Rennes, de notre envoyée spéciale.- Vendredi 20 mars 2015, au tribunal correctionnel de Rennes, c’était au tour de la défense des deux policiers jugés pour non-assistance à personne en danger de plaider. Après dix ans de bataille judiciaire, le parquet, qui s’est systématiquement opposé à la tenue de ce procès, a requis jeudi leur relaxe avec une argumentation rondement menée.
Me Daniel Merchat, avocat des deux policiers prévenus, emprunte, lui, des chemins de traverse parfois malheureux. Se tournant vers les familles de Zyed, 17 ans, et Bouna, 15 ans, il ose un « Comme le cœur, personne ne saurait revendiquer le monopole du deuil ». Avant d’assener que « dix ans d’instrumentalisation ont été un obstacle à l’achèvement de votre deuil » et qu’« avant la réconciliation, il y a d’abord le pardon ». Extrêmement dignes depuis le début du procès, les parents, frères et sœurs de Zyed et Bouna ne bronchent pas.
Dans leur soif d’explication, leur besoin de comprendre comment une banale opération de police a pu aboutir à la mort de leurs enfants, brûlés vifs dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois, Me Daniel Merchat n’a vu qu’une « pensée conspirationniste », « pathologique », « une toxicomanie de la haine ».« Pour les conseils des parties civiles, il n’existe pas de coïncidences fortuites, dénonce Me Merchat. Les transcriptions de la bande ont été altérées, les déclarations du ministre sont suspectées d’être des faux, le parquet et la police sont dans la connivence pour empêcher un procès. Ça s’appelle le style paranoïde ! »
Il poursuit : « N’inventons pas une police exhaustive, qui sait tout, qui a tous les moyens, la police n’est pas infaillible. » Ce qui ne manque pas de sel venant d’un ancien commissaire passé par les ex-RG (renseignements généraux). De la Seine-Saint-Denis, l’avocat dresse un portrait très noir, sommant les « bobos et les intellos » de venir endosser l’uniforme du policier, « pour imprégner leur angélisme du réalisme » de ce département. Avant de se lancer dans un vibrant plaidoyer pour la police nationale, que nul n’a mise en cause depuis le début du procès : « Je me demanderais combien d'avocats, de magistrats et de journalistes seraient dignes d'être policiers. Dix ans de dénigrement de la police sont socialement corrosifs, là où la police recule, c’est la République qui recule et d’autres lois qui se mettent en place. »
Des faits, il sera peu question, sauf entre deux citations de Nietzsche, Socrate ou Malraux. Me Merchat se montre pourtant plus convaincant quand il revient sur le terrain du droit, rappelant que, selon la jurisprudence, « un péril seulement éventuel ou hypothétique ne saurait caractériser la non-assistance ». Reprenant les arguments de la procureur adjointe, il estime que ni Sébastien Gaillemin, 41 ans, qui a vu deux jeunes escalader un grillage en direction du site EDF, ni « a fortiori », Stéphanie Klein, 38 ans, au standard, « n’avaient une conscience aiguë du danger ». « Ils ont été présumés coupables depuis 9 ans, mais comment peut-on évoquer la turpitude de jeunes qui se cachaient pour reprocher à la police de ne pas les avoir secourus ? » ose-t-il.
Et quand bien même Sébastien Gaillemin aurait perçu le péril, rien n’aurait servi de prévenir les jeunes : « On veut vous faire croire qu’un garçon qui fuit, qui a peur, va s’arrêter en lui disant “Police, arrêtez-vous” ? » Quant à Stéphanie Klein, à l’époque simple stagiaire « dans une structure policière sous-encadrée », « je me demande ce qu'elle fait ici ». Elle « effectuait une demi-douzaine de tâches dans une ambiance bruyante » et elle n’a « pas percuté » quand son collègue a annoncé sur les ondes que deux jeunes étaient « en train d’enjamber pour aller sur le site EDF ».
Prostrée, confrontée pour la première fois aux familles, la jeune femme a à plusieurs reprises éclaté en sanglots au cours du procès. « Vous prononcerez la relaxe parce que dix ans, ça suffit, conclut Me Daniel Merchat. Les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas réunis, l'instruction n'a pas réuni suffisamment de charges. » Les prévenus ont ensuite rapidement répété leur compassion à l'égard des victimes. La décision a été mise en délibéré au lundi 18 mai 2015.
Reste au tribunal à trouver le chemin entre responsabilité collective et individuelle dans cette tragédie. Mais après dix ans d'attente qui en ont gonflé démesurément les enjeux, peut-il y avoir encore une bonne décision ? « Vous avez à rendre justice mais aussi à réconcilier, avait plaidé jeudi Me Jean-Pierre Mignard, avocat des parties civiles. C'est une tâche difficile, vous êtes les gardiens des libertés individuelles. » Jeudi, la procureur ajointe avait également tracé un chemin étroit, rappelant une phrase prononcée par le frère de Bouna le soir du drame : « Je voudrais que justice soit faite, s’il y a lieu. » Delphine Dewailly poursuivait : « Votre décision est attendue depuis dix ans, mais elle ne doit être dictée ni par le désir de plaire, ni par la crainte, ni par le contexte de 2005 et les débordements qui ont conduit à décréter l’état d’urgence.»
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