C’est l’un des départements où le Front national espère réaliser ses meilleurs scores aux élections des 22 et 29 mars. Le Var a offert l’année dernière au FN trois maires (Fréjus, Cogolin, le Luc), un sénateur (David Rachline) et 34,96 % des voix aux élections européennes. Pour conquérir le département, le parti frontiste devra remporter au moins 12 des 23 cantons, un objectif difficile à atteindre. Le Front national espère surtout peser dans la recomposition de la droite, et dynamiter l'UMP, dans une région où le deuxième tour sera marqué par de nombreux duels entre les deux partis.
Marine Le Pen a mis le paquet en réalisant cette semaine une grande tournée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le 16 mars, elle s’est arrêtée à Six-Fours-les-Plages (Var), petite cité balnéaire du littoral, où elle a déroulé sa dénonciation des « élites vaniteuses », du « communautarisme » et du « clientélisme ». La présidente du FN s’en est prise à ses rivaux de l’UMP, qui détiennent une écrasante majorité à l’assemblée départementale (32 sièges sur 43) : « Scandales, corruption, malversations, magouilles électorales : les Varois subissent les us et coutumes de l’UMPS local depuis trop longtemps. »
Le secrétaire départemental et conseiller régional Frédéric Boccaletti a renchéri à la tribune : « Nous ne sommes pas les héritiers de Maurice Arreckx (ex-sénateur et maire UDF de Toulon, condamné en 1996 pour avoir perçu deux millions de francs de pots-de-vin contre l’attribution d’un chantier, ndlr). Alors, par pitié, que nos adversaires gardent leurs leçons pour leurs propres amis ! »
Dans le Var pourtant, le Front national semble avoir rangé dans sa poche son slogan historique « Tête haute, mains propres », en acceptant sans rechigner le soutien d'embarrassants personnages venus, pour beaucoup, de la droite.
À Fréjus, le parti a recruté Philippe Lottiaux, qui fut pendant dix ans (2001-2011) le directeur général des services (DGS) du maire UMP de Levallois Patrick Balkany, (condamné en justice en 1997 pour prise illégale d’intérêts et aujourd’hui mis en examen pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale). Lottiaux avait auparavant travaillé aux cotés de Bernard Bled, homme symbole des années Chirac-Tiberi à la mairie de Paris. Devenu le DGS du maire et sénateur FN David Rachline, il est aussi le candidat du parti à Avignon (lire le reportage de Michaël Hajdenberg).
À Cogolin, le maire frontiste Marc-Étienne Lansade a choisi comme premier adjoint un ancien brigadier-chef, Éric Masson, révoqué depuis juillet 2014 de la police municipale de Cannes en raison de son comportement violent à l’égard de ses collègues. En janvier, Éric Masson a été condamné par le TGI de Grasse à deux mois de prison avec sursis pour ces faits de violence, ainsi qu’à deux ans d’interdiction d’exercer dans la police municipale (il a fait appel). Cela n’a pas empêché le FN de l’investir comme candidat aux départementales, dans le canton de Sainte-Maxime.
Autre sujet d’inquiétude pour les opposants locaux, la « balkanisation » de Cogolin, une commune balnéaire située dans le golfe de Saint-Tropez, où la spéculation immobilière fait rage. « Nous sommes inquiets en voyant les personnages dont le maire s’entoure », témoigne Francis José-Maria, un opposant local à la tête du comité de vigilance Place publique. Le nouveau maire, un spécialiste de l’immobilier de 41 ans, qui s’est rapidement fait remarquer au volant d’une Porsche grise décapotable, est lui aussi originaire de Levallois-Perret. Parachuté à Cogolin par l’état-major du parti, il s’est adjoint les services d’un « conseiller spécial grands projets d’urbanisme » au profil particulier, comme l'a raconté Marianne : Jean-Marc Smadja, 67 ans, n’est autre que le cousin germain d’Isabelle Balkany, première adjointe (UMP) au maire de Levallois-Perret. Cet ancien banquier et promoteur immobilier a dirigé de 2001 à 2008 la société d’économie mixte d’aménagement de Levallois-Perret (Semarelp), bras armé de la mairie dans le bétonnage de la ville, que la justice soupçonne d’avoir été au cœur d’un vaste système de corruption.
