qui s'annonce, sans doute plus de 50 % des électeurs inscrits.

Aux départementales, les deux candidats arrivés en tête sont qualifiés pour le second tour. Mais un parti peut également se qualifier s'il obtient plus de 12,5 % des inscrits – ce seuil vaut aussi pour le premier tour des élections régionales, qui seront organisées en décembre dans les 13 nouvelles grandes régions. Si un électeur inscrit sur deux ne vote pas, ce seuil devient une montagne : il faut autour de 25-30 % des suffrages exprimés pour se qualifier. Dimanche soir, il y aura donc très peu de triangulaires. « Le candidat arrivé en troisième position sera très souvent éliminé », explique Vincent Pons, cofondateur de l’agence de stratégie électorale Liegey-Muller-Pons et professeur à Harvard (États-Unis). Souvent, cela risque d'être un candidat de gauche. Le PS, qui détient actuellement 60 conseils généraux, pourrait être éliminé dès ce dimanche dans un quart, voire la moitié des 2 000 cantons.

Le seuil des 12,5 % (contre 10 % auparavant) a été instauré en 2010 par la droite et confirmée par le PS au pouvoir. Il s'agissait d'éviter les triangulaires : de ce point de vue, l'opération est réussie. Il s'agissait aussi d'obtenir des majorités claires dans les conseils départementaux : c'est en passe d'être raté car le FN pourrait bien être l'arbitre du « troisième tour », quand il s'agira d'élire les présidents des assemblées départementales. Ces élections départementales vont confirmer que la France est devenu politiquement tripartite. Dans les mois et années à venir, la gauche et la droite vont devoir s'adapter à cette nouvelle donne politique, sous peine d'être durablement concurrencées par le parti d'extrême droite.

Réalisée par Liegey-Muller-Pons, une projection du résultat brut des élections européennes de mai 2014 sur la nouvelle carte cantonale qui entre en vigueur (après redécoupage) pour ces départementales illustre l'affirmation électorale du FN.

Lors de ces élections où 57 % des électeurs inscrits se sont abstenus (un record), le Front national est ainsi arrivé en tête des suffrages exprimés dans 1 328 des 1 995 nouveaux cantons de France métropolitaine : les deux tiers. L’UMP et les centristes ne sont devant que dans 472 cantons : moins du quart. Le PS n’est arrivé en tête que dans 161 cantons. La mauvaise dynamique à gauche n’épargne pas le Front de gauche et les écologistes, qui ne font la course en tête que dans 18 cantons. Au total, la gauche est devant dans à peine un canton sur dix :



Ces projections ne sont pas des prévisions pour le scrutin de dimanche. Elles doivent être interprétés avec « prudence », rappelle Vincent Pons. « L’exercice ne prend pas en compte l'évolution du rapport de force depuis mai 2014. Surtout, l'offre politique n'est pas la même : si la liste FN est arrivée souvent en tête, c’est en raison du nombre important de listes présentées par la gauche et la droite aux européennes. Pour ces élections départementales, c’est un peu différent : le nombre de binômes de gauche et de droite est plus faible. » Selon l’institut Harris Interactive, il n’y a en moyenne que 4,4 candidats par canton (ce sont pour la première fois des binômes homme-femme).

Pour tenir compte de cette offre politique réduite, Liegey-Muller-Pons a donc effectué une projection des résultats des européennes sur les nouveaux cantons, non plus par partis mais par par grands “blocs” politiques (droite, extrême droite, gauche, divers). Elle fait apparaître une France politiquement tripartite. La droite y est largement majoritaire : aux européennes, le “bloc” de droite (UMP, UDI, divers droite) est arrivé en tête dans un canton sur deux et domine largement toute la partie centrale du pays. L’extrême droite (FN et autres) est majoritaire dans 267 cantons, au nord de la France, dans le nord-est et le sud-est. La gauche (PS, Front de gauche, écologistes, divers gauche) n’est majoritaire que dans 680 cantons, pour l'essentiel de l'ouest et du sud-ouest, sur les terres historiquement socialistes et radicales :

De ces cartes, Vincent Pons tire « deux leçons » : « La première, c'est que très peu de zones résistent encore aujourd'hui à la montée du Front national. La seconde, c'est que la division des familles politiques profite au FN. Aux européennes, la liste FN est en tête dans un grand nombre de communes où pourtant les listes de gauche (ensemble) ou les listes de droite (ensemble) avaient reçu plus de voix. »

On ne voit pas comment le phénomène ne se reproduirait pas ce dimanche, en particulier à gauche, où le PS, EELV et le Front de gauche partent très souvent divisés. « La division de la gauche risque de disqualifier cette nuance dès l'issue du premier tour dans un nombre important de cantons. Si elle avait été rassemblée, elle aurait atteint un nombre de voix supérieur à 12,5 % des inscrits », poursuit Vincent Pons. Un constat qui explique les appels insistants du PS à l'union ces dernières semaines, alors qu'EELV et le Front de gauche font d'un changement de ligne politique du gouvernement un préalable à l'union.

