Haute-Vienne, de notre envoyé spécial.- Parole d’électeur adressée au duo de candidats présenté par le PS, dans l’arrondissement de Limoges, sur le marché d’Isle – quatrième commune la plus peuplée du département avec ses 7 500 habitants : « Sans excuser, je peux comprendre ; on les écoute pas, les gens. » Le “philofrontisme” exsude, ici comme ailleurs. Il s’agit d’abord d’innocenter le vote FN qui couve. Puis de le justifier dans la foulée : « Ça s’accumule, ça s’accumule : on m’a enlevé mon avantage mutuelle. » Ce qui s’accumule, c’est ce que soustrait le pouvoir, aux yeux de citoyens s’estimant lésés.
Le binôme en campagne, Gilles Bégout, maire sans étiquette d’Isle, flanqué d’une figure montante du socialisme local, Gulsen Yildirim, démine autant que possible. Lui : « Le FN n’est pas une solution, d’ailleurs il n’en ont pas. Il faudrait que tout le monde ait les mêmes avantages. Mais il ne faut pas confondre cette élection avec les enjeux nationaux. » Elle : « Nous ne sommes pas d’accord sur tout avec le gouvernement, même si nous avons un devoir de solidarité. Le premier ministre essaie de faire avancer les choses, même s’il n’a pas encore tous les outils en main. »
L’électeur de rencontre prend congé : « Vous n’êtes pas responsables, mais j’ai qu’à vous à en parler. De savoir que vous êtes ouverts comme ça, c’est bien. C’est la première fois que je discute avec vous. »
La place du marché porte le nom du socialiste Robert Laucournet, premier magistrat d’Isle de 1953 à 1995, sénateur et grand rival de l’autre crocodile PS en ce marigot de la Haute-Vienne, Louis Longequeue, maire de Limoges de 1956 à sa mort en 1990. Il avait succédé à l’inamovible Léon Betoulle, qui régna sur la capitale de la porcelaine de 1912 à 1956 – avec une interruption de 1941 à 1947. L’héritier d’un tel système glaciaire limougeaud, Alain Rodet, fut battu aux municipales de 2014, lors du grand craquement de la banquise socialiste, ainsi que Mediapart le racontait en mai dernier.
À Isle, Gilles Bégout, dissident socialiste, a senti le vent. Il s'est lancé l’an passé à la tête d’une liste de rassemblement incorporant la droite ainsi asséchée, qui n’a donc pas présenté de candidat. Résultat du premier (et seul) tour : 72 % des voix pour l’agrégat droite-gauche combiné par Gilles Bégout. Et 28 % en faveur de la gauche du PS, réunie dans une structure alternative fondée lors des régionales de 2010 : “Terre de gauche”.
En 2015, face à des candidats de droite (l’UMP plus le FN), Gilles Bégout compte prouver l’efficacité de sa coalition qui se veut hétéroclite mais soudée, à la manière d’une chanson de Maurice Chevalier : et tout ça, ça fait d’excellents Islois… Le premier adjoint, Pascal Theillet, tracte mais ne se réclame nullement de la gauche : « Je suis là pour rendre service, surtout pas pour faire de la politique. » Petit-fils de métayer, ayant gagné son honnête aisance dans le BTP, il estime appartenir aux « vieilles familles de la commune », s’habille avec la veste matelassée des patriciens, roule en BMW et porte un regard désabusé sur ce qui grenouille : « Le socialisme ne fut ici que baronnies : on choisissait l’étiquette PS, on entrait en maçonnerie et ça marchait pour quarante ans de carrière politique. Ces prétendus socialistes n’étaient que des notables radicaux, comme à Toulouse ou Cahors. Ils finissaient par se flinguer entre eux lorsque l’espèce devenait trop nombreuse ! Aujourd’hui, le vote FN est alimenté par quantité de gens de gauche, c’est en tout cas ce que je crois pouvoir deviner… »
Une militante socialiste engagée dans cette campagne, qui se dit « vallsienne », déclare avoir « largement aussi peur du Front de gauche que du Front national ». L’un de ses camarades tient un discours différent : « Nous devons certes tenir compte des réalités économiques, mais il faut tout de même que les gens vivent. » En ce terreau du hollandisme, voisin de la Corrèze, il avoue, avec des mines de conspirateur, avoir voté pour Martine Aubry lors des primaires socialistes…