Mais c’est à Roquebrune-sur-Argens que la situation est la plus surprenante. Dans ce canton où seules deux listes s’affrontent (FN et UMP-UDI), le maire Luc Jousse vient d'annoncer qu'il soutenait le binôme du Front national, après avoir claqué la porte de l'UMP en janvier. Le 12 mars, il s’est affiché aux côtés de David Rachline, lors de l'inauguration de la permanence des candidats frontistes du canton.
« C'est un grand honneur de vous avoir ici », a-t-il lancé à David Rachline, tout en précisant qu’il n’avait pas « adhéré au FN » mais qu'il était venu « soutenir Paul Heim », son adjoint aux sports, un ex-UMP devenu le suppléant du candidat FN. « Avec David, on a convenu que pour combattre Cavallier et Mimouni (le binôme UMP-UDI, ndlr), il était le plus efficace. »
« Nous ne sommes pas du tout FN, nous restons divers droite », assure à Mediapart Paul Heim, tout en expliquant adhérer aux idées du FN – « peut-être pas tout », précise-t-il. Son parcours a des allures de girouette politique : il s'est encarté au FN puis au MNR dans les années 1990, avant de rejoindre l'UMP, qu'il vient de quitter.
Luc Jousse, lui, n'a cessé de dériver vers l'extrême droite. En novembre 2013, ses propos sur les Roms enregistrés lors d’une réunion publique, et révélés par Mediapart, ont déclenché un tollé. Ils lui ont valu une suspension de l’UMP et une condamnation en novembre dernier à un an d’inéligibilité et 10 000 euros d’amende pour provocation à la haine et à la violence raciale. L’affaire sera jugée en appel le 13 avril à Aix-en-Provence.
Depuis, Luc Jousse accumule les ennuis judiciaires. Le 17 mars, il a comparu devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour détournement de fonds publics, en appel d’un jugement prononcé en juillet par le TGI de Draguignan, qui l’a condamné à cinq ans de retrait de ses droits civiques et 20 000 euros d’amende.
À Aix-en-Provence, l’audience a permis de revenir sur les pratiques ahurissantes du maire de Roquebrune-sur-Argens, qui a fait successivement acheter par la commune deux véhicules de luxe, un Mitsubishi Lancer (51 000 euros) en décembre 2009 (revendu un an plus tard pour la moitié de son prix) puis une Audi S4 Quatro (61 000 euros) en décembre 2011. Ces voitures destinées à son usage personnel – « aussi luxueuses que celles du président Obama », a noté la présidente du tribunal –, étaient approvisionnées en essence grâce à une carte de carburant de la commune au gré de ses déplacements en Haute-Loire, où il dispose d’une résidence secondaire, ou vers les circuits de course automobile fréquentés par son fils.
C’est l'opposante municipale Josette Mimouni, actuelle candidate aux départementales, qui a, la première, dénoncé ces agissements à la justice, en tant que présidente de l’Association citoyenne des contribuables roquebrunois. D’où la haine de Luc Jousse à son encontre… La cour d’appel rendra son verdict le 14 avril.
D’ici là, l’agenda judiciaire de Luc Jousse est encore bien chargé. Le 26 mars, il est convoqué devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, à la suite d'une plainte du préfet du Var, qui conteste le paiement de ses frais de justice par le budget communal. Pour se défendre, le maire a en effet choisi de faire appel à deux avocats, et de faire supporter leurs honoraires par sa ville. Cette délibération du 15 janvier est jugée contraire à la loi par le représentant de l’État, qui estime qu’en cas de « faute personnelle » commise par le maire, celui-ci ne peut pas bénéficier de la protection fonctionnelle permise aux élus dans l’exercice de leur mandat.
Non seulement les démêlés avec la justice de Jousse sont embarrassants pour le Front national, mais le parti aura par ailleurs bien du mal à justifier son revirement. Car les responsables locaux du FN n'ont eu de cesse, ces dernières années, de dénoncer publiquement la mauvaise gestion municipale du maire et ses ennuis judiciaires (exemples ici, là ou encore là et là).