De fait, les cartes sont cruelles pour le PS : si l'on projette cette fois ses seuls résultats aux européennes 2014 sur les nouveaux cantons, on s'aperçoit qu'il dépasse le seuil fatidique de qualification de 12,5 % dans seulement 15 cantons sur 2 000 ! Sept en Haute-Vienne, 2 dans la Creuse, 4 en Corrèze, 1 dans l’Aude et 1 en Ariège… En dehors de ces îlots roses perdus dans une marée blanche, partout ailleurs moins de 12,5 % des personnes inscrites sur les listes électorales ont voté socialiste. Dans les cantons en blanc, c'est-à-dire à peu près partout, le PS risque l'élimination dimanche s'il arrive troisième. Dans la France politique de 2015, le PS, parti au pouvoir qui détenait il y a trois ans tous les leviers institutionnels, ne réussit quasiment plus nulle part à attirer 12,5 % des inscrits :

Le Front national, lui, dépasse ce seuil dans 649 cantons. Peu de régions résistent aujourd'hui à son ascension : les zones dans lesquelles il arrive en tête dépassent très largement ses bastions historiques. Quasiment tout le nord de la France, une bonne partie de l’est, le sud du bassin parisien, la région lyonnaise (Ain, Isère), le sud-est, le bassin méditerranéen jusqu’en Midi-Pyrénées, et tout le bassin de la Garonne. Mais il faut aussi relativiser sa poussée électorale : dans deux tiers des actuels cantons, il n'arrive pas à réunir plus de 12,5 % des inscrits:

L’UMP et l'UDI seront, à n'en pas douter, les grands vainqueurs de ces départementales. Pour la droite, le risque d'arriver troisième au premier tour, et donc d'être éliminé, est limité. « La droite s'annonce moins divisée que la gauche. Elle ne présente qu'en moyenne 1,3 candidat par canton contre 2 pour la gauche. Dans 80 % à 90 % des cantons, avec un unique binôme de droite, celui-ci devrait remporter un nombre de suffrages supérieur à 12,5 % des inscrits », explique Vincent Pons. Mais l'opposition aurait tort de fanfaronner : l'UMP et l'UDI ne réunissent plus de 12,5 % des électeurs inscrits sur les listes électorales que dans 118 cantons, dont 108 pour l'UMP !

Pour les deux grands partis, unir son camp est d'ores et déjà devenu un impératif de survie face à l'extrême droite. Si tous les candidats de droite aux européennes s'étaient unis, cette alliance aurait dépassé les 12,5 % des inscrits dans 1 755 cantons, presque un carton plein. La gauche unie, elle, aurait dépassé ce seuil dans 1 316 cantons :

BOITE NOIREPartenaire de Mediapart pour ces élections départementales, l'agence de stratégie électorale Liegey-Muller-Pons a projeté le résultat des européennes 2014 sur les nouveaux cantons redécoupés. Des cartes qui ont moins pour but de prédire le résultat de ce dimanche (c'est impossible, et un peu vain) que de faire apparaître la situation politique de la France de 2014.

« Le fait que cette élection soit la dernière en date en fait un repère utile pour estimer les rapports de force, dit Vincent Pons, cofondateur de Liegey-Muller-Pons et professeur à Harvard. Par ailleurs, le taux de participation des élections cantonales de 2011 était de 44,32 %. Lors des européennes 2014, il était de 42,43 %. On peut s'attendre à une participation similaire aux prochaines élections départementales. »

Vincent Pons détaille aussi la méthode d'élaboration de ces cartes : « Nous avons additionné les voix de chaque candidat et de chaque nuance politique (extrême droite, droite, gauche, extrême gauche) par canton. La projection des résultats des européennes dans les frontières des nouveaux cantons est relativement aisée pour les cantons composés uniquement de communes entières. L'exercice est plus difficile pour les cantons situés dans les zones urbaines. En effet, les villes les plus importantes sont en général divisées entre plusieurs cantons. Dans ce cas, nous avons rapporté les résultats observés pour l'ensemble de la ville à la fraction de la ville incluse dans chaque canton, estimée à partir de la population des cantons, avant de les agréger avec les résultats des autres communes de ces cantons. »

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