La candidate présentée comme l'alter ego de Gilles Bégout dans ce canton, la socialiste assumée Gulsen Yildirim, nous dit aimer par-dessus tout « la base militante » de son parti, dont elle assure partager les valeurs. Arrivée en France à l’âge de 2 ans, pour rejoindre un père maçon venu de Cappadoce (Turquie), Gulsen Yildirim a passé toute son enfance à traduire, en simultané, les émissions politiques de la télévision pour ce géniteur qui vouait une admiration sans bornes à François Mitterrand. Le père prit très mal que sa fille refusât un mariage arrangé. Les choses ont fini par s’apaiser. La bachelière s’est battue pour devenir chercheuse (elle enseigne le droit à l’université de Limoges) : « Je ne veux rien devoir à personne. Je continue à travailler comme avant. Les professionnels de la politique sont cause de bien des maux, chez les socialistes comme chez les autres, en particulier au FN, on ne le dira jamais assez : regardez la famille Le Pen ! »
Gulsen Yildirim a milité huit ans dans le secteur associatif avant d’entrer en politique, sollicitée pour les municipales de 2008 par Alain Rodet, maître d’un système vermoulu qu’elle veut contribuer à rénover, mais sans un mot de trop sur le passé : « J’ai eu plein de mains tendues dans mon parcours et je ne veux pas cracher dans la soupe. »
Elle est reconnaissante à son mentor de ne pas l’avoir chargée des minorités ethniques ou religieuses : « Alain Rodet a été suffisamment intelligent pour ne pas me renvoyer à mes origines. » À Limoges, elle fut d’abord ajointe au mobilier urbain. En aucun cas un rôle de potiche : Gulsen Yildirim évoque non sans passion les négociations menées avec le groupe Decaux ; les exigences qu’elle a défendues pour imposer son cahier des charges à ce « numéro un à l’échelle mondiale ». Taquinée sur cet amour vallsien de l’entreprise, elle assume tout et revendique même un besoin d’autorité, cependant compatible avec les débats et les expressions diverses au sein des instances du parti socialiste. Gulsen Yildirim n’en oublie pas sa gauche : « Nous sommes allés à la rencontre de tous nos partenaires envisageables, même le NPA, pour leur proposer des candidatures communes quand le mode de scrutin le permettrait. Malheureusement, ils n’ont pas donné suite. Il restera le deuxième tour. Et bien sûr le troisième tour, pour que nous puissions constituer ensemble une majorité, de façon que le département reste de gauche. Ces possibles alliés sont dérangés par la politique nationale et non départementale : ils ont voté toutes les délibérations de la mandature... »
Un tel propos paraît fort de café à Stéphane Lajaumont, professeur d’histoire au lycée Suzanne-Valadon de Limoges. Il a quitté en 2010 les trotskytes du NPA – où ne resteraient selon lui que « les sectaires de chez sectaire » –, pour s’agréger à “Limousin Terre de gauche”, ce rassemblement ayant réussi à créer une synergie prometteuse au flanc du PS : Stéphane Lajaumont fut élu conseiller régional. Depuis, il lutte contre les subventions qu’accorde la majorité socialiste à des multinationales ayant promis de revitaliser le tissu économique local, mais qui n’en feraient rien une fois les allocations publiques dans leur escarcelle. Le ressentiment de ce militant semble décuplé par une injustice électorale que subodore “Terre de gauche” : tant que l’espoir était dans l’air, ce mouvement avait le vent en poupe, qui mêle les adeptes du parti communiste, du Front de gauche (les affidés de Jean-Luc Mélenchon comme la mouvance alternative “Ensemble”) et même, depuis peu, les écologistes. Tous ont rejoint, pour les départementales, “L'Alternative sociale, écologique et démocratique”. Néanmoins, aujourd’hui que le fond de l’air est brun et que la rage prédomine, le Front national, sans même avoir à lever le petit doigt, semble en position de tirer les marrons du feu : « Le PS nous entraîne dans sa chute et la gauche est salie dans ce qu’elle a de chouette. »
