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Revenir au gouvernement? Les écologistes au bord de la scission

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Et si Europe Écologie-Les Verts (EELV), c'était fini ? Les écologistes n'excluent plus l'hypothèse. Le mouvement créé en 2010, dans la foulée d'élections européennes triomphales pour les écologistes (16 % des voix), est au bord de la crise de nerfs, plus divisé que jamais. Pas tant à cause des départementales (le parti n'a qu'une quarantaine de conseillers généraux) que de la suite : la perspective d'un remaniement après le scrutin, agitée par l’Élysée, aiguise les appétits individuels. Et souligne les divergences stratégiques au sein du mouvement. EELV a l'habitude de ce genre de soubresauts internes. Mais le fossé est cette fois si béant qu'il paraît difficile à combler, entre partisans d'une participation à l'exécutif et opposants résolus à l'orientation du gouvernement.

Depuis des semaines, Matignon, l’Élysée et des ministres proches de François Hollande ont lancé une opération peu discrète d'approche auprès des leaders écologistes. SMS, contacts tous azimuts, rencontres… Pour l’Élysée, l'objectif est clair : après des départementales difficiles, où la gauche est partie divisée, avant les régionales de décembre où elle risque de subir le même sort, il lui faut reconstituer sa majorité. Mais aussi anesthésier les concurrences gênantes sur sa gauche en vue des présidentielles de 2017.

Cela passe d'abord par une réconciliation avec les "frondeurs", malgré le 49-3 dégainé pour faire passer la loi Macron. Et en particulier les proches de Martine Aubry (Jean-Marc Germain, François Lamy ou Christian Paul), que l'exécutif socialiste ne veut absolument pas voir jouer un rôle lors du prochain congrès de Poitiers, lequel commence dès le lendemain du second tour des départementales (le dépôt des motions a lieu le 11 avril). Mais cela passe aussi par le retour des écologistes au gouvernement, partis avec fracas au lendemain de la nomination de Manuel Valls à Matignon, il y a un an. Une exigence d'autant plus grande que la France accueille en décembre la Conférence mondiale sur le climat, dont François Hollande entend faire un succès.

« On ne peut pas être responsable pour tout le monde, il faut que chacun en prenne sa part », expliquait Stéphane Le Foll il y a deux semaines. Cependant, selon le ministre de l'agriculture, proche de Hollande, « débaucher deux ou trois écolos, ce n'est pas une bonne stratégie, car une alliance doit régler un problème politique ». Mais apparemment, ces derniers jours, « ils s'en foutent un peu moins qu'avant d'avoir le parti », confie un membre du bureau exécutif d'EELV. Le même explique : « Hollande a une attache réelle aux partis, Valls moins. »

Ces jours-ci, Emmanuelle Cosse, la secrétaire nationale du mouvement à la tête du parti depuis la fin 2013, est particulièrement courtisée. Faire entrer au gouvernement la cheffe d'EELV aurait en effet plus de lustre que de simples débauchages individuels. Et cela permettrait aussi, selon un ami de François Hollande, de « contourner, d'encercler, d'amadouer » l'ancienne ministre Cécile Duflot qui, dans Libération, a plaidé pour la création « d’une nouvelle force politique », alternative aux « vieux schémas » dont le gouvernement est, selon elle, « prisonnier ». « Emmanuelle Cosse dit que ça ne la dérangerait pas », assure un proche de François Hollande.

Emmanuelle Cosse, avec Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis, lors d'un meeting pour les départementales à Evry, le 16 marsEmmanuelle Cosse, avec Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis, lors d'un meeting pour les départementales à Evry, le 16 mars


Quand on l'interroge, l'intéressée confirme que les contacts sont nombreux, mais temporise : « La ligne que je tiens n'a rien à voir avec l'orientation politique actuelle du gouvernement, mais la question est de savoir si l'on peut obtenir des marges de manœuvre réelles. Je ne suis pas entrée en politique pour être ministre à tout prix, mais je suis attentive à la façon dont les écologistes peuvent être utiles dans la période. » L'idée qu'en cas de retour au gouvernement, les socialistes au pouvoir ne pourraient plus s'offrir le luxe d'un deuxième départ, et donc renforceraient le rapport de force en faveur des écologistes, fait aussi son chemin. Emmanuelle Cosse a surtout une exigence préalable : « Il faut qu'on ait une vraie discussion sur les inflexions politiques possibles, avec les aubrystes et l'exécutif. Pourquoi pas dans l'entre-deux-tours ? Je ne suis pas sûre qu'elle ait lieu, mais c'est indispensable. Les résultats du premier tour devraient pouvoir la motiver… »