En novembre 2013, David Rachline lui-même avait ciblé, dans un communiqué, la « campagne de caniveau » de Luc Jousse, sa « politique catastrophique de surendettement de la ville », et l’avait accusé de passer « presque plus de temps devant les tribunaux qu’au conseil municipal ».
Florian Philippot, le vice-président du FN, s’était lui « étonné que l'UMP ait investi » Luc Jousse, étant donné « sa phrase inadmissible » sur les Roms, l’enquête ouverte « pour d'éventuels détournements et prise illégale d'intérêts », mais aussi le rapport « accablant » de la chambre régionale des comptes sur la gestion de sa ville.
Plus récemment encore, en pleine affaire Bygmalion, le patron de la fédération FN du Var a pointé la condamnation pour détournement de fonds publics du maire et enfoncé le clou sur « les graves irrégularités entachant sa gestion communale ». « Malgré cela, l’UMP n’a pas hésité à investir et à soutenir Luc Jousse lors des dernières élections municipales. Éclatante démonstration que l’honnêteté n’est pas pour ce mouvement la première des qualités requises exigées à ses candidats », assénait Frédéric Boccaletti.
Pourtant, quelques mois plus tard, Luc Jousse semble devenu fréquentable. En janvier, David Rachline s'affiche à ses vœux :
J'étais présent ce soir aux voeux du Maire de Roquebrune-sur-Argens, M. Luc Jousse. pic.twitter.com/XAc6PgLGLa— David Rachline (@david_rachline) 10 Janvier 2015
Ce revirement a suscité des remous au sein du parti frontiste. « À peine six mois plus tard, voilà le même Luc Jousse porté au pinacle par ceux-là même qui l’avaient cloué au pilori… Qu’a donc pu faire Monsieur Jousse pour mériter une rédemption aussi rapide que totale ? », s’est plaint dans Var-Matin Claude Meyer, responsable de la section FN de Puget-sur-Argens et conseiller municipal. Une déclaration qui lui a valu un communiqué cinglant du patron de la fédération et une suspension immédiate du parti. Mais l'élu a persisté, jeudi, sur son compte Facebook, en jugeant Luc Jousse « un peu encombrant » :
À droite, le tandem UMP-UDI qui se présente à Roquebrune affirme qu’un « accord » a été « passé » entre Jousse et Rachline et fustige la « droitisation du maire de Roquebrune », « déjà sensible dans l'évolution de son discours ». « Il faut en déduire que Monsieur Rachline est prêt à l’alliance avec n’importe qui », a réagi de son côté Tarik Belkhodja, le candidat PS à Fréjus, en dénonçant les « casseroles » du nouveau soutien du FN.
Le Front national assume. Interrogée par Mediapart en marge du meeting de Six-Fours-les-Plages, Marine Le Pen a répondu avec cynisme : « Monsieur Jousse veut la défaite de ses anciens amis. Nous aussi ! » Dans un communiqué, mardi, la fédération FN varoise explique qu’elle préfère « le soutien de M. Jousse, homme de convictions, à celui des nombreux politiques UMP qui ont mené ces dernières années notre département à sa perte » et à celui des socialistes « qui mènent une politique calamiteuse pour notre pays ».
Pour David Rachline – qui n'a pas répondu à nos questions –, le calcul est double. Il s'agit de gagner le maximum de cantons dans le département, mais aussi d'étendre son influence au sein de la communauté d’agglomération. « David Rachline est quand même le maire d’une ville de 52 000 habitants, et il est simplement conseiller communautaire. Il devrait être, ou l’un de ses proches, vice-président de l’agglomération », estime l’ex-UMP Paul Heim.
D'après lui, « une vingtaine de personnes ont rendu leur carte UMP » à Roquebrune, lassés, dit-il, « du cumul de la sphère UMP ». « On a eu du Sarkozy, on a eu du Hollande, on va ravoir du Sarkozy. (...) Le FN est quand même bien placé pour représenter les idées de 40 % des Français. C’est un raz-de-marée qui se prépare… »
BOITE NOIREJournaliste indépendante, Hélène Constanty a pu se rendre le 16 mars au meeting de Marine Le Pen à Six-Fours-les-Plages (Var).
Sollicités le 19 mars, Luc Jousse et David Rachline n'ont pas répondu à nos questions.
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