Stéphane Lajaumont, qui n’est pas candidat aux départementales, est intarissable sur les notables du cru dans les instances départementales ou régionales : « Ils se font voir, pratiquent le serrage de paluches, ne manquent aucune inauguration mais oublient de voter quand l’enjeu devient trop politique. Pas question de se mouiller quand c’est sensible ! Leur plus haut degré de courage politique consiste à obtenir le “plaçou” qu’ils s’appliquent ensuite à conserver tout au long de leur carrière, donc de leur existence… »
Stéphane Lajaumont n’a pas de mots assez durs pour fustiger les choix du PS en faveur de la seule métropole, Limoges, ce qui ne ferait que nourrir le « sentiment d’abandon des zones rurales » sur lequel prospère le FN. Dans la ligne du mire du militant de “Terre de gauche”, le choix ferroviaire consistant à privilégier le raccordement au TGV Atlantique (le “barreau” Limoges-Poitiers grâce à une ligne à grande vitesse encore à l’état de projet coûteux), au détriment du trajet existant, le POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse), train le plus rapide du monde voilà 55 ans avec “Le Capitole” : il s’ingénie désormais à perdre cinq minutes par décennie du fait de son matériel subclaquant et faute d’entretien des voies…
Sa flèche du Parthe, Stéphane Lajaumont la réserve aux affiches électorales socialistes pour ce scrutin départemental : « Regardez leur identité visuelle et leur code couleurs : vous avez l’orange MoDem, le bleu UMP, un peu de vert pour faire oublier que les écolos nous ont rejoints. Mais surtout pas de rose, ni, bien entendu, de rouge ! » Conséquence fortuite de la parité : seul le rouge à lèvres des candidates présentées par le PS semble faire office de rappel optique...
« Que voulez-vous que je vous dise : je suis daltonien. Réellement. » Le premier secrétaire fédéral du PS, Laurent Lafaye, a réponse à tout. Nous l'avions l'an dernier présenté comme le « Gorbatchev du Limousin » : il tâche de sauver l'héritage flapi d'un siècle de socialisme avachi. Chaleureux et roué comme pas un, ce professeur d'histoire en collège se met en tête de faire les pieds au journaliste parisien de passage : un long après-midi de diffusion du matériel électoral dans un quartier pavillonnaire de Panazol, troisième ville du département avec ses 8 700 habitants : « Nous sommes les amis du lotissement. Voyez, nous avons même gagné un joli bronzage agricole en arpentant le terrain ! »
Sa colistière, Martine Nouhaut, exprime ses doutes : « Les gens ne se supportent plus. Les élus peinent à recréer du lien social. On entend des choses terribles : le bruit FN se répand. » Ou encore : « Ici, on a l'impression qu'on sera bientôt rayés de la carte. » Pour sa part, Laurent Lafaye fait montre du dynamisme inaltérable de l'animal politique peu disposé, du haut de ses 38 ans, à s'arrêter en si bon chemin : « Nous nous remettons à faire ce que nous avions oublié de faire : campagne ! » Ses pairs, les grands électeurs, le privèrent de Sénat en 2014 : le suffrage universel devrait lui ouvrir les portes de l'Assemblée nationale pour succéder à Alain Rodet en 2017. Si tout se passe bien. L'achoppement s'avère, pardon d'insister, d'ordre gorbatchévien : M. Lafaye est persuadé d'avoir accompli le nécessaire, voire le maximum, pour incarner le renouveau d'un socialisme à bout de souffle. Toutefois ses adversaires, à droite comme à gauche, le considèrent tel un reliquat : une butte témoin du régime ancien, en dépit de tous ses efforts pour le ripoliner…
Le personnage a plus d'un tour dans son sac. Confronté aux critiques de Stéphane Lajaumont, de “Terre de gauche”, que nous lui rapportons, il riposte : « Nous avons révisé notre logiciel et nous étions prêts à céder des places. Mais lui, il est dans la situation de confort propre aux maximalistes. Il est professeur agrégé d'histoire, alors que je ne suis que certifié. Pour moi, une avancée c'est une avancée. » Et voilà le super notable qui se transforme en champion de la lutte des petits contre les gros !
Laurent Lafaye sait faire amende honorable : « Avec le mariage pour tous, le cumul des mandats, ou encore les rythmes scolaires, nous avions de l'or dans les mains et nous l'avons transformé en plomb. » Mais les certitudes du socialisme suréminent reprennent vite le dessus. Les femmes intégralement voilées ? « Les meilleurs agents électoraux du FN. » La ligne à grande vitesse vers Poitiers ? À prendre. Le POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse) ? À laisser. Le dispositif “jeunes majeurs” détricoté par le conseil général socialiste au prétexte que des Congolais profitaient indûment d'un tel avantage social ? « De la préservation lucide : ces facilités étaient dévoyées par l'explosion de candidats étrangers trichant sur leur âge. » La parité ? « Ça a marché puisque même les femmes se battent entre elles ! »
Au cours de cette longue marche autour des parcelles de Panazol, avec le premier secrétaire fédéral du Limousin ayant chaussé ses bottes de sept lieues pour assurer sa possession d'une terre électorale, la perplexité se faufile : est-ce ainsi que les hommes vivent (de) la politique ? Le soir même, à deux pas du Taj Mahal de Limoges – la très fameuse gare ! –, au théâtre de La Passerelle qu'anime depuis vingt-huit ans Michel Bruzat, la parole du poète Édouard Glissant donne la solution du problème. La comédienne Flavie Avargues y crée Cavale, une performance poétique où retentit cette exhortation avisée : abandonnons « les énormes prétentions de la pensée continentale », au profit du « frémissement des archipels ».
Mais ce qui vibre, frissonne et tressaille en Limousin ne cesse de prendre des coups sur la cafetière. “Terre de gauche” ne semble pas très arable en ce moment. Certains se consolent en citant Rosa Luxembourg : « La révolution est la seule forme de guerre dans laquelle la victoire finale doit être préparée par une série de défaites. » D'autres doutent à haute voix comme Francine Aigle, 55 ans, infirmière psychiatrique, candidate dans le canton de Limoges 8 pour « L'Alternative sociale, écologique et démocratique ». Membre de la CGT santé, elle se dit désespérée par « le système pyramidal » de son syndicat après l'affaire Lepaon. Sa défiance n'a jamais été aussi grande envers les élus socialistes siégeant dans son hôpital « pour accompagner le système et se faire les serviteurs de la direction ». Elle ne voit autour d'elle que « repli individualiste et familial : on courbe le dos, on ne va pas chercher l'information, on s'en tient au journal local avec le sentiment qu'on ne peut rien faire ».
Candidat alternatif dans le canton de Limoges 2, Damien Marchand, 35 ans, père d'un enfant de deux ans, se veut plus combatif : « Il est hors de question que le FN arrive au pouvoir sans que je puisse dire à mon fils que j'ai tout fait pour empêcher cette dictature en puissance, qui prêche la haine de l'autre. » Assistant social depuis quinze ans, ayant d'abord travaillé auprès des sans domicile fixe de Limoges, il constate que contrairement à l'Espagne ou à la Grèce, « la jeunesse n'est pas dans la rue, ou si elle y est, c'est en tant que SDF. Les trentenaires ne veulent pas entrer dans la bagarre. Comme si la situation n'était pas encore assez dégradée ou que le FN ne faisait pas encore assez peur. Tous ceux qui sont chargés de transmettre doivent aujourd'hui se remettre en question, des profs aux parents. Il faut défendre l'idée que toute population peut s'enrichir d'autrui. Le FN ne peut tenir face à un débat élaboré, obstiné, éclairé... ».