La secrétaire nationale, qui a peu de troupes dans le parti, laisse en tout cas ses soutiens se structurer. « Un groupe s'est créé autour d'elle, confirme Christophe Cavard, député EELV du Gard, un de ces soutiens. François Hollande veut exploser le mouvement. En raidissant sa position, Cécile Duflot s'est marginalisée : les accords avec le Front de gauche pour battre le PS, la plupart des militants n'en veulent pas. De l'autre côté du parti, certains veulent entrer au gouvernement coûte que coûte. Les militants sont fatigués d'être pris en étau : il faut une troisième voie où l'écologie reprend sa place. » Lundi 23 mars, les soutiens d'Emma Cosse se retrouveront en soirée à Paris pour faire le bilan du premier tour des départementales. Une façon de peser dans le mouvement : en cas de négociation avec l'exécutif sur un éventuel retour d'EELV au gouvernement, le conseil fédéral du parti, son parlement interne, devra l'approuver par un vote électronique de ses 120 membres.

« Il faut éviter l'éclatement du mouvement », plaide Ronan Dantec, sénateur écolo de Loire-Atlantique. Pour cet autre soutien de la secrétaire nationale, la synthèse alternative à la gauche du PS, concevable pour des alliances locales, ne l'est pas au niveau national. « L'histoire avec le PS reste possible à écrire, si bien sûr nous obtenons dans une négociation transparente des inflexions politiques réelles, avec un gain pour l'écologie. En revanche, elle ne peut être écrite avec Jean-Luc Mélenchon : nous sommes européens, il est nationaliste. Jean-Luc Mélenchon est un obstacle à ce que Cécile Duflot cherche à construire. » S'ils attendent que les urnes parlent pour formuler des exigences concrètes, les soutiens d'Emmanuelle Cosse égrènent déjà quelques pistes du « contrat » qui pourrait les faire revenir au gouvernement : la fermeture de Fessenheim, un moratoire sur les grands projets inutiles, des avancées réelles pour lutter contre « l'apartheid social, territorial, ethnique » évoqué par Manuel Valls, un grand ministère de l'écologie…

« Il est hors de question de tout accepter pour un os à ronger. Mais si on nous propose à nouveau le grand ministère de l'écologie que nous avons refusé il y a un an, faut-il faire deux fois la même erreur ? » s'interroge Cavard. Pour l'exécutif, un autre casse-tête se profilerait : il faudrait alors trouver un point de chute à l'actuelle ministre de l'écologie et numéro trois du gouvernement, Ségolène Royal. Celle-ci vient d'ailleurs de s'accrocher avec les écologistes à propos de la lutte contre la pollution à Paris. Si elle restait en poste, il faudrait alors composer avec elle, et trouver un ou plusieurs maroquins en lien avec l'écologie.

Dans la constellation EELV, certains font savoir avec insistance qu'ils veulent revenir au gouvernement. « Un tiers du parti s'en fout de la position du conseil fédéral, et leurs représentants iront sans barguigner au gouvernement », soupire un proche de Cosse. Début avril, le président du groupe écologiste au Sénat, Jean-Vincent Placé, ex-homme fort du parti du temps des Verts, quand il marchait de pair avec Cécile Duflot, publie un livre au titre transparent, Pourquoi pas moi ?. Depuis des semaines, il ne fait pas mystère de ses ambitions personnelles, tout comme le coprésident du groupe écolo à l'Assemblée, François de Rugy. Pour ce dernier, le choix de Cécile Duflot de quitter le gouvernement est « une décision personnelle imposée à l’ensemble du mouvement ».

Rugy et Placé ont cosigné en février un « pacte de responsabilité écologique » appelant à un retour des écologistes au gouvernement : « Nous sommes de ceux qui veulent exercer pleinement leur responsabilité et prendre toute leur part à la construction des compromis qui, seuls, permettront les inflexions de trajectoire, les ruptures qui changeront nos modes de production et de consommation, écrivent-ils. L’exercice des responsabilités gouvernementales, s’il a connu une éclipse, est une obligation. » Difficile de faire plus clair.

François de Rugy et Barbara Pompili, coprésidents du groupe écolo à l'Assemblée nationale, sont pour un retour au gouvernementFrançois de Rugy et Barbara Pompili, coprésidents du groupe écolo à l'Assemblée nationale, sont pour un retour au gouvernement © Reuters

« Nous ne sommes pas candidats au suicide collectif, appuie François de Rugy, interrogé par Mediapart. Depuis un an, le parti s'est déporté sur le terrain contestataire, oppositionnel alors que nos sympathisants sont de façon écrasante favorables à la participation au gouvernement. En proposant de créer un autre mouvement, Cécile Duflot a accéléré une forme de clarification. EELV était dans une logique d'implantation institutionnelle, certains veulent bazarder cela, mais nous n'allons pas laisser faire. » Problème, ainsi que l'indique un dirigeant d'EELV : « Le conseil fédéral n'aurait sans doute déjà pas voté la participation au gouvernement Ayrault, et on n'aura pas le temps d'organiser un référendum militant en cas de remaniement. »

Alors, le 4 avril, à l'initiative du député écologiste Denis Baupin (qui se trouve être, dans le civil, le compagnon d'Emmanuelle Cosse), les partisans de la participation gouvernementale se retrouveront à l'Assemblée nationale, en présence d'écologistes situés en dehors de la galaxie EELV. Génération écologie, l'ancien mouvement de Brice Lalonde, qui soutint Jacques Chirac en 1995 ; le mouvement Cap 21 de Corinne Lepage, ancienne ministre de l'environnement du gouvernement Juppé, alliée ensuite au MoDem de François Bayrou ; les écologistes indépendants (MEI) d'Antoine Waechter, ex-candidat des Verts à la présidentielle de 1988 ; ou encore le Front démocrate de Jean-Luc Bennhamias, ancien Vert passé par le MoDem, et qui se dit missionné par François Hollande pour créer une nouvelle force écolo-centriste soutenant le chef de l’État. « Puisque le débat sur la responsabilité des écologistes n'a pas lieu dans le parti, nous l'organisons à l'extérieur, justifie Rugy. Il y a plus d'écologistes aujourd'hui à l'extérieur qu'à l'intérieur… »

Du côté des partisans de Cécile Duflot, qui garde une grande influence sur les militants, on estime que le parti ne cautionnera pas, sauf substantiel changement de cap à l’Élysée, un retour des écologistes au gouvernement. « Si l'on obtenait la proportionnelle, la fermeture de sept centrales et l'expérimentation du récépissé de contrôle d'identité, je serais le premier à signer ! assure Stéphane Sitbon, proche de Duflot. Mais ce n'est franchement pas l'inclinaison naturelle ! La ligne ne change pas, et les propositions faites par Valls et Hollande seront encore plus faibles qu'il y a un an. Si l'on va au bout de cette logique, on risque une scission avec un nouveau parti écologiste dont la seule orientation sera la participation impuissante au gouvernement. Aujourd'hui, le PS ne veut pas de rassemblement, mais uniquement des ralliements. »

« Hollande ne propose aux écologistes que d'être les supplétifs de sa politique, déplore l'ancien secrétaire national d'EELV, Pascal Durand, qui a récemment accusé dans le JDD les écologistes de se « caricaturer ». « Le président de la République, préoccupé par sa réélection, tente de créer un nouveau parti-croupion pour diviser l'écologie, estime l'eurodéputé. Face à ce cartel des gauches libérales, est en train de construire un cartel des gauches radicales avec Cécile Duflot, Mélenchon, le PCF et des "frondeurs" en rupture de ban. Mais ce petit monde réfléchit encore comme la vieille gauche du XXe siècle. » Lui qui n'envisage un retour au gouvernement qu'après signature d'un « contrat de majorité à l'allemande », se pose en garant de l'aventure d'Europe Écologie (dont il fut l'un des soutiers) : « Le temps des accords institutionnels et politiques est révolu : la dynamique des européennes de 2009 était d'abord citoyenne. La transformation écologique de la société ne viendra pas d'en haut, par une simple recomposition. »

En attendant, les écologistes auront quand même l’œil rivé sur les performances de leurs candidats dimanche 22 mars, au soir du premier tour des départementales. Les scores respectifs des listes autonomes des écologistes, de celles alliées avec le PS et des unions avec le Front de gauche, seront un bon indicateur de la stratégie gagnante. « On ne pourra plus raisonner selon les prophéties autoréalisatrices des uns et des autres, nous expliquait récemment David Cormand, n° 2 d'EELV, mais sur des résultats électoraux. C'est bien plus objectif que des sondages ou les intimes convictions. » Mais pas sûr que ça permette d'éviter la grande explication.

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