En attendant, samedi 15 mars, France 3 Limousin – discrimination ou impéritie ? – organisait une table ronde avec des représentants de tous les candidats aux élections départementales, sauf ceux de L'Alternative ! Le lendemain, ceux-ci ne décoléraient pas sur le grand marché dominical de Panazol, où évoluaient l'UMP avec de petits souliers sur ces terres de gauche, ainsi que Martine Nouhaut et Laurent Lafaye du PS, remis de leur diffusion marathon de la veille. Parmi les militants alternatifs, un retraité septuagénaire, passionné d'histoire – il sait tout sur tout – mais qui devint professeur d'éducation physique, victime d'une mauvaise orientation scolaire dont il semble aujourd'hui souffrir encore en l'évoquant. Ce Michel Passe se souvient du temps du programme commun (1972-1977) comme des plus belles années de sa vie. Il eut comme élève, de la 6e à la 4e, Laurent Lafaye, chez qui perçait déjà le premier secrétaire fédéral du parti socialiste voire davantage : « À la récréation, il disait “c'est moi le général”. Je me laissais volontairement embobiner : il venait me parler d'histoire plutôt que de faire de la gymnastique... »
L'ambiance est bonne entre un briscard communiste de 67 ans, Francis Boluda, fils de républicains espagnols, cheminot retraité depuis l'âge de 50 ans, en position de remplaçant, et la nouvelle venue, Nelly Berthon, 36 ans, titulaire sans étiquette, aide-soignante, affolée par l'écho que rencontre le FN dans la population : « L'extrême droite déplace le problème en s'en prenant aux plus faibles et aux plus isolés. Aux commandes d'un département, le Front national détruirait l'aide sociale ou aux handicaps. » L'écologiste Laurent Jarry, avec lequel elle forme un binôme, renchérit à propos des jeunes pompiers : « La plupart des nouvelles recrues sont des fachos. Du temps où ils étaient logés en caserne avec des missions de proximité bien définies, les pompiers incarnaient l'esprit de solidarité. C'est terminé. » L'autre remplaçante, Barbara Cueille du Front de gauche, qui enseigne la physique en classe préparatoire au lycée Gay-Lussac de Limoges, s'inquiète : « S'il n'y a pas davantage d'engagement à gauche, nous allons laisser le champ libre aux idées d'extrême droite, qui dépassent désormais la rage pour devenir un vote d'adhésion. Quand le FN se déplace, ils sont une quinzaine et distribuent leurs tracts, sans désormais le moindre signe de rejet de la part des citoyens. »
Laurent Jarry tente de retrouver le calme des vieilles troupes : « On est encore quand même en Limousin. Le rapport était de 70 % pour la gauche et de 30 % pour la droite dans ce canton. Même s'il y a rééquilibrage, je ne vois pas ici de catastrophe possible et je nous pressens même en tête. » Nelly Berthon semble plus dubitative. Nouvelle venue, non encore adepte de l'auto-enfumage, elle laisse percer son pessimisme.
Le soir venu, à Limoges, dans la nuit de la gauche, les tilleuls émondés offrent une vision d'horreur allégorique : ces arbres tourmentés ne crispent-ils pas convulsivement vers le ciel leurs doigts boulus, en signe de détresse politique majeure ?
À une vingtaine de kilomètres au nord-est de Limoges, Ambazac sut résister à l'occupation nazie – même si aucun lieu ne saurait égaler, aux limites de la Corrèze, le mont Gargan, refuge du « préfet du maquis » Georges Guingouin, le Tito du Limousin.
Ambazac, où il n'y eut aucune dénonciation durant la guerre et où bien des juifs furent cachés donc sauvés. Ambazac où, le 4 août 1944, près de deux mois après le massacre d'Oradour-sur-Glane, les troupes allemandes rassemblèrent la population sur la grande place, avant de soudain devoir filer pour prêter main-forte à une unité de la Wehrmacht attaquée par les résistants. Ambazac, 5 600 habitants, qui connaît, dans la nuit du 15 au 16 mars 2015, son tout premier collage de la part du FN ; sur les panneaux électoraux destinés à cet effet.
Ambazac où cette “profession de foi” d'extrême droite reprend – inconscience ou provocation ? – l'expression « le cœur serré », célèbre pour avoir orné le discours de capitulation du maréchal Pétain, le 17 juin 1940 : « C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat. » Fâcheux retour des choses. Le FN a recueilli, aux élections européennes de l'an dernier, plus de 27 % des voix à Ambazac.
« On ne les connaît pas, il suffit qu'ils posent des affiches pour récolter des suffrages, nous dit Josette Libert, maire communiste d'Ambazac, à propos des spectres de l'ultra droite. Ils font appel aux mauvais instincts humains. Et j'en veux aux médias de répercuter leur rejet des plus pauvres, au lieu de montrer les vrais responsables de notre débâcle économique, en particulier ceux qui pratiquent l'évasion fiscale. On fait peser une suspicion haineuse sur les plus pauvres. Il y aurait de l'abus dans l'attribution des aides sociales ? Je constate plutôt que les gens dans la précarité ne savent pas, le plus souvent, qu'ils ont de tels droits. Ils ne les réclament pas. Je reçois des êtres dans une misère totale. Je vois des hommes entre 40 et 50 ans pleurer pour avoir, à jamais, perdu leur boulot. Encore heureux qu'on ne les laisse pas crever ! »
Josette Libert, fille du sénateur communiste de Seine-Maritime Robert Pagès, pensait échapper au destin politique. Certes, vaille que vaille, elle a milité au parti depuis 1969, l'année de ses 15 ans (elle est née en 1954). Certes, elle a suivi de près les “collectifs antilibéraux” avant la présidentielle de 2007. Elle n'a pas apprécié la désignation autoritaire de Marie-George Buffet, qui s'imposa, alors que des citoyens libres et engagés en étaient encore à réfléchir à une possible candidature de Clémentine Autain ou de José Bové.
Si bien que lorsque le PCF l'engage, en 2011, à porter ses couleurs aux cantonales, Josette Libert n'en fait qu'à sa tête. Arrivée derrière le candidat PS au premier tour, elle se maintient au second, du fait de l'absence du moindre candidat de droite. Malgré les pressions de son parti, qui ne veut surtout pas se mettre à dos les socialistes limousins, histoire de sauver les ultimes positions du communisme dans le département, notamment à Saint-Junien. Mme Libert ne cède pas d'un pouce et est élue.
Elle ne supporte pas les représentants de la rue de Solférino en général et Laurent Lafaye en particulier. Le premier secrétaire fédéral lui sort par les trous de nez : « Il est arrogant, méprisant et inflexible, incapable de la moindre écoute dès que vous ne partagez pas son avis. C'est la même chose avec la présidente du conseil général de la Haute-Vienne, Marie-Françoise Pérol-Dumont, qui osa déclarer que les malades coûtent trop cher à la société, si bien qu'il faudrait leur envoyer la facture des soins qu'ils nécessitent. Pourquoi ne pas leur adresser la corde qui leur permettra de se pendre ?! »
Josette Libert précise ne pas avoir contribué à l'élection de François Hollande en 2012. Elle refuse désormais d'intérioriser tout chantage à la victoire de la droite : « Je ne veux plus voter par défaut. » Ne risque-t-elle pas de favoriser, d'une manière indirecte et inconséquente, le triomphe du Front national ? « Si nous n'existions pas, cela ferait longtemps que le Front national aurait gagné bien des positions. Je ne parle pas des européennes mais des scrutins locaux, qui nous permettent de nous poser en rempart. Il y a une autre possibilité d'être en colère et de l'exprimer, c'est L'Alternative 87 ! Nous ne sommes pas les militants d'un jour, à distribuer des tracts sur le terrain, puis les élus de toujours, claquemurés dans nos bureaux. Nous ne nous cramponnons pas en professionnels de la politique. Un an après mon élection à la mairie, je serai attentive aux résultats de ces départementales à Ambazac. Je doute et suis capable de me remettre en question. J'espère que les résultats nous renforceront. Si ce n'était pas le cas, je prendrais au sérieux l'avertissement du corps électoral. Personne n'est à l'abri d'un plantage en démocratie. »
En attendant, Le Populaire du Centre, quotidien régional jadis socialiste, n'en a que pour l'ouverture de la pêche, en ce week-end précédant le premier tour des élections départementales. Est-ce une façon de s'adresser, de front, à ceux qui vont à la pêche aux voix comme à ceux qui taquinent le goujon plutôt que de prendre le chemin des urnes ? Le souci de la métaphore est en tout cas poussé très loin. Gros titre : « Feu vert pour la truite. » Précision de taille : « La pratique est ancestrale, mais elle suit les modes et s'adapte aux grandes tendances, comme celle du “No Kill” qui limite les prélèvements. » Seuls les mauvais esprits électoraux psalmodieront : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort »…
BOITE NOIREMon séjour à Limoges, Isle, Panazol et Ambazac s'est déroulé du vendredi 13 au lundi 16 mars – j'ai ainsi séché la fête qu'organisait Mediapart pour son septième anniversaire, le 16 au soir à Paris…
La rédaction de Mediapart et les experts de Liegey-Muller-Pons se sont associés à l'occasion de ces élections départementales. Un tel partenariat nous permet de vous proposer, avant et après le premier tour, éclairages, analyses et visualisations de données inédites. Davantage de détails ici